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Guerre en Ukraine: et, d’un coup, l’UE a pu agir rapidement et à l’unisson

Le Vif

En quelques jours, l’Union européenne a approuvé un ensemble substantiel d’aides à l’Ukraine et de sanctions financières et économiques contre la Russie. Du jamais vu. « Il y a un sentiment de David contre Goliath ».

Au sixième jour de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, force est de constater que les troupes russes ont du mal à prendre le contrôle de l’Ukraine. Il n’est plus question de guerre éclair et on observe une vive résistance dans les villes. Mais la réaction des pays tiers a également été féroce. L’Union européenne (UE), en particulier, annonce quotidiennement de nouvelles sanctions dans le but de frapper la Russie sur le plan économique et militaire et d’affaiblir le pouvoir de Poutine.

L’UE va envoyer des armes et de l’aide à l’Ukraine pour un montant de 500 millions d’euros. C’est historique, car c’est la première fois dans son histoire qu’elle finance l’achat et la livraison d’armes de guerre dans une zone de conflit. Ursula von Der Leyen qualifie cela de « tournant ».

Ursula von der Leyen
Ursula von der Leyen© Belga

Une vivacité de l’UE qui n’a pas manqué de surprendre Anthony Gardner, l’ancien ambassadeur américain auprès de l’Union européenne. Hendrik Vos, professeur de politique européenne (UGent) est d’accord : « Les sanctions vont assez loin et la décision de fournir et de financer des armes est sans précédent. Cela signifie que, dans des situations d’urgence comme celle-ci, l’UE peut agir avec force et être un acteur géopolitique fort« . Steven Van Hecke, professeur de politique européenne (KU Leuven), se montre tout aussi surpris: « L’UE n’est pas réputée pour agir rapidement et efficacement, il suffit de penser à la situation au Belarus l’année dernière. Or, ces derniers jours, c’est le cas. L’intervention militaire est à juste titre qualifiée d’historique. Si un projet de paix vieux de 70 ans comme l’UE offre une aide militaire plus rapidement que l’OTAN, cela n’a rien d’anodin. »

Une Europe que peu prenait au sérieux lorsqu’il s’agissait de défense et de politique étrangère.

L’UE a la réputation d’être lente, indécise et divisée. Ce dernier point est particulièrement vrai en ce qui concerne la crise financière (qui a vu le Nord diamétralement s’opposer au Sud) ou encore la crise migratoire (qui a vu l’Est s’opposer à l’Ouest). On a encore pu le constater au début de la crise du Covid ou chaque pays a pris des mesures en ordre dispersé, et avec l’achat chaotique de vaccins. Mais, et c’est moins mis en avant, l’UE est aussi capable de faire front commun. On a pu le voir avec le Brexit, qui a menacé l’union de l’intérieur. Les Britanniques ont eu beau essayer de monter les États membres les uns contre les autres, l’Union est restée ferme avec à la clé un divorce au désavantage des Britanniques.

Selon Van Hecke, deux facteurs jouent un rôle important dans l’action rapide de l’Union européenne. « Le premier, c’est que dans les yeux de l’UE la distinction entre coupable (la Russie) et victime (les Ukrainiens) est évidente. Il en résulte moins de désaccords internes sur l’opportunité de prendre de telles mesures. Le second est que l’opinion publique européenne, surprise par la brutalité de l’attaque, exerce une pression en faveur de sanctions strictes. En conséquence, les pays se sentent renforcés dans leur droit d’agir. Il y a une sorte de sentiment de David contre Goliath dans l’opinion publique, selon lequel il faut soutenir les courageux combattants ukrainiens », déclare M. Van Hecke.

L’Union européenne ne prend pas seulement des mesures militaires. Ces derniers jours, les États membres ont également annoncé une série de sanctions financières et économiques. Un certain nombre de banques russes ont été exclues du système de paiement international SWIFT, ce qui rend le commerce international considérablement plus difficile pour la Russie. Mais cela ne s’arrête pas là: les vols russes sont interdits dans l’espace aérien européen, la Banque centrale russe perd son accès aux actifs étrangers et les exportations de biens européens dont la Russie a besoin pour ses raffineries de pétrole sont interrompues.

