En vertu du droit international humanitaire, les prisonniers de guerre doivent être traités avec humanité. Sera-ce le cas avec les Ukrainiens du régiment Azov? © belga image

Guerre en Ukraine: les devoirs à l’égard des prisonniers de guerre

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Les prisonniers de guerre, c’est-à-dire les soldats détenus par un Etat, doivent être traités avec humanité. Leurs droits sont régis par la troisième Convention de Genève adoptée à l’issue de la Seconde Guerre mondiale et ratifiée par l’Ukraine et la Russie.

Chargé de cours au Centre de recherche de droit international de l’ULB, Vaios Koutroulis est spécialiste du droit humanitaire. Il détaille les règles internationales qui président au traitement des prisonniers de guerre et des populations déplacées.

Que prévoient les conventions internationales à propos des prisonniers de guerre?

Il existe une convention internationale qui régit spécifiquement le statut et le traitement des prisonniers de guerre: la troisième Convention de Genève, adoptée en 1949, et universellement ratifiée, ce qui est très rare pour un traité international. Tous les Etats du monde sont parties à la Convention, y compris la Russie et l’Ukraine. Des règles pertinentes se trouvent dans d’autres textes, comme le premier protocole additionnel de 1977 ou les conventions de droits de l’homme qui restent applicables pendant un conflit armé, mais le texte fondamental est la troisième Convention de Genève.

Quelles en sont les grandes lignes?

Le statut des prisonniers de guerre est très particulier. En temps de paix, toute privation de liberté doit être justifiée et la personne détenue a le droit d’être informée des raisons de sa détention et de les contester devant un tribunal. En temps de conflit armé, le droit humanitaire permet de garder en détention les combattants de la partie adverse pendant la durée des hostilités sans autre justification que le simple fait qu’ils sont des combattants. Pendant un conflit, un Etat peut garder en détention les combattants de la partie adverse afin de les empêcher de continuer à participer aux hostilités, en d’autres termes de les mettre hors de combat. Cette raison suffit pour les maintenir en détention jusqu’à la fin des hostilités sans aucune autre justification ou procédure.

Le droit humanitaire s’applique. Peu importe la manière dont les Etats qualifient le conflit.

Vaios Koutroulis, chargé de cours au Centre de recherche de droit international de l’ULB

Quelles sont les obligations de la partie détentrice des prisonniers?

La troisième Convention de Genève, qui comprend tout de même 143 articles, prévoit un régime très détaillé concernant les conditions de détention des prisonniers de guerre. Le principe de base est que ces prisonniers doivent être traités avec humanité. Cela n’implique pas seulement une interdiction de les tuer, les torturer ou les traiter de manière cruelle ou discriminatoire. La troisième Convention de Genève contient des règles concernant la nourriture et l’approvisionnement des prisonniers en articles nécessaires, les locaux de détention qui doivent remplir des conditions minimales d’hygiène (par exemple, être suffisamment chauffés et éclairés et ne pas être humides), la vie quotidienne dans le camp de détention (les prisonniers pourront pratiquer leur religion, doivent bénéficier du plein air et pouvoir faire de l’exercice physique, des sports ou des jeux, les officiers doivent être traités avec les égards dus à leur grade, le travail est réglementé, etc.). Les prisonniers de guerre doivent aussi pouvoir entretenir une correspondance avec leur famille et pouvoir être visités par les membres du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), et selon la procédure suivie par le Comité, qui prévoit, par exemple, des entretiens individuels sans témoin pour que le détenu puisse librement s’exprimer sur ses conditions de détention.

Vaios Koutroulis © dr

Quand l’Ukraine organise le procès d’un prisonnier de guerre russe, contrevient-elle à la Convention de Genève?

Les poursuites contre les prisonniers de guerre sont aussi régies par le droit humanitaire. On peut poursuivre des prisonniers pour des faits potentiellement qualifiables de crimes de guerre commis avant leur capture. La troisième Convention de Genève prévoit très explicitement que, malgré ces poursuites, les combattants poursuivis garderont leur statut de prisonnier de guerre et la protection de la Convention. Donc, la Convention n’exclut pas du tout des poursuites pour crimes de guerre. Au contraire, elle les encourage parce qu’il y a une obligation dans le chef des Etats parties d’activement mener des enquêtes pour constater s’il y a eu une violation grave des règles du droit humanitaire et prendre les dispositions nécessaires pour poursuivre les personnes responsables. Il est sans doute utile de préciser que, si les prisonniers de guerre peuvent être poursuivis pour crimes de guerre éventuels, ils ne peuvent pas être poursuivis pour les actes qu’ils ont commis dans le cadre de leur participation aux hostilités qui sont licites à la lumière du droit humanitaire. Le soldat d’un Etat partie à un conflit armé est un combattant, ce qui implique qu’il a le droit de participer aux hostilités et, dans ce cadre, de tuer les soldats de la partie adverse. Ces actes – qui seraient un homicide intentionnel, un meurtre, s’ils étaient commis en temps de paix – sont licites quand ils sont commis entre combattants en temps de guerre. Ainsi, le prisonnier de guerre pourra être poursuivi pour les actes qui violent le droit humanitaire et constituent des crimes de guerre – avoir délibérément tué des civils, avoir pillé des biens civils, etc. – mais pas pour les actes licites en vertu des règles du droit humanitaire.

