Plus d’un million de réfugiés ukrainiens – le plus souvent des femmes et des enfants – sont arrivés en Allemagne depuis le début de la guerre. © GETTY IMAGES

Guerre en Ukraine: l’Allemagne compte déjà plus de réfugiés qu’en 2015

Nathalie Versieux Journaliste, correspondante en Allemagne

Les communes tirent la sonnette d’alarme face à l’arrivée en nombre de migrants d’Ukraine mais aussi de pays du Sud. Mais l’Allemagne a, en partie, appris des errements observés il y a sept ans.

A la gare centrale de Berlin, les affiches en ukrainien sur fond bleu et jaune indiquant aux nouveaux arrivants où trouver de l’aide sont toujours là. Le stand de la Deutsche Bahn et ses salariés équipés de gilets jaunes aussi. Trois femmes arrivées le matin même se font expliquer la procédure pour poursuivre leur trajet vers l’ouest du pays où les attendent des amis. A première vue, on est loin de l’affluence qui régnait début mars dans les gares allemandes, lorsqu’arrivaient chaque jour des dizaines de trains chargés d’Ukrainiens, en provenance de Pologne.

«Pour l’instant, la situation est calme, décrit Anja. Mais si les bombardements se poursuivent, c’est sûr que l’on verra de nouveau arriver de nombreuses familles. Je ne sais pas si nous parviendrons encore à les placer chez des particuliers comme on a pu le faire en mars et avril.» La jeune femme est bénévole dans le sud-ouest de Berlin, prête à reprendre du service à la moindre alerte.

Route des Balkans réactivée

Plus au nord, au centre d’accueil réservé aux demandeurs d’asile non ukrainiens, dans le quartier de Reinickendorf, la situation est nettement plus tendue. Quelque 20 000 personnes s’y sont présentées rien qu’en septembre, une hausse de 30% en un an. Equipés de bracelets de différentes couleurs indiquant la date de leur arrivée en Allemagne, certains réfugiés sont en errance depuis plusieurs semaines. Les matelas manquent, comme le personnel pour procéder aux démarches administratives.

Depuis le début de l’année, l’Allemagne a accueilli en neuf mois plus de migrants que tout au long de l’année 2015. Plus d’un million de réfugiés ukrainiens – le plus souvent des femmes et des enfants – sont arrivés depuis la fin février et l’invasion de leur pays par la Russie. En parallèle, des dizaines de milliers de Syriens, Irakiens, Afghans ou Nigérians empruntent de nouveau la route des Balkans, souvent via la Serbie, accusée par l’Union européenne d’être devenue une nouvelle plaque tournante du trafic d’êtres humains. De janvier à août, 120 000 réfugiés non ukrainiens sont ainsi arrivés en Allemagne, un tiers de plus que l’an passé. Là encore, Berlin s’attend à une accélération du nombre des arrivées à la veille de l’hiver.

En 2015, les gens ont dû attendre beaucoup trop longtemps pour bénéficier de cours d’allemand et d’intégration. Aujourd’hui, tout va plus vite.

«En Allemagne, nous dépasserons cette année le nombre des arrivées de 2015», avertit Thomas Liebig, économiste en chef du département migrations internationales de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Aujourd’hui déjà, partout à travers le pays, les logements manquent et les communes, qui prennent en charge l’aide sociale versée aux réfugiés, s’inquiètent de ne pouvoir tenir leurs budgets. Comme en 2015, l’heure est de nouveau aux cellules de crise. La priorité est d’éviter les scènes de chaos observées voici sept ans, lorsque les réfugiés syriens arrivés par la route des Balkans ont dû camper, pour certains pendant des jours, devant les bureaux des services d’immigration débordés. Déjà à Berlin, il ne restait, début octobre, que deux cents lits disponibles sur les 28 000 que comptent les foyers pour réfugiés de la capitale et la situation pourrait se dégrader très rapidement. Au point que la coalition vient de se résoudre à aménager l’aéroport désaffecté de Tegel en centre d’accueil. Hambourg, Dresde et Leipzig font de même avec une partie de leurs palais des congrès. Des gymnases sont réquisitionnés, équipés de tentures de séparation et de lits de camp. Des villages de tentes ou de conteneurs poussent sur d’anciens terrains vagues. Des images que le pays espérait pouvoir oublier.

Des différences de traitement entre réfugiés

«On a beaucoup appris de la crise de 2015, estime pourtant Dilek, qui tient, mi-octobre à Berlin, le stand de la chambre de commerce et d’industrie, IHK, lors d’une foire aux emplois à destination des réfugiés. Nous parvenons à placer les gens très rapidement au bout de quelques mois, à condition qu’ils aient appris suffisamment l’allemand. La demande est considérable, dans l’hôtellerie, la plomberie, l’électronique…» Ohla, enceinte de son premier enfant et mariée à un Allemand, est venue avec son père, maçon, arrivé en mars dernier à Berlin. «Il tourne en rond, parle tout le temps de travailler. Mais je vois bien qu’il lui faudra d’abord retourner à l’école…», soupire la jeune femme. Au stand de soutien aux start-up, Tamara, une spécialiste en marketing arrivée de Kiev en mars, prend les premiers contacts en vue de créer son entreprise. «Nous sommes vraiment mieux préparés qu’en 2015-2016, insiste Elanur, une jeune Turque de 26 ans engagée dans l’aide aux réfugiés depuis 2017. A l’ époque, les gens ont dû attendre beaucoup trop longtemps pour bénéficier de cours d’allemand et d’intégration, toucher les aides sociales, ils sont restés trop longtemps dans les foyers d’accueil. Aujourd’hui, tout va plus vite.» Du moins pour les Ukrainiens, qui ont rapidement bénéficié du statut de protection temporaire de l’Union européenne.

«La situation est plus simple pour les Ukrainiens et c’est assez frustrant pour les autres réfugiés, déplore Nora Bretzger, engagée dans une association de Berlin. Ils obtiennent immédiatement le droit de travailler, de se déplacer comme ils le veulent dans le pays, peuvent tout de suite s’inscrire à des cours d’allemand, toucher l’aide sociale… Pour nous, le constat est amer, car nous voyons bien que la volonté politique d’en faire autant avec les autres réfugiés manque, surtout pour les Afghans. Et puis, partout à travers le pays, avec le recul du nombre des arrivées depuis 2017, on a fermé des centres d’accueil, mis fin aux contrats avec les associations de soutien. Résultat, une fois de plus, on doit travailler en mode “catastrophe”, avec de nouveau des centres d’accueil surpeuplés. Jusqu’à présent, on a évité le drame parce que les Ukrainiens ont été accueillis par des amis ou leur famille déjà installée en Allemagne.»

A Berlin, une nouvelle réunion de crise entre l’Etat fédéral et les Länder est prévue pour début novembre, sur la répartition des coûts liés aux migrations. En attendant, la ministre de l’Intérieur a décidé de prolonger les contrôles aux frontières avec l’Autriche.

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