© RENAUD CALLEBAUT

« Je ne crois pas que le vote soit l’alpha et l’oméga de la démocratie »

Humoriste téméraire sur France Inter aux côtés de Charline Vanhoenacker et Alex Vizorek dans l’émission Si tu écoutes, j’annule tout, Guillaume Meurice est souvent présenté comme la caution radicale de gauche du service public français. Amoureux de la joute verbale et du débat d’idées, ses bons mots au contact des Français ont rythmé la campagne électorale présidentielle et apporté un vent d’air frais sur les ondes.

Vous aimez vous présenter avec ironie comme un bobo islamo-gauchiste pour prendre le contre-pied de vos détracteurs. Et vous affirmez être étonné de jouir de tant de libertés sur France Inter. Est-ce prétendre qu’on peut encore dire ce qu’on veut dans les médias en 2017 ?

Certainement pas dans tous les médias, mais en tout cas à France Inter, je dois bien reconnaître qu’on ne m’a jamais censuré. Ma seule condition pour rester affilié à un média, c’est de pouvoir y dire ce que j’ai envie, de la manière dont j’en ai envie. Après, ça m’étonne toujours un peu qu’on soit surpris d’avoir le droit de dire ce qu’on veut sur une radio publique. Parce que si vous faites le compte, il n’y en a pas beaucoup des pays où vous pouvez dire que votre Premier ministre est un con sur la radio d’Etat. Le fait même que ce soit devenu un privilège est inquiétant. C’est peut-être aussi pour ça qu’avec Charline et Alex on utilise ce droit au maximum. Parce qu’un droit, si vous ne l’utilisez pas, il a tendance à disparaître.

Malgré tout, on a l’impression que la tension était palpable dans les différents médias français lors du récent entre-deux-tours de la présidentielle. Exemple : la chronique de Pierre-Emmanuel Barré incitant au vote blanc et refusée par Nagui…

C’est Nagui qui a paniqué, mais ce n’est en aucun cas venu d’en haut. Nagui a refusé dans un premier temps que Pierre-Emmanuel lise sa chronique avant de revenir sur sa décision, mais le mal était fait. C’était très confus et cela prouve, en effet, qu’il y avait une tension partout ailleurs. Mais, personnellement, je ne l’ai pas ressentie. Peut-être bien parce que ma ligne éditoriale était la même que celle de la direction, ça je n’en sais rien, on ne le saura jamais. Ce qui est sûr, c’est que dans mes chroniques, je donne mon avis. J’essaie que ce soit le plus rigolo possible, mais j’ai toujours dit réellement ce que je pensais. Et là, en l’occurrence, ce que je pensais, c’est qu’il ne fallait pas voter blanc, qu’il ne fallait pas s’abstenir, mais aller voter Emmanuel Macron. Je n’ai pas voté pour moi, mais pour un mec qui arrive en France et qui est sans-papiers. Si vous votez Le Pen ou si vous vous abstenez, ça veut dire que ce gars-là, vous vous en foutez en fait ?

Dans vos chroniques, tout au long de la campagne présidentielle, vous n’avez cessé de vous moquer des candidats à l’Elysée. Pourquoi s’opposer publiquement au vote blanc quand on ne se reconnaît pas dans l’offre politique ?

