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« Il est fort peu probable de voir émerger un personnage comme Zemmour en Belgique francophone »

Charly Pohu Journaliste

Décrié et adulé, Eric Zemmour fait débat en France. Ce chroniqueur et écrivain, aux idées d’extrême droite, spécule sur le fait de se présenter aux élections présidentielles, en 2022. Pourrait-on voir émerger un tel personnage en Belgique francophone? Eléments de réponse avec Nicolas Baygert, professeur en communication politique à l’Ihecs, l’ULB et Sciences Po Paris.

« Il est fort peu probable de voir émerger, dans les mois et années à venir en tout cas, un personnage comme Eric Zemmour en Belgique francophone », analyse Nicolas Baygert. Depuis les années 2000, Eric Zemmour a été mis en notoriété par des émissions comme « On n’est pas couché », ses chroniques dans le Figaro et son émission sur CNews, ainsi que par ses livres, qui lui ont donné beaucoup d’admirateurs. « En Belgique francophone il n’y a pas de personnage équivalent », continue Nicolas Baygert.

Le cordon sanitaire médiatique « indiscutable »

« Le cordon sanitaire médiatique semble toujours indiscutable en Belgique francophone« , explique le professeur de communication politique de l’Ihecs. Dans les médias belges francophones, la déontologie dit effectivement qu’il n’est pas souhaitable d’interroger en direct des personnages qui tiennent des propos antidémocratiques ou incitant à la haine et à la discrimination. Un personnage comme Eric Zemmour ne pourrait donc pas, sur une télévision belge francophone, tenir les propos qu’il tient lors d’émissions en France, et ne serait pas invité à participer.

Une autre différence avec la France est le paysage politique. Le président français, Emmanuel Macron, a, par exemple, remporté les élections en tant que candidat surprise. Outsider, il s’est présenté, au début, sans parti ni mouvement politique. Zemmour, comme candidat, serait également dans cette position, car il n’a pas de mouvement politique derrière lui. En Belgique, la position des partis traditionnels est aujourd’hui plus fortement consolidée qu’en France, et il est rare de voir émerger des candidats solitaires, à part quelques candidats à droite du Mouvement Réformateur (MR), comme les Listes Destexhe, mais qui n’ont jamais réussi à percer.

Des personnages avec des idées politiques, notamment d’extrême droite, pourraient toutefois émerger sur les réseaux sociaux. Nicolas Baygert pense à Dries van Langenhove. Avant d’être coopté au Vlaams Belang, celui qui est devenu député fédéral avait déjà une forte notoriété sur les réseaux sociaux, notamment grâce à son organisation Schield en Vrienden, très contovesée suite à des révélations de la VRT sur ses propos racistes et à des camps d’entraînement quasi militaires.

« C’est tout à fait hypothétique, mais un personnage pourrait émerger sur les réseaux sociaux et rallier autour de lui, au nom d’une indignation commune, ou d’une opposition à une mesure, capitaliser sur cette notoriété, et rejoindre une formation politique, en Belgique francophone », analyse Nicolas Baygert. Mais les réseaux de le « droite alternative », nombreux en France, qui soutiennent Zemmour, sont beaucoup moins importants en Belgique. « En tout cas on ne voit pas d’amorce de ce phénomène, d’engouement de ce type pour un personnage particulier ».

Le débat français fait des émules en Belgique

Les sujets favoris de Zemmour, l’islam, l’immigration, la nation, ont pris de l’ampleur, au fil de ses émissions sur CNews, et depuis les spéculations sur sa candidature. Dès lors qu’il en parle, tous les autres candidats et commentateurs se sentent obligés d’en parler. Zemmour est ainsi un agenda setter, il met les sujets sur la table du débat public. « Des thématiques avant proscrites et bannies de l’espace public, longtemps associées au Front National », ajoute Nicolas Baygert.

Souvent, les débats français sont ensuite importés en Belgique, par proximité, via les médias et les politiques. « Ces débats risquent donc d’infuser en Belgique francophone, et cela permettrait à l’un ou l’autre leader d’opinion de s’emparer de ces thèmes-là, et essayer de les imposer dans le débat public en Belgique ».

Les médias français et Eric Zemmour : un jeu dangereux

Les médias français ont un rôle à jouer dans l’ascencion politique d’Eric Zemmour, analyse Nicolas Baygert. En maintenant le suspense quant à sa présentation comme candidat. « Il y a la fois la dénonciation du personnage et de la vision du monde qu’il incarne, et en même temps cet emballement autour d’une éventuelle candidature. Il y a toujours ce espoir avant les élections, dans le champ médiatique, de voir émerger un candidat ou une candidate surprise, à côté des favoirs. »

Le rôle des médias est donc double. D’abord en ayant contribué à l’émergence de cette personnalité, via Laurent Ruquier par exemple, et CNews. Ensuite le fait de créer du teasing autour de son entrée en campagne potentielle. « Ce jeudi sur BFM il va par exemple débattre avec Jean-Luc Mélenchon. Zemmour est un bon client, il assure les ventes, c’est la garantie d’un succès en kiosque et d’audimat. » Pour Nicolas Baygert, il s’agit d’hypocrisie médiatique, et d’un jeu dangereux.

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