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Innocence Project : une initiative pour traquer les erreurs judiciaires

Depuis la création d’Innocence Project en 1992, 305 détenus américains victimes d’erreurs judiciaires ont été innocentés puis libérés. A Lyon, un avocat lance une branche française et espère faire évoluer les mentalités de la justice hexagonale. Le projet pourrait bientôt voir le jour en Belgique.

Par Jacques Besnard

« C’est un soulagement et un dénouement, maintenant la vie continue ». Fin décembre dernier, après six ans et trois mois passés derrière les barreaux, Marc Machin, condamné à tort pour le meurtre à coups de couteau de Marie-Agnès Bedot, sort libre de la Cour d’assise de Paris après avoir été innocenté. Son salut : le véritable auteur du crime s’est livré à la police. Mais faut-il toujours miser sur la chance et la mauvaise conscience du coupable pour espérer être libéré ? En créant l’association Innocence Project, en 1992, deux juristes américains Barry Scheck et Peter Neufeld ont estimé que « non » et ils ont décidé de prendre les devants.
Depuis, aux Etats-Unis, au Canada, en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Royaume-Uni et depuis peu en France, Innocence Project a permis à des centaines de condamnés à tort d’obtenir une révision de leur procès. Autour d’étudiants en droit, tout le monde juridique (professeurs d’université, avocats, magistrats, policiers…) se mobilise bénévolement au sein de l’association pour réexaminer chaque dossier reçu. « Aux Etats-Unis, il y a eu 305 détenus libérés depuis 1992 alors qu’en France, il n’y a eu que huit procès en révision depuis 1945… Huit erreurs en 68 ans, cela voudrait dire que la justice française est quasiment parfaite ? », s’interroge l’avocat pénaliste Sylvain Cormier instigateur d’Innocence Project France.

Les promoteurs du projet en sont pourtant persuadés : les erreurs ne sont pas rares en matière criminelle. Les procédés scientifiques que l’on pensait parfaits peuvent devenir faillibles. Les jurés pourraient être influencés par le plaidoyer des avocats ou le comportement des accusés eux-mêmes. Surtout, Innocence Project avance sur son site internet que 75 % des témoins oculaires se tromperaient lors de l’identification du coupable. « Le témoin oculaire est fragilisé par ce qu’il a vu, explique Maître Cormier. Les informations induites sont très importantes. Un policier peut influencer un témoin. Le documentaire Un coupable idéal en est le parfait exemple. »

Innocence Project bientôt en Belgique ?

En Belgique, même si la loi prévoit la révision des condamnations pénales, il n’est pas évident de trouver la trace d’un procès en révision. « Les cas sont extrêmement rares. Je n’en ai pas connu en 18 ans de carrière », témoigne ainsi Henry Laquay, avocat pénaliste au barreau de Bruxelles. « C’est une procédure très verrouillée », confirme Adrien Masset avocat et professeur de procédure pénale à l’Université de Liège.

Du côté du Service public fédéral (SPF) Justice, chargé entre autres d’indemniser les victimes d’erreurs judiciaires pour chaque jour passé en prison, il n’y a pas non plus de preuve de compensation financière. « Je n’exclue pas que ce soit arrivé mais il n’y a pas de traces de remboursement », indique Koen Peumans, porte-parole de l’institution.

Pour cette raison, Marie Bodart, ancienne stagiaire d’Innocence Project en Arizona, aimerait lancer le même projet en Belgique. Cette jeune juriste de 26 ans a déjà dispensé un cours de deux heures à des étudiants en droit de l’Université Libre de Bruxelles afin de présenter l’organisation mais le projet n’en est pour le moment qu’à ses balbutiements. « Beaucoup d’étudiants ont été intéressés lors de cette présentation mais il faut du temps et de l’argent, explique-t-elle. Le projet est inédit et ne colle pas forcément avec l’esprit de l’enseignement belge où il y a encore de nombreux cours magistraux. »

La procédure pénale belge dite « inquisitoire », est également très différente de la procédure pénale américaine dite « accusatoire ». Maître Laquay n’est d’ailleurs pas forcément emballée par l’idée d’un Innocence Project belge. « Chez nous, l’enquête est diligentée à charge et à décharge par le parquet alors qu’aux Etats-Unis elle est partagée et menée à la fois par l’accusation et le prévenu avec parfois une différence de moyens. Il y a donc davantage de chance de trouver ultérieurement un élément nouveau aux Etats-Unis », argumente-t-il. « Il y a plus de garanties en Belgique, accorde Marie Bodart, mais cela n’exclut en aucun cas une possible erreur judiciaire. »

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