Six mois après le séisme qui a fait 2 300 morts le 14 août 2021, les Haïtiens vivent toujours dans un pays sinistré. © belga image

Haïti, six mois après le tremblement de terre: le règne de la défiance (analyse)

Ludovic Hirtzmann Journaliste correspondant au Canada

Répétition des catastrophes, rôle controversé des ONG, déliquescence de l’Etat: six mois après le tremblement de terre et sept mois après l’assassinat du président Jovenel Moïse, les Haïtiens perdent l’espoir d’un sursaut.

« Que peut donc attendre Haïti de l’aide internationale? Au regard des expériences locales depuis 2010 et de nos trois grandes catastrophes datées – le séisme du 12 janvier 2010, le passage sur le sud de l’ouragan de force 5 Matthew (NDLR: en octobre 2016) et le séisme du 14 août 2021 -, on peut répondre lapidairement: pas grand-chose », écrivait le quotidien haïtien Le Nouvelliste, un mois après le séisme de l’an dernier.

Ce tremblement de terre, de magnitude 7,2 sur l’échelle de Richter, a ébranlé le sud-ouest d’Haïti. Contrairement à 2010, l’aide internationale a mis du temps à parvenir sur place et a été beaucoup plus modeste, toutes proportions gardées. Cette catastrophe a révélé, une fois de plus, qu’Haïti était incapable d’y faire face seule. A ce propos, Le Nouvelliste ajoutait: « Haïti est encore incapable de se prendre en main. N’a-t-on pas entendu le Premier ministre Ariel Henry demander à un bailleur de fonds multilatéral de prendre le leadership de la réponse au séisme? »

Haïti est un pays dont les infrastructures sont en état de déliquescence. Les secours ont été confrontés à des bandes armées, dont la violence a mis en péril les opérations de sauvetage. Les enlèvements se sont multipliés ces derniers mois. La police et l’armée, sous-équipées et corrompues, sont désorganisées. « Pour ce dernier séisme, les dommages ont été moins importants et moins visibles [qu’en 2010], en milieu rural, et avec toute l’attention tournée vers la pandémie, les troubles en Haïti ont peu de place dans les médias », confie le professeur Pierre Minn, spécialiste de la question haïtienne à l’université du Québec, à Montréal (Uqam). Le bilan du séisme du 14 août révèle malgré tout 2 300 morts, 12 000 blessés, de nombreux disparus et plus de 53 000 maisons détruites.

Dans tous les cas, la population d’Haïti est prise en otage par ce contexte qui semble insoluble.

La république des ONG

Si des déclarations de solidarité sont arrivées du monde entier au lendemain du séisme, si plusieurs dizaines de médecins cubains ont été dépêchés sur place et si les Etats-Unis ont réagi à l’urgence, le bilan est décevant. Les Haïtiens vivent toujours dans un pays sinistré. Fatalistes, résignés, beaucoup n’y croient plus. Selon Richard (1), ancien PDG d’une usine de textile qui vit à Cap-Haïtien, les organisations humanitaires sont aussi un aspect des problèmes du pays: « Il faudrait déjà que les ONG réduisent leur flotte de voitures de luxe. Comme leurs salaires sont élevés, les prix augmentent. A l’instar de nos politiciens, ils ont l’argent, donc le pouvoir, ce qui pousse beaucoup de filles à se prostituer. » L’ONG Oxfam a ainsi été impliquée dans un immense scandale. L’un des responsables d’Oxfam à Haïti, le Belge Roland van Hauwermeiren, a dû démissionner en 2018 après avoir organisé des orgies avec des prostituées. Malgré le scandale, Oxfam semblait ne pas avoir pris la mesure du désastre. « Qu’avons-nous fait? Avons-nous tué des bébés dans leur lit? L’ampleur et l’intensité des attaques semblent hors de proportion par rapport au niveau de culpabilité. J’ai du mal à comprendre », a confié, en 2018 à la BBC, le directeur d’Oxfam John Goldring.

Dans cette version moderne des Misérables, Cosette serait Haïti. Et Richard d’ajouter: « Plus rien ne fonctionne dans ce pays. Jusque dans les années 1980, il y avait des écoles dirigées par des jésuites bretons. Le niveau était excellent et lorsqu’on obtenait un baccalauréat, il était possible d’aller en France poursuivre ses études à l’université. C’est fini. Aujourd’hui, n’importe qui, sans formation, ouvre une école. » Au-delà de la catastrophe humaine et matérielle du séisme du 14 août, de nombreux Haïtiens sont persuadés que leur pays est frappé par une malédiction. Depuis le séisme de 2010, ses 200 000 morts et son million et demi de sinistrés, le pays enchaîne les catastrophes. La moindre tempête tropicale, qui serait sans conséquences en République dominicaine voisine, prend des allures dramatiques en Haïti. Les cyclones font de plus en plus de dégâts car, à cause de la déforestation, il n’y a plus de barrière naturelle.

Crise de gouvernance

Pour ajouter au chaos ambiant, Haïti fait face à une terrible crise de gouvernance, encore plus depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse, le 7 juillet dernier. Sept mois plus tard, l’enquête piétine, tellement les acteurs impliqués sont nombreux. Haïtiens tout d’abord, mais aussi des Etats-Unis, de Colombie, de République dominicaine, du Venezuela et du Canada. Jusqu’au premier ministre Ariel Henry, récemment soupçonné de complicité dans l’assassinat. La justice haïtienne, corrompue, sous-payée, semble dans l’incapacité d’agir seule. L’actuel gouvernement souffre aussi d’une crise de légitimité. Nommé deux jours avant l’assassinat de Jovenel Moïse, Ariel Henry, qui a le soutien des Etats-unis, devait céder son poste le 7 février dernier. Il a refusé, mais a promis d’organiser des élections… sans fixer de date.

Professeur à l’Uqam, spécialiste de l’humanitaire, François Audet souligne que « la gouvernance demeure la priorité. La crise politique actuelle laisse la population à la merci des groupes armés. Perte de confiance, impunité et vengeance font partie du narratif ambiant actuellement ». Son collègue Pierre Minn ajoute que cette crise est aussi due à « des politiques internationales qui ne favorisent pas le développement économique en Haïti« . Quelle solution pour l’île la plus pauvre de la région? François Audet résume deux écoles de pensée: « L’une préconise une intervention internationale afin de faciliter cette transition de bonne gouvernance, l’autre stipule plutôt que la solution doit demeurer haïtienne. » Mais le professeur conclut: « Dans tous les cas, la population d’Haïti est prise en otage par ce contexte qui semble insoluble. »

(1) Le prénom a été modifié.

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