Tim Cahill, auteur, en 2006, du premier but australien en phase finale d'une Coupe du monde. © Jun Tsukida/belgaimage

Football et politique : l’Australie, le monde à l’envers

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

A travers les trente-deux pays qualifiés pour la Coupe du monde 2018, Le Vif/L’Express montre combien le sport roi et la politique sont intimement liés. Vingt-neuvième volet : comment l’Australie a fait un choix diplomatique pour exister sur la carte du monde en se qualifiant à quatre reprises pour le Mondial. Et pourquoi son fair-play légendaire lui réserve parfois de mauvaises surprises.

Cela reste, à ce jour, le plus gros carton jamais réalisé lors d’un match officiel par une équipe nationale. Le 11 avril 2001, l’Australie atomise littéralement les Samoa américaines sur le score de 31 buts à 0. Lors de cette même rencontre comptant pour les qualifications de la Coupe du monde, Archie Thompson, attaquant du Melbourne Victory, bat lui aussi un record mondial en devenant le buteur le plus prolifique au cours d’un même match, avec treize réalisations. Le plus incroyable, c’est que l’Australie bat de la sorte… son propre record, réalisé deux jours plus tôt en battant les Tonga 22 – 0.

Les Socceroos, surnom des joueurs australiens, ne sont pourtant pas des foudres de guerre au sein de la planète football. Dans la foulée de ces plantureuses victoires, ils échouent d’ailleurs à se qualifier pour la phase finale organisée au Japon et en Corée du Sud, éliminés par l’Uruguay lors d’une double confrontation en match de barrage. Jusque-là, leur seule participation à un Mondial, en 1974, s’était soldée par un fiasco : zéro but marqué, aucun match gagné, élimination précoce. Autant dire que ce 31 – 0 ne signifie pas grand-chose…

Un outil de soft power

Ce grand écart s’explique. Le football n’est pas le sport numéro un en Australie, loin s’en faut : il est précédé par le cricket, le rugby (à XIII ou à XV) et l’Australian rules, sport de contact à la sauce locale, mélange de rugby et de football américain très violent. Plus prosaïquement, ce pays se trouve… de l’autre côté de laTerre ; les retransmissions de la Coupe du monde ont souvent lieu durant la nuit. Qui plus est, l’Australie a longtemps fait partie de la zone Océanie au sein de la Fédération internationale : cela donnait certes l’occasion de réaliser des scores fleuves, mais cela l’empêchait de progresser en raison d’un environnement peu compétitif.

En 2006, changement de cap : l’Australie rejoint la zone Asie. Le choix est sportif : il donne la possibilité aux Australiens de se mesurer à des formations plus  » sérieuses  » comme le Japon, la Corée du Sud ou l’Iran. Il est stratégique, aussi : l’Asie est une puissance montante dans le monde du ballon rond, qui peut envoyer quatre ou cinq pays en phase finale (contre zéro ou un pour l’Océanie). Il est diplomatique, enfin : les dirigeants australiens ont compris que le world game, comme ils l’ont baptisé, est devenu un enjeu fondamental de soft power, dans lequel tout pays désireux de se situer sur la carte du monde se doit de réussir. Pour y arriver, il faut s’en donner les moyens…

Le 22 juillet 2005, la fédération australienne nomme Guus Hiddink à la tête de la sélection. Cet entraîneur expérimenté a dirigé les stars du Real Madrid, accumulé les honneurs aux Pays-Bas avec le PSV, porté l’équipe nationale néerlandaise et atteint le dernier carré de la Coupe du monde 2002 avec la Corée du Sud. Avec l’Australie, il réussit à vaincre le signe indien, au bout du suspense. Il la qualifie pour la Coupe du monde allemande de 2006 en prenant sa revanche sur l’Uruguay en barrage : une victoire 4-2 aux penalties, grâce au brio de son gardien Mark Schwarzer. De quoi faire de Hiddink une rock star :  » No Guus, no glory « ,  » In Guus we trust « … Et comme les Australiens n’ont peur de rien, ni de personne, