Giorgia Meloni
Giorgia Meloni © Belga

Elections en Italie: victoire de l’extrême droite, et maintenant ?

« Nous gouvernerons pour tous les Italiens »: la patronne de l’extrême droite italienne Giorgia Meloni, qui veut devenir Première ministre après sa victoire aux législatives de dimanche, a tenté de rassurer face aux inquiétudes exprimées dans son pays et à l’étranger.

Une période d’incertitude s’ouvrait lundi en Italie et dans l’Union européenne au lendemain de la victoire aux législatives de Giorgia Meloni, aux commandes d’une coalition droite/extrême droite qui devra affronter des défis considérables. Forts de la majorité absolue au Parlement, la dirigeante de Fratelli d’Italia (post-fasciste) avec ses alliés Matteo Salvini de la Ligue (anti-immigration) et Silvio Berlusconi de Forza Italia (droite) vont tenter dans les prochains jours de former un gouvernement.

Le lent dépouillement des bulletins de vote confirmait lundi matin la nette avance de Mme Meloni qui recueille plus de 26% des suffrages. Son parti est désormais la première formation politique du pays devant le Parti démocrate (PD, centre-gauche) d’Enrico Letta, à 19%.

Giorgia Meloni
Giorgia Meloni © Getty

Après la Suède, l’extrême droite fait donc une nouvelle percée en Europe, où pour la première fois depuis 1945 un parti post-fasciste se retrouve aux portes du pouvoir. En restant dans l’opposition à tous les gouvernements qui se sont succédé depuis les législatives de 2018, Fratelli d’Italia (FdI) s’est imposé comme la principale alternative.

« Les Italiens ont envoyé un message clair en faveur d’un gouvernement de droite dirigé par Fratelli d’Italia », a réagi Mme Meloni, affirmant ainsi son ambition de devenir Première ministre. « Nous gouvernerons pour tous » les Italiens, a-t-elle promis. « Nous le ferons dans l’objectif d’unir le peuple », a-t-elle ajouté dans un discours de rassemblement et d’apaisement en reconnaissant que la campagne électorale avait été « violente et agressive ».

43% des suffrages

La coalition qu’elle forme avec l’autre parti eurosceptique d’extrême droite, la Ligue de Matteo Salvini, et Forza Italia, le parti conservateur de Silvio Berlusconi, récolterait environ 43% des suffrages, ce qui lui assure la majorité absolue des sièges aussi bien à la Chambre des députés qu’au Sénat. La formation fondée fin 2012 par Giorgia Meloni avec des dissidents du berlusconisme devance le Parti démocrate (PD, gauche) d’Enrico Letta, qui n’a pas réussi à susciter un vote utile pour faire barrage à l’extrême droite et passe sous la barre des 20%, dans un contexte de faible participation (64,07%, contre 73,86% en 2018). 

Quel est le programme de la coalition des droites en Italie ?

UE, immigration, politique familiale ou énergétique: voici les principaux points du programme de la coalition entre l’extrême droite et la droite italiennes.

Politique étrangère

– Respect des engagements pris dans la cadre de l’Alliance atlantique.

– Soutien à l’Ukraine face à l’invasion russe et soutien à toute initiative diplomatique pour trouver une solution au conflit.

– Pleine adhésion au processus d’intégration européenne, avec la perspective d’une Union européenne plus politique et moins bureaucratique.

– Révision des règles du Pacte de stabilité et de la gouvernance économique.

– Défense et promotion des racines et identité historiques et culturelles judéo-chrétiennes de l’Europe.

Économie et social

– Pleine utilisation des ressources du plan de relance, en comblant les retards actuels de mise en œuvre.

– Accord avec la Commission européenne, comme prévu par les règlements européens, pour une révision du plan de relance en fonction des conditions, des nécessités et des priorités nouvelles.

– Réduction de la pression fiscale pour les familles, les entreprises et les travailleurs indépendants.

– Suppression du revenu universel minimum.

– Revalorisation des minima retraite, sociaux et invalidité

Institutions

– Élection du président de la République au suffrage universel direct.

– Poursuite du parcours engagé pour la reconnaissance des autonomies régionales, en garantissant les mécanismes de péréquation.

Familles

– Plan de soutien à la natalité qui prévoit des crèches gratuites, crèches dans les entreprises, ludothèques. Réduction de la TVA sur les produits et services pour la petite enfance.

– Introduction progressive du quotient familial.

Sécurité, immigration

– Lutte contre toute forme d’antisémitisme et d’intégrisme islamique.

– Lutte contre l’immigration irrégulière et gestion ordonnée des flux légaux de l’immigration.

– Favoriser l’inclusion sociale et au travail des immigrés réguliers.

– Défense des frontières nationales et européennes.

– Blocage des bateaux pour empêcher, en accord avec les autorités nord-africaines, la traite des êtres humains.

– Création de hot-spot sur les territoires extra-européens, gérés par l’Union européenne, pour examiner les demandes d’asile.

La vice-présidente du PD Debora Seracchiani a reconnu la « victoire de la droite emmenée par Giorgia Meloni », ce qui marque « une soirée triste pour le pays« .

La presse de droite, elle, exultait lundi. « Révolution dans les urnes », titrait Il Giornale, le quotidien de la famille Berlusconi, tandis que Libero constatait: « La gauche battue, (nous sommes) libres!!! ».

« Meloni prend l’Italie », écrivait en revanche La Repubblica, quotidien de gauche qui s’est opposé frontalement à Giorgia Meloni pendant la campagne. La Stampa détaillait « les mille inconnues » auxquelles l’Italie fait face après la « victoire historique » de l’extrême droite.

« Que cela survienne un mois avant le centenaire de la marche sur Rome et du début des 20 années de dictature de Mussolini est une coïncidence: les Italiens qui ont voté Meloni ne l’ont pas fait par nostalgie du fascisme » mais le point commun entre l’autocrate fasciste et Mme Meloni est qu’ils arrivent au pouvoir « à la fin d’un marathon solitaire contre tout et tous », analyse le journal de Turin.

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Deux semaines après la Suède

Ce séisme intervient deux semaines après celui qui, en Suède, a vu la victoire d’un bloc conservateur comprenant les Démocrates de Suède (SD), parti issu de la mouvance néonazie qui a réalisé une forte percée, devenant la première formation de droite du pays nordique. Dans ce qui a été (mal) perçu à Rome comme un avertissement sans frais, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen avait rappelé jeudi que l’UE disposait « d’instruments » pour sanctionner les Etats membres portant atteinte à l’Etat de droit et à ses valeurs communes. « Les Italiens ont offert une leçon d’humilité à l’Union européenne qui, par la voix de Mme von der Leyen, prétendait leur dicter leur vote », a cinglé sur Twitter le président du Rassemblement national français Jordan Bardella.

‘Grande inconnue’

Bêtes noire de Bruxelles, le Premier ministre hongrois Viktor Orban et son homologue polonais Mateusz Morawiecki ont eux aussi adressé dès dimanche soir leurs « félicitations » à Mme Meloni.  M. Orban, par la voix de son directeur politique, le député Balazs Orban, a ajouté ce message: « Nous avons plus que jamais besoin d’amis partageant une vision et une approche communes de l’Europe ». Meloni « a montré la voie vers une Europe orgueilleuse et libre de nations souveraines », s’est réjoui de son côté le leader du parti espagnol d’extrême droite VOX, Santiago Abascal.

Fratelli d’Italia doit son succès autant au vent de « dégagisme » qui souffle sur la péninsule qu’au charisme de sa dirigeante. Cette Romaine de 45 ans qui, jeune militante, disait admirer Mussolini, est parvenue à dédiaboliser son image et rassembler sur son nom les peurs et les colères de millions d’Italiens face à la flambée des prix, au chômage, aux menaces de récession ou à l’incurie des services publics.

Un pays en crise

Le nouvel exécutif succédera au cabinet d’union nationale mené depuis janvier 2021 par Mario Draghi, l’ancien chef de la Banque centrale européenne (BCE), appelé au chevet de la troisième économie de la zone euro mise à genoux par la pandémie. Draghi avait négocié avec Bruxelles l’octroi de près de 200 milliards d’euros d’aides financières à l’Italie en échange de profondes réformes économiques et institutionnelles, une manne qui représente la part du lion du plan de relance européen. Malgré les enjeux, plusieurs partis qui avaient accepté d’intégrer son gouvernement (Fratelli d’Italia était resté dans l’opposition) ont fini cet été par le faire tomber, pour des raisons purement électorales, entraînant la convocation de législatives anticipées. Et alors que « Super Mario« , présenté en sauveur de la zone euro lors de la crise financière de 2008, apparaissait comme une caution de crédibilité aux yeux de ses partenaires européens, l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite nationaliste, eurosceptique et souverainiste fait craindre une nouvelle ère d’instabilité.

