Large private rich village on the island of Roatan © belga

Honduras : l’île de Roatán, future capitale du Bitcoin

Stagiaire Le Vif

Au Honduras, l’île de Roatán est devenue le théâtre d’une bataille pour les droits fonciers et la souveraineté. Le gouvernement hondurien et la communauté de Crawfish Rock, retranchée sur des terres ancestrales, font barrage à Próspera, Zone d’emploi et de développement économique (ZEDE), terrain de jeu des mineurs de Bitcoin.

Avec sa vue imprenable sur les plages de sable fin et l’eau turquoise de la mer des Caraïbes, Próspera forme une zone autonome, située sur une partie de l’île de Roatán ainsi que sur une portion de la Ceiba, ville située sur la côte atlantique du Honduras.  En avril dernier, le bitcoin, crypto-monnaie la plus répandue, a accédé au statut de monnaie légale dans cette zone autonome.

HONDURAS – 2004/01/01: Honduras, Bay Islands, Roatan Island, Tabyana Beach. (Photo by Wolfgang Kaehler/LightRocket via Getty Images)

Créée en 2020, Próspera jouit d’une autonomie fiscale, administrative et budgétaire.  Les régions spéciales de développement au Honduras peuvent être comparées, sur le plan juridique, au système en vigueur pour Hong Kong. Ces zones ne peuvent pas se séparer du Honduras, mais sont autonomes — elles déterminent notamment leurs propres taxes. Il existe actuellement trois principales zones de ce type en activité dans le pays : Ciudad Morazán (département de Cortés), Orquídea (département de Colón) et Próspera (département de Bay Islands). Les zones concernées sont en grande partie des régions riches en ressources naturelles. Elles abritent également d’importantes populations autochtones et afro-descendantes, qui ont été historiquement touchées par des conflits fonciers et des projets d’extraction, et ont été confrontées à des attaques et violations de leurs droits humains, y compris des disparitions forcées et des assassinats.

Eduquer 100 millions de personnes à la cryptomonnaie d’ici 2030

Fin 2021, l’île de Roatán, l’une des principales destinations touristiques des Caraïbes et un paradis pour les expatriés, pique la curiosité de Dušan Matuska, un mineur de bitcoin slovaque.

Entrepreneur, coach et consultant Bitcoin, Dušan Matuska est l’un des principaux éducateurs slovaques dans le domaine des crypto-monnaies. Ancien professeur de mathématiques et animateur international, il aide les gens à comprendre le bitcoin. Au cœur de ses ambitions, la conviction qu’il est possible d’éradiquer la pauvreté dans le monde grâce à la technologie. Son objectif : éduquer 100 millions de personnes à la cryptomonnaie d’ici 2030.

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Pour ce faire, Dušan Matuska a cherché le bâtiment parfait pour ouvrir un centre d’éducation Bitcoin. Il met le grapin sur un bâtiment de l’île de Roatán en avril dernier. Ce centre s’inscrit aujourd’hui dans la vision de Próspera et de son CEO, Erick Brimen : « Il ne suffit pas de rendre le bitcoin légal » pour encourager son adoption. Les utilisateurs potentiels de la cryptomonnaie doivent aussi disposer des outils et des connaissances requis « pour l’utiliser de manière optimale ».

Roatán en proie au colonialisme monétaire

Dušan Matuska souhaite désormais faire connaître Roatán aux cryptophiles. L’installation de ce centre sur l’île de Roatán est symptomatique d’un phénomène plus large dans toute la région, où les étrangers amateurs de crypto-monnaies affluent depuis plusieurs années.  Ces projets – comme la proposition de « Bitcoin City » au Salvador – effraient les résidents locaux qui craignent d’être déplacés et comparent ces chercheurs d’or numérique à des colons.

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Sur son site Internet, Própsera présente les dessins de trois phases d’expansion qui semblent inclure le centre de Crawfish Rock dans sa juridiction, alimentant les craintes que les investisseurs puissent invoquer une clause juridique qui permettrait l’expropriation des terres sur lesquelles la communauté vit depuis des générations. Les représentants de Próspera ont promis qu’ils n’emprunteraient pas cette voie. L’avocat général de Próspera, Nick Dranias, dément que l’équipe de Próspera n’a pas suffisamment communiqué sur le projet avant son lancement et soutient qu’elle n’a nullement exproprié des habitants de leurs terres. Dans un article intitulé The Truth about Próspera et sur Twitter, l’avocat affirme que les relations avec la communauté locale sont cordiales. L’avocat a réagi à la publication d’un article du Guardian qui rapportait que les habitants de la région réagissaient mal aux plans d’expansion.  

