La Première ministre Sanna Marin et le président Sauli Niinistö annonçant la candidature d’adhésion de la Finlande à l’Otan: un tournant dans l’histoire du pays et de l’Europe. © BELGA IMAGE

Guerre en Ukraine: l’Otan dopée par Poutine (analyse)

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Les demandes d’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’Alliance atlantique signent l’échec du président russe, qui voulait combattre son extension à l’est. Elles renforcent aussi la protection des pays Baltes.

Les demandes d’adhésion à l’Otan de la Finlande et de la Suède sont une conséquence inattendue de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. «Notre conclusion est que notre non-alignement militaire ne nous servira pas aussi bien à l’avenir», a commenté la Première ministre suédoise Magdalena Andersson, le 15 mai, pour résumer le sentiment qui prévaut à Stockholm et à Helsinki. Le gouvernement suédois à un seul parti, le Parti social-démocrate des travailleurs, et son homologue finlandais, alliance de cinq formations allant des sociaux-démocrates aux écologistes et à la gauche radicale, en sont donc arrivés à la même conclusion: face à la Russie de Vladimir Poutine, la «neutralité» n’est plus tenable. Journaliste spécialiste des questions de défense et consultant pour la chaîne de télévision LCI, Pierre Servent analyse ce tournant stratégique.

Poutine est dans une posture mentale de prédation. Il prend, mais il ne négocie pas.

Que signifie la demande d’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’Otan?

Que Vladimir Poutine a réussi ce tour de force non seulement de renforcer la cohésion de l’Otan, mais en plus d’accélérer un processus d’adhésion qui n’était pas du tout dans les tuyaux. Les Suédois et les Finlandais n’y songeaient pas. Donc, c’est un des échecs stratégiques de Poutine. Cela modifie aussi la géostratégie puisque la Finlande a une frontière de 1 300 kilomètres avec la Russie et que sa position, une fois entrée dans l’Otan, renforcera les pays Baltes, qui se sentaient un peu isolés. Cette évolution extrêmement importante indique bien les motivations qui ont conduit à l’adhésion de pays d’Europe de l’Est à l’Alliance au cours des années précédentes. Ils l’ont fait non pour imaginer une agression contre la Russie mais pour se protéger d’un réveil de l’ours russe. Vladimir Poutine aboutit exactement au résultat inverse à ce qu’il voulait.

L’Otan devrait-elle faire preuve de prudence face à ces demandes d’adhésion, vu la menace de rétorsion agitée par Poutine, ou doit-elle affirmer tranquillement sa puissance?

Je ne pense pas qu’il s’agisse d’affirmer sa puissance. Il s’agit de respecter le droit des peuples et des Etats à exercer pleinement leur souveraineté. La France et l’Allemagne ont bloqué depuis 2008 la demande de l’Ukraine d’entrer dans l’Otan pour ne pas fâcher la Russie. Cela ne l’a pas empêché d’envahir l’Ukraine. Il y a vraiment une question psychologique. Il ne s’agit pas d’avoir des positions belliqueuses. Mais accepter que ce soit la Russie qui gouverne les pays de son étranger proche est inacceptable. Si on a la guerre aujourd’hui en Ukraine, c’est que l’on n’a pas été suffisamment ferme avec Poutine ces dernières années, que l’on a accepté des choses inconcevables, comme l’annexion de la Crimée. On n’a pas pris la mesure de cet événement gravissime, le fait qu’un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU se permette d’envahir un Etat souverain et annexe une partie de son territoire. Tout cela ne pouvait qu’encourager Poutine à continuer. Dans le chef de l’Otan, ce n’est pas une affirmation de puissance, c’est un volonté de défense. On a cette position singulière où l’ours russe se trouve face à un poulailler. Il a déjà boulotté deux ou trois poules, en Géorgie et en Ukraine. Et il se scandalise parce que les poules sont en train de renforcer leur grillage. Certains affirment que l’on humilie l’ours russe parce que l’on renforce le grillage du poulailler: ce type de raisonnement est quand même assez extraordinaire.

© SOURCE: OTAN

Faut-il se méfier de la domination des Etats-Unis sur l’aide à l’Ukraine et de certains propos va-t-en-guerre ou antirusses de l’administration Biden?

Il y a une différence de sensibilité entre les Américains et les Européens. C’est assez classique. On l’a vu ces derniers mois par rapport à la Chine. Le côté croisade que les Américains peuvent parfois avoir n’est pas dans le ton des discours des Européens. Un certain nombre de leurs propos ne sont pas utiles. Il faut rester extrêmement calme. Aider les Ukrainiens à se défendre me paraît être le minimum que l’on puisse faire. Raison de plus pour ne pas évoquer de changement de régime à Moscou. Cela appartient aux Russes. Quand le général Austin (NDLR: le secrétaire d’Etat américain à la Défense) explique qu’il faut affaiblir l’armée russe pour qu’elle ne puisse pas poursuivre ses exactions, sa déclaration est recevable. L’idée que l’armée russe subit suffisamment de niveaux de destruction pour que son appétit se réduise ne me paraît pas une idée folle mais, pour ma part, je ne trouve pas utile de le claironner.

Dire à Poutine “on vous a humilié, donc on fera des concessions”, c’est exactement ce que les Européens ont fait dans les années 1930 avec Hitler.

Une reprise des négociations est-elle possible?

Je n’y crois pas du tout, si ce n’est, éventuellement, en vue d’un cessez-le-feu, à un moment ou à un autre, pour reconstituer les forces de l’armée russe. Vladimir Poutine ne négociera jamais avec Volodymyr Zelensky qu’il considère comme un nazi, même s’il est juif, et un drogué. C’est totalement impossible. Poutine est dans une posture mentale de prédation. Il prend, mais il ne négocie pas. Il n’y aura pas de véritables négociations. Il n’abandonnera jamais le territoire qu’il a conquis. Cette conviction s’appuie aussi sur le constat qu’il y a plus d’un mois, Volodymyr Zelensky a fait des ouvertures diplomatiques très importantes, en affirmant notamment qu’il renonçait à entrer dans l’Otan, que la discussion sur la question de la Crimée serait reportée à plus tard, et qu’il faudrait voir ensuite comment trouver un compromis pour le Donbass. Il y avait matière à discuter sur la table. La discussion n’a jamais eu lieu. Ceux qui croient à une négociation n’ont pas compris dans quel monde on a basculé et ce que Vladimir Poutine a en tête. Il veut «désoccidentaliser» le monde avec son allié chinois. Il est engagé dans un projet historique qui vise à reconstruire par la force un empire qui n’est pas tellement soviétique mais tsariste. Rien ne l’arrêtera. C’est pour cela qu’il ne faut pas faiblir, sans être va-t-en-guerre ni faire n’importe quoi. Mais courber l’échine, dire à Poutine «on vous a humilié, donc on fera des concessions», c’est exactement ce que les Européens ont fait dans les années 1930 avec Hitler.

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