Et le prochain gouvernement aura fort à faire puisqu’il devra notamment gérer la crise causée par l’inflation galopante, l’Italie croulant déjà sous une dette représentant 150% du PIB, le ratio le plus élevé de la zone euro derrière la Grèce et une inflation de plus de 9% avec des factures de gaz et d’électricité qui mettent en difficultés de millions de personnes.

Enfin, dans le dossier ukrainien, l’Europe et les alliés de l’Italie, membre de l’Otan, scruteront également la répartition des portefeuilles entre les trois partis. Car si Giorgia Meloni est atlantiste et soutient les sanctions frappant Moscou, M. Salvini s’y oppose.

Une courte espérance de vie ?

Dans ce pays à l’instabilité gouvernementale chronique, les experts s’accordent déjà sur la courte espérance de vie de la coalition victorieuse, un mariage de raison entre trois alliés aux ambitions concurrentes. Pour Mme Meloni, « le défi sera de transformer son succès électoral en leadership de gouvernement qui puisse s’inscrire dans la durée, c’est cela la grande inconnue », a estimé dimanche soir Lorenzo De Sio, professeur de sciences politiques à l’université Luiss de Rome. Mme Meloni, sans expérience gouvernementale à part un passage éphémère au ministère de la jeunesse (2008-2011), aura fort à faire pour gérer ses encombrants alliés, bien plus expérimentés: Silvio Berlusconi a été plusieurs fois chef de gouvernement et Matteo Salvini, ministre de l’Intérieur et vice-Premier ministre.

Les prochaines étapes

En Italie le chemin vers un nouveau gouvernement peut s’avérer tortueux et traîner en longueur.

Dans le passé, ce processus a pris entre un peu moins de quatre et douze semaines. En général, plus le résultat du scrutin est clair plus le délai est court, même si certaines étapes sont incompressibles. Deux records ont été enregistrés dans l’Histoire récente: Silvio Berlusconi n’a eu besoin que de 24 jours en 2008 pour emménager à Palazzo Chigi, tandis qu’il fallu pas moins de 89 jours à Giuseppe Conte en 2018 pour réaliser le même parcours.

Il est cependant acquis que l’Italie sera représentée par le Premier ministre démissionnaire Mario Draghi lors du sommet informel des chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE à Prague le 7 octobre.

Voici les prochaines étapes du processus politique en Italie après les législatives:

>> Résultats officiels : le ministère de l’Intérieur publie sur son site les résultats officiels du dépouillement des bulletins de vote au fur et à mesure qu’ils arrivent et le résultat définitif ou presque devrait être connu lundi dans la journée.

>> Les élus se réunissent : les nouveaux élus du Sénat et de la Chambre des députés doivent, selon la Constitution, se réunir dans un délai de 20 jours après la tenue des élections, soit le 15 octobre au plus tard. Lors de leur première réunion plénière, ils doivent élire leurs présidents respectifs et ce n’est qu’à ce moment que commence le processus de nomination du gouvernement.

>> Le président entame les consultations: en Italie, la tradition politique veut que le président de la République entame les consultations sur la nomination du nouveau chef du gouvernement par les présidents des deux chambres, suivis par les chefs des principaux partis et éventuellement les chefs des groupes parlementaires. Si le résultat du scrutin est clair, ces consultations sont brèves – deux jours environ -, mais s’il ne l’est pas elles peuvent durer jusqu’à une semaine, après quoi le chef d’Etat donne mandat à une personnalité pour former un nouveau gouvernement. Cette dernière accepte le mandat « avec réserve », entame les négociations avec ses alliés concernant les postes ministériels et le programme. A l’issue de ces négociations, si tout va bien, le candidat pressenti se rend chez le président et « lève sa réserve ».

>> Finalement le gouvernement : le nouveau gouvernement est alors annoncé dans la foulée et prête serment devant le président de la République le jour même ou le lendemain au plus tard, après quoi il se rend à Palazzo Chigi, siège de l’exécutif, pour la passation de pouvoirs avec le gouvernement sortant.

 

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