« Sans surprise, étant donné la nature impactante de notre projet, nous avons été confrontés à un barrage de mensonges et de désinformation de la part des médias grand public »

Próspera, une Zone d’emploi et de développement économique (ZEDE)

Si Próspera a vu le jour, c’est grâce à une réforme de la constitution hondurienne il y a plusieurs années. En 2011, le Congrès hondurien a approuvé une loi qui a ouvert la voie à la création de Zones d’Emploi et de Développement Economique (ZEDE).

L’administration de Juan Orlando Hernández, président de la République de 2014 à 2022 avait assuré que le développement des ZEDE permettrait au Honduras de devenir le centre économique de l’Amérique centrale, en ouvrant ses portes aux marchés mondiaux, et en devenant un centre de création de nombreux emplois. A l’époque déjà, la société civile soupçonnait que ces installations menaceraient les droits de l’homme.

Ces zones constituent des morceaux du territoire national hondurien, soumis à un régime spécial, et dans lesquels les investisseurs contrôlent la politique fiscale, la sécurité et la résolution des conflits. Certains honduriens ont mis en garde que leur création entraînerait la vente aux enchères du territoire national, de la souveraineté et des droits de tous les Honduriens, ce qui aurait de graves répercussions sociales, économiques et environnementales.

En octobre 2012, la Chambre constitutionnelle de la Cour suprême du Honduras a estimé que cette loi était inconstitutionnelle, car elle modifiait des aspects fondamentaux de la Constitution hondurienne, notamment en violant la souveraineté du Honduras, en refusant la gouvernance de l’État sur ces zones. Malgré cette décision, le Congrès national a approuvé la loi sur les zones d’emploi et de développement économique en 2013.

Devenir un étranger dans son propre pays 

Honduras Fernando García, ancien ministre de l’économie et ancien vice-président de la Banque centraméricaine d’intégration économique, a expliqué à la PBI (Peace Brigades International) que céder la souveraineté hondurienne inquiétait les locaux : « Nous pourrions devenir des étrangers dans notre propre pays ». Les ZEDE pourraient compliquer encore davantage la lutte contre la corruption. Le Centre national des travailleurs de terrain (Central Nacional de Trabajadores del Campo – CNTC) évoque quant à lui les conséquences sociales (déplacements forcés, augmentation de la conflictualité et de la violence, perte du patrimoine culturel, migrations et répression des protestations) et environnementales (notamment la déforestation, la pollution, la perte de biodiversité et la destruction des zones naturelles protégées).

Les ZEDE, utiles dans la lutte contre la pauvreté ?

Les ZEDE sont-elles vraiment utiles pour lutter contre la pauvreté ? « Il n’y a aucune garantie que les plus pauvres en tirent un quelconque avantage. Ce sont des zones d’exploitation, uniquement intéressées par leur propre développement économique », explique le Front commun contre les ZEDE. Sans compter que cela limite l’accès à la terre et à la mer, là où les locaux puisent des ressources.

La règlementation autour des ZEDE leur octroie une expansion illimitée. Les ZEDE sont installées dans des zones où il n’y aurait pas d’habitants, où « il n’est donc logiquement pas nécessaire d’organiser une consultation préalable, car il s’agit de zones vides sans personne à consulter, bien qu’il y ait une population environnante », fait remarquer le Front commun contre les ZEDE.

Bras de fer avec le gouvernement

Si ses avocats démentent tout malentendu avec les locaux, Próspera n’en est pas moins en conflit avec le gouvernement hondurien. Fin avril, le nouveau gouvernement, porté par Xiomara Castro, présidente depuis fin janvier 2022, a abrogé des lois qui avaient permis la création des ZEDE. Juste avant l’abrogation, Próspera avait annoncé une nouvelle série d’investissements à hauteur de 60 millions de dollars et l’adoption de la crypto-monnaie bitcoin comme monnaie légale.

Depuis que la présidente Castro a abrogé la loi ZEDE en avril, le projet dispose de 12 mois pour s’inscrire dans un cadre différent, comme une « zone franche » qui offrirait des réductions d’impôts, mais ne permettrait pas l’autogestion. Mais depuis avril, l’entreprise a continué à fonctionner comme si de rien était et a poursuivi ses projets de construction. Dans une déclaration publiée le 4 mai, les investisseurs campaient sur leur position : « En investissant au Honduras, Honduras Próspera, Inc. s’est appuyé sur des garanties spécifiques de stabilité juridique de la part du Honduras, selon lesquelles les droits et les autorités prévus par le cadre juridique de la ZEDE resteraient en vigueur en ce qui concerne Próspera pendant de nombreuses décennies ». De plus, ils s’attendent à ce que « le Honduras respecte ses engagements en vertu des accords de stabilité juridique et des traités internationaux ». Résultat : le gouvernement est acculé par des investisseurs et risque un procès coûteux.

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