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Francophonie : « Une tempête dans un verre d’eau »

« Louise Mushikiwabo devra se mettre au service des Etats membres de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) », souligne Jocelyn Coulon, chercheur à l’Université de Montréal, jusqu’à l’an dernier conseiller politique du ministre canadien des Affaires étrangères. La Rwandaise a évincé de son poste la Canadienne Michaëlle Jean, qui briguait un second mandat mais n’était même plus soutenue par son propre pays.

Sur quelles bases avez-vous pu prédire avant les autres la défaite de Michaëlle Jean ?

Le 18 mai dernier, quelques jours avant que le président Macron officialise la rumeur qu’il appuie la candidature de Louise Mushikiwabo, j’ai écrit que si tel était le cas, Michaëlle Jean allait perdre, et pour trois raisons. D’abord, le poids de la France dans l’OIF, à l’instar du poids des Etats-Unis dans l’ONU et qui a empêché Boutros Boutros-Ghali de rempiler pour un second mandat en 1996. Deuxième raison : les Africains ont pu se mettre d’accord sur une candidature unique, alors qu’en 2014, il y avait quatre candidats africains, ce qui a propulsé la nomination de Michaëlle Jean. La troisième raison, c’est la perte d’influence du Canada, notamment en Afrique.

Pour votre compatriote Michaëlle Jean, lâchée par son propre pays, la pilule doit être difficile à avaler, non ?

C’est une humiliation pour elle. C’est évidemment troublant que des pays démocratiques comme le nôtre, la France ou la Belgique aient donné leur consensus à la représentante d’un Etat autoritaire, mais c’est la vie des organisations internationales. Les Africains sont majoritaires et voulaient la Rwandaise à ce poste.

L’OIF est basée sur la défense de la démocratie, des droits humains et de la langue française. Or Louise Mushikiwabo a servi un régime peu en phase avec ces valeurs. C’est l’OIF qui va se réformer ou c’est Louise Mushikiwabo qui va devoir changer de cap?

Quand on devient secrétaire général de l’OIF, on se met au service des 54 Etats membres. C’est comme le secrétaire général de l’ONU. Madame Jean n’a pas mené la politique du Canada à l’OIF. De la même façon, Madame Mushikiwabo sera tenue de suivre une feuille de route qui sera décidée dans les différents comités. Si les Etats membres demandent à l’OIF de mettre l’accent sur la liberté de la presse, elle devra s’exécuter. Quant au français, seulement 36 Etats membres de l’OIF l’ont comme langue officielle ou d’usage. Au Rwanda, il est une des trois langues officielles, et il est en train d’être revalorisé. Cela dit, il n’y a jamais été parlé que par une minorité.

Entre France et le Rwanda, qui est le gagnant du deal?

La France, dont une partie du statut mondial se joue en Afrique, un continent marqué par le boom démographique et le dynamisme économique. Regardez la Turquie qui a 40 ambassades en Afrique, là où le Canada n’en a que 20. Ou la Corée du Sud. Le continent est de plus en plus convoité. La France fait aussi d’une pierre deux coups, en mettant sous le boisseau son contentieux avec le Rwanda (NDLR : qui l’accuse depuis 1994 d’avoir collaboré avec l’ancien régime qui a mené au génocide)

Vous avez écrit que le secrétaire général de l’OIF est plus secrétaire que général. Aurait-on surévalué cet épisode de passage de témoin entre les deux dames?

Oui, c’est une tempête dans un verre d’eau.

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