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Jean-Luc côté pile, Mélenchon côté face

La puissance montante de Jean-Luc Mélenchon, le candidat du Front de gauche, gêne François Hollande et ravit Nicolas Sarkozy. Son tempérament explosif est tout autant son piège que son atout.

Debout au milieu d’une maison de quartier mal éclairée de la banlieue de Lyon, le 29 janvier 2011, face à une vingtaine de personnes, Jean-Luc s’enivre : « Nous avons pour points communs une grande déchirure et le goût du bonheur. » 18 mars 2012. A Paris, isolé sur la scène d’une place de la Bastille reconquise, Mélenchon se shoote, en lançant à l’essaim populaire : « On se manquait ! On s’espérait ! On s’est retrouvé. » En un an et demi, le candidat du Front de gauche a plus que doublé le score de ses intentions de vote. Le voici désormais autour de 11 %. Installé en première classe du train qui mène à l’Elysée, il doit payer son billet au prix fort : il est monté sans réservation. Se retrouver instrumentalisé par la droite comme le meilleur ennemi de François Hollande peut lui coûter très cher en termes de responsabilité aux yeux du peuple de gauche. Trop longtemps méprisé au PS, l’ancien sénateur socialiste ne compte faire aucun cadeau : « Je me nourris de tout », prévient le vorace. Suivant qu’il penche d’un côté du balancier ou de l’autre, Jean-Luc Mélenchon se régale. Ou s’écoeure.

Sarkozy, l’homme qu’il rêve d’affronter

« C’est un guerrier » : Jean-Luc Mélenchon tient l’actuel président pour un fin politique et « rêve » de débattre avec lui. Quand la plume présidentielle fait un copier-coller de l’une de ses expressions, il jubile : « J’ai remarqué qu’Henri Guaino utilisait l’expression « l’entre-soi », que je prononce depuis longtemps. » Dans une interview parue dans Le Monde daté du 14 mars, que Mélenchon a dévorée, le chaman élyséen Patrick Buisson explique que « le candidat de la gauche populiste sera toujours plus crédible qu’une pâle copie sociale-démocrate dans le registre de la lutte des classes qui réclame une certaine tonicité ». De cet entretien, l’ancien ministre de la gauche plurielle jospinienne retient aussi le dépassement du clivage droite-gauche. Le tribun de la campagne en est persuadé : « La France du non au traité constitutionnel européen de 2005 n’est pas morte. » Buisson-Mélenchon, deux hommes qui se connaissent depuis l’époque où ils débattaient souvent sur LCI et qui échangent encore régulièrement au téléphone. A un journaliste qui réalise son portrait, le premier a suggéré d’interroger le second.

Mais le plaisir s’arrête là. Lorsque Le Figaro , dès la mi-janvier, lui réserve une manchette flatteuse, et qu’il est interrogé sur ce fait, Mélenchon explose dans son bureau : « Non, mais vous me faites chà avec vos questions, là ! » Les baisers de l’UMP à l’endroit du Front de gauche contiennent du cyanure. Après s’être démarqué de François Hollande à l’automne 2011 et avoir consciencieusement tabassé Marine Le Pen pendant l’hiver, le candidat du Front de gauche compte réserver son printemps au président sortant.

Le concurrent socialiste, l’adversaire Hollande

Jean-Luc Mélenchon garde un attachement nostalgique au Parti socialiste, ne serait-ce qu’en raison du second mot qui compose son nom. A Clermont-Ferrand, le 14 mars, il a exigé de la salle qu’elle ne siffle pas le PS, « qui n’est pas notre adversaire, mais notre concurrent ». L’ancien responsable socialiste de l’Essonne est obsédé par ce qui se passe au PS. Dans le huis clos de sa loge, avant de monter à la tribune auvergnate, Mélenchon ne tient pas en place. Il parle de sondages, bien sûr, mais aussi de son ancien parti : « A l’idée de se répartir les postes en cas de victoire, ils sont dans tous leurs états », constate-t-il, fort des informations dont il dispose. Un commentaire dans lequel on peut lire, c’est selon, le dégoût ou l’envie.