Parce que les stratégies d’apprentis sorciers de la démocratie, ça ne me parle pas. Je ne joue pas avec les gens qui pensent que Le Pen au pouvoir, c’est peut-être pas si mal. C’est ma limite de  » le monde est un jeu « . Ce n’est pas que je suis contre le vote blanc, mais je considère qu’à partir du moment où on me demande mon avis en tant que citoyen, je le donne. Je suis pour la reconnaissance du vote blanc, qui peut être le symptôme d’une vraie faille dans la démocratie, mais même si celui-ci venait à être reconnu, je continuerai toujours à faire un choix. Cela aurait été Fillon – Le Pen, j’aurais malgré tout voté Fillon. Je ferai toujours le choix du  » moins pire « . Je l’avais d’ailleurs fait dès le premier tour en votant Mélenchon. En fait, je ne crois pas que le vote soit l’alpha et l’oméga de la démocratie. Je pense qu’on fait plus de politique dans la vie de tous les jours en faisant attention à ce qu’on consomme ou à ce qu’on dit qu’en mettant une fois tous les cinq ans un bulletin dans une urne. C’est peut-être parce que je ne mets pas tant de charge symbolique que ça dans le vote que je m’en amuse autant et que ça ne me coûte pas d’aller voter pour un gars qui fait de la politique comme on fait des coups financiers.

C’est plus ludique d’amener les gens au bout de leur raisonnement que de les forcer à penser comme vous pensez »

Vous parlez  » d’aïkido sémantique  » au sujet de vos chroniques, dans la manière que vous avez de rebondir sur les  » bons  » mots de vos interlocuteurs. Est-ce un sport plus qu’un art de jouer avec les contradictions des gens ?

C’est avant tout un jeu. J’ai évoqué l’aïkido, parce que c’est un sport où vous vous servez de la force de votre adversaire. C’est un peu du raisonnement par l’absurde. Ça vient surtout de mon père, cette envie de confronter les gens par le débat. C’est plus ludique d’amener les gens au bout de leur raisonnement que de les forcer à penser comme vous pensez. C’est pour ça que je dis que je ne suis pas militant quand on me pose la question. Je ne suis militant de rien, je m’amuse juste à révéler les failles et les contradictions. Et Dieu sait que j’en ai aussi, donc c’est rigolo.

En forçant à peine le trait, on pourrait presque oser la comparaison avec Strip-tease, l’iconique émission télé. Si vous deviez identifier votre filiation humoristique, vous diriez qu’elle vient d’où ?

Ce qui peut être dérangeant dans Strip-tease, c’est de montrer les gens. Moi, c’est uniquement du son et je ne cite que les noms de mes intervenants qui ont des responsabilités et donc, quelque part, des comptes à rendre à la société. Mais pour répondre à la question, je crois que ça vient en partie de mon éducation. J’ai grandi dans un petit bled perdu dans la campagne, en Haute-Saône, avec des parents marchands de journaux tendance soixante-huitarde, où les gens venaient discuter politique. Personne n’était jamais d’accord, mais c’était toujours jovial. Moi, j’étais gamin, je me prenais des fions, mais il fallait répondre, je pense que ça vient de là le goût de la discussion et cet amour pour le débat. C’est peut-être aussi pour ça qu’aujourd’hui, les zones hostiles comme le rassemblement pro-Fillon au Trocadéro contre la presse et la justice ou la Manif pour tous, c’est un peu ma zone de confort. En fait, ce que je fais à l’antenne en 4 min 30, je peux le faire à une terrasse de café pendant deux heures parce c’est vraiment ce que je suis.

Charline Vanhoenacker a dit de vous :  » Son art, c’est de sublimer une forme de micro-trottoir. Il utilise la parole de l’autre et la retourne sans être jamais agressif ni méchant.  »

Je suis assez déterministe philosophiquement parlant. C’est-à-dire que je n’en veux pas aux gens d’être comme ils sont parce que moi, si je suis comme ça, j’estime que c’est un coup de bol. Par exemple, je ne tire aucune gloriole de ne pas être homophobe. Quand je discute avec un homophobe, je ne le considère pas comme un con, je me dis que son parcours de vie l’a amené là. Je sais qu’il se trompe, parce que c’est quelqu’un qui a peur que la civilisation change si deux mecs s’embrassent sur la bouche, mais je n’ai pas de jugement de valeur. L’idée dans mes chroniques, ce n’est jamais de dire :  » Tu as tort, tu es un con.  » Même avec un mec Front national, ou un identitaire réac promariage pour tous, j’ai toujours l’espoir que cette personne puisse se dire que peut-être sa vision des choses n’est pas la bonne. Mais ça marche dans les deux sens. Par exemple, je suis devenu végétarien après une chronique au salon de l’agriculture où une gamine m’avait confié qu’elle ne mangerait plus de viande parce que je lui avais fait réaliser qu’elle était en train de caresser son steak. Je ne mangeais déjà pas beaucoup de viande, mais j’ai estimé que je ne pouvais pas sans cesse attaquer le lobby de la viande sans quelque part être un minimum cohérent.