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Il est difficile de savoir si ces mesures seront suffisamment dissuasives pour Poutine. « Avec les sanctions, il faut toujours attendre et voir », déclare Hendrik Vos. Parfois, elles s’avèrent faciles à contourner, même si, pour l’instant, on ne sait pas encore bien comment. C’est pour cette raison que l’UE utilise des sanctions sur différents fronts. Aucune de ces sanctions n’entraînera un retrait des troupes russes à titre individuel, mais leur combinaison peut nuire à la Russie.

Les personnes qui influencent directement l’invasion sont également délibérément visées par les sanctions. Par exemple, les avoirs de l’entourage de Poutine et des membres de la Douma et du Conseil national de sécurité sont gelés dans le but d’influencer les personnes au pouvoir, mais aussi de créer des tensions internes. D’un point de vue symbolique il est important de punir ces personnes. Cela a du sens et peut créer des tensions dans l’entourage de Poutine. En ce qui me concerne, on peut même aller encore plus loin que ce que l’on fait actuellement. Mais nous ne devons pas nous concentrer uniquement sur l’élite russe, car ces sanctions n’ont pas toujours l’effet escompté », déclare M. Van Hecke. Il souligne l’importance d’agir sur d’autres fronts. « Par exemple celui du Belarus et la Moldavie bien que pour des raisons différentes. Le Belarus est complice de ce conflit puisqu’en tant que voisin de l’Ukraine il soutient l’invasion et se prépare à envoyer lui-même des troupes. Cela devrait également faire l’objet de sanction. En ce qui concerne la Moldavie, elle est coincée entre l’Union européenne et l’Ukraine et devra également faire face aux conséquences de cette guerre. Il est important que l’UE regarde au-delà de l’Ukraine et de ses propres États membres en offrant également son soutien à la Moldavie. Par exemple en accueillant des réfugiés moldaves ».

Ce qui surprend le plus dans la situation actuelle est de constater que l’Union européenne, au travers de ces sanctions, apparaît comme un bloc uni. Non pas qu’il n’y ait pas de différends internes puisque, par exemple, l’Allemagne et l’Italie n’ont pendant longtemps pas été favorables à l’exclusion de la Russie du système SWIFT. « Si on ne peut jamais éviter les tensions internes, cela n’a pas empêché les États membres de prendre des mesures de façon relativement rapides et structurées », déclare M. Vos. « C’est comme si une sorte de ligne rouge avait été franchie, permettant aux États membres de se serrer les coudes plus facilement ».

Van Hecke est d’accord. « Mais je m’attends à ce que, lorsque la situation se sera stabilisée, chaque pays recommence à faire ses comptes. Quelqu’un comme Viktor Orbán, Premier ministre de la Hongrie, est très opportuniste à cet égard. Il y a un mois, il rendait encore visite à Poutine pour sécuriser l’approvisionnement en gaz de la Hongrie, aujourd’hui il surfe sur la vague de la « solidarité en Europe ». L‘Europe va-t-elle encore prendre d’autres mesures ? Selon Van Hecke, on va surtout observer un temps de pause. D’autant plus qu’on entend ici et là que l’Europe a outrepassé son rôle, notamment avec l’insinuation de Von der Leyen que l’Ukraine est la bienvenue dans l’Union. Selon toute vraisemblance, l’UE va maintenant prendre un peu de recul pour éviter que la situation ne s’aggrave davantage ».

Un sentiment de culpabilité et le virage allemand

Beaucoup de dirigeants européens se sont sentis coupables d’avoir abandonné l’Ukraine. Et, semble-t-il, encore plus après l’intervention du président ukrainien lors du sommet européen de jeudi dernier. Zelensky s’est adressé à eux lors d’un appel vidéo, en précisant que c’était peut-être la dernière fois qu’ils le voyaient vivant. De quoi motiver les différents dirigeants à repousser les limites, tout en cherchant à adoucir cette culpabilité à coup des sanctions sévères. Enfin ce qui aurait fini de les convaincre est le virage à 180 du chancelier allemand Olaf Scholz dimanche matin lorsqu’il a déclaré qu’une nouvelle ère s’était ouverte en matière de politique étrangère. Or, qu’on le veuille ou non, l’Allemagne peut faire basculer l’Europe.

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