Il n’y a, en revanche, pas de double lecture à faire du souvenir qu’a Jean-Luc Mélenchon de François Hollande : mauvais, pour l’éternité. Alors, quand ce dernier commence à se tasser dans les sondagesà « Il paraît qu’il est nerveux. Je crois surtout qu’il est fatigué », entame-t-il, en route pour Marseille, le 15 mars. « Je sais pourquoi il fatigue : il a repris 5 kilos, et l’organisme, dans ces cas-là, prend une châtaigne. » La campagne du socialiste ? « Elle suinte l’ennui. Sa ligne politique ne vaut rien. » La plume du socialiste ? « Aquilino Morelle, c’est un ami, mais il est chiant. » L’argument massue du socialiste ? « Hollande dit vote utile. Mais il lui faut quoi ? Etre en tête dès le premier tour ? Dans les enquêtes, il est entre 10 et 12 points de distance avec Marine Le Pen ! » Quand, le 6 mars, à Rouen, Jean-Luc Mélenchon se félicite d’avoir réuni en meeting plus de monde que « François », il lâche : « Il s’agit pour moi d’une revanche personnelle. »

Les journalistes, nouveaux amis, éternels ennemis

Quand il est de bonne composition, celui qui fut reporter d’un journal local dans sa jeunesse s’inquiète pour la presse. « Appuyez-vous, pour prendre vos notes », enjoint-il dans un train tremblant. Partageant un autre jour son succès actuel, il lance à sa suite médiatique : « C’est bien : maintenant, vous n’êtes plus les crevards de vos rédactions ! » Si le candidat a de l’humour, il garde également une certaine lucidité, quand les questions se font trop positives : « N’essayez pas de me cirer les pompes avec les sondages, de me faire oublier la manière dont je fais campagne. »

A l’inverse, Jean-Luc Mélenchon a gardé de sa jeunesse trotskiste l’idée qu’un viseur ne sert à rien sans cible. Récemment, Le Nouvel Observateur était un hebdomadaire « charognard » et ceux qui y travaillent des « fils deà [censuré] ». L’Express ? « Un journal d’extrême droite ». Quant à Jean Quatremer, correspondant de Libération à Bruxelles et vigilant dénonciateur de l’absentéisme de l’euro-député, il fait partie des « ennemis », à l’instar de Christophe Barbier, Jean-Michel Aphatie, le journaliste politique de RTL, et d’autres. Auteur du livre Sexe, mensonges et médias (Plon), Quatremer agace prodigieusement un candidat traumatisé à l’idée qu’on puisse s’intéresser à sa vie privée. « Méluche » l’accuse d’être « le premier à écouter dans les chiottes ».

La fatigue qui rend faible, la rage qui rend fort

Longtemps, Jean-Luc Mélenchon ne s’est pas couché de bonne heure. A la tête d’une distribution dont les personnages secondaires sont peu connus, le héros du film s’occupe de tout ou presque, depuis presque deux ans qu’il bat la campagne. « Son agenda n’est pas humain, reconnaît son conseiller, Eric Coquerel. L’idée, c’est qu’il ne soit pas surhumain. » Outre ses déplacements, la susceptibilité de son allié, le PCF, requiert aussi du temps et de l’énergie. Sa phrase décrivant, dans le Journal du dimanche, François Hollande comme « un capitaine de pédalo », avait courroucé les communistes soucieux de ménager l’avenir avec le partenaire socialiste. Au moment de l’arrestation de Dominique Strauss-Kahn, à New York, il lui a été difficile de trouver le sommeil, tant il était agité par la stupéfaction. Entretenant un rapport passionnel avec la politique, Mélenchon est un homme aux nerfs à fleur de peau, capable, dans le même après-midi, d’envoyer balader un chauffeur de taxi comme de s’arrêter dix minutes pour discuter avec une jeune fille dans la rue.

Sondages en hausse autant que salles pleines, voilà l’EPO du candidat : « On porte une ambition historique, et je ne rigole pas quand je dis ça. Ça aide à se lever le matin. » En Auvergne, le Zénith était compact, chaud, magnifique. A Paris, la Bastille était « rouge » de monde.

Peut-on transformer la liesse en avenir politique commun ? Si le Parti de gauche l’espère, le PCF, lui, temporise. Le soir du 18 mars, Jean-Luc Mélenchon, Pierre Laurent, le secrétaire national du PCF, et leurs amis ont célébré le succès de la Bastille, dans un restaurant du XIe arrondissement. Et se sont époumonés sur des refrains révolutionnaires. Mais passé le mois de mai, chanteront-ils encore ensemble ?

TUGDUAL DENIS

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