Le statut des prisonniers poursuivis pour crimes de guerre en est-il modifié?

La troisième Convention de Genève prévoit que ces personnes gardent le statut et la protection de prisonnier de guerre même si elles sont poursuivies et condamnées pour crimes de guerre. Alors que le droit humanitaire prévoit la libération des prisonniers de guerre une fois les hostilités terminées, les prisonniers condamnés pour crimes de guerre resteront en détention puisqu’ils devront purger leur peine. Pendant ce temps, ils continuent à bénéficier des visites de la part du CICR. Une fois la peine purgée, ils devront être libérés. Toutefois, il faut préciser que la position de la Russie est que les personnes qui ont fait l’objet d’une condamnation définitive pour crimes de guerre ne bénéficient plus de la protection de la troisième Convention de Genève pendant le temps qu’elles purgent leur peine. Reste à voir si elle invoquera cette interprétation pour celles qui se trouveront éventuellement dans cette situation. Si la base légale des poursuites des prisonniers de guerre pour crimes de guerre ne pose pas de difficulté, c’est plutôt à la manière dont les procès ont lieu qu’il faut être attentif. Le droit humanitaire prévoit que les prisonniers de guerre ont droit à un procès équitable, tenu devant un tribunal indépendant, avec un respect des droits de la défense, etc. Lorsqu’on est encore dans la phase active des hostilités, remplir ces exigences peut présenter un défi supplémentaire. Il faut donc rester très attentif à la procédure et au déroulement des poursuites pour crimes de guerre dans ces conditions.

Lorsqu’on est encore dans la phase active des hostilités, remplir les exigences du droit humanitaire en matière de justice peut présenter un défi supplémentaire.

La Russie parle d’«opération militaire spéciale» à propos de son intervention en Ukraine. Pourrait-elle se servir de cet artifice pour se soustraire à ses obligations en matière de droit humanitaire?

Si, dans les faits, il y a un affrontement entre deux Etats, les Conventions de Genève s’appliquent. Le droit humanitaire s’applique. Peu importe la manière dont les Etats qualifient le conflit.

De quel statut bénéficient les populations civiles? Peuvent-elles être déplacées pour des raisons de sécurité?

Cette question est régie par la quatrième Convention de Genève sur la protection des personnes civiles, qui a aussi été adoptée en 1949. Elle prévoit que les civils ne peuvent pas être transférés de manière forcée, soit individuellement, soit collectivement, à l’extérieur d’un territoire occupé. Il existe toutefois une exception à cette interdiction. La Convention stipule qu’il est possible d’entreprendre des évacuations totales ou partielles d’une région si la sécurité de la population l’impose ou si des raisons militaires impérieuses l’exigent. Ce transfert doit normalement avoir lieu à l’intérieur du territoire occupé sauf, exception à l’exception, si c’est matériellement impossible. Evidemment, tout civil qui a été évacué en vertu d’une des raisons invoquées doit être ramené à son lieu d’origine dès que ces raisons cessent d’être opérantes.

Le sous-officier russe Vadim Chichimarine, jugé à Kiev, a été condamné, le 23 mai, à la prison à vie pour avoir tué un civil ukrainien.
Le sous-officier russe Vadim Chichimarine, jugé à Kiev, a été condamné, le 23 mai, à la prison à vie pour avoir tué un civil ukrainien. © belga image

Des civils ukrainiens arrêtés à Marioupol peuvent être déplacés à Donetsk, en Ukraine, mais pas sur le territoire russe?

En principe, oui. Mais si la sécurité des populations ou une raison militaire impérieuse exige un déplacement de population et si ce transfert qui devrait normalement s’opérer à l’intérieur du territoire occupé n’est matériellement pas possible, alors, en dernier recours, un déplacement sur le territoire de la partie détentrice serait permis. Toutefois, comme il s’agit d’une hypothèse très exceptionnelle, l’Etat devra prouver que toutes les conditions qui justifient un tel déplacement sont remplies, qu’il n’est, par exemple, matériellement pas possible de déplacer ces personnes à l’intérieur du territoire occupé.

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