Pour Guillaume Meurice, pas question de voter pour Le Pen. Et plutôt que voter blanc, il préfère le choix du
Pour Guillaume Meurice, pas question de voter pour Le Pen. Et plutôt que voter blanc, il préfère le choix du  » moins pire « .© Bonnaud Guillaume/belgaimage

Une chronique par jour sur France Inter en plus de deux représentations hebdomadaires de votre seul-en-scène, c’est un rythme difficilement tenable sur la longueur. Un ami à vous vous définit comme un obsédé du réel, incapable de se plonger dans un roman. Ne ressentez-vous jamais le besoin de prendre la tangente ?

Je lis beaucoup de philo, des essais aussi. Je ne me sens pas en prison, donc je n’ai pas besoin de m’évader. Je ne dis pas qu’il faut brûler les romans, mais il y a un côté psychologique : si je sais que ce n’est pas vrai, je ne vais pas y croire. Quand je vois un film, je décadre tout. Si je vois un mec accroché à une falaise, je m’imagine l’ensemble de l’équipe technique derrière la caméra, les cafés en train de refroidir sur la table régie. C’est ce qui explique que je n’ai jamais pleuré devant un film. Je trouve que la réalité est toujours plus forte que ce qu’un humain peut imaginer. Je peux ressentir une forte émotion devant un paysage, mais pas devant un tableau parce que je m’imaginerai toujours le gars en train de le peindre.

Vous êtes passé par le cours Florent, une célèbre école de théâtre parisienne mais, à vous écouter, on ne sait pas toujours si on a affaire à un chroniqueur, un humoriste ou un éditorialiste. Comment vous définissez-vous ?

Aujourd’hui, au mieux, je suis ce qu’on pourrait appeler un éditorialiste humoristique, je donne mon avis, je reste donc dans la subjectivité. Je ne me cache pas derrière une carte de presse, c’est pour ça que quand je vais dans des meetings de droite, il y a pas mal de gens qui disent bien m’aimer. Ils ne sont en rien d’accord avec moi, mais ils m’écoutent et je les fais marrer parce que je ne me cache pas derrière de l’objectivité.

Bio Express

1981 Naissance à Chenôve (Bourgogne).

2007 Premier seul-en-scène intitulé Annulé puis renommé Mort de rire en 2008 et à nouveau renommé Tout le monde y passe au cours de la même année.

2010 Crée un blog alimenté au rythme d’une chronique par semaine.

2012 Devient chroniqueur sur France Inter dans l’émission de Frédéric Lopez On va tous y passer.

2014 Deuxième seul-en-scène, Que demande le peuple ?

2014 Rejoint Charline Vanhoenacker et Alex Vizorek pour le lancement de Si tu écoutes, j’annule tout, du lundi au vendredi sur France Inter de 17 à 18 heures.

2015 Renonce à sa chronique dans La Nouvelle Edition de Canal+ après le refus de la rédaction de le voir diffuser un dessin de Charb.

2016 Il met en scène le one- man-show Suicide artistique de son ami Francisco E Cunha, qui avait lui-même mis en scène Que demande le peuple ?

2017 Si tu écoutes, j’annule tout explose tous les compteurs et se rapproche du million d’auditeurs. Seules Les Grosses Têtes de Laurent Ruquier sur RTL résistent au succès du trio belgo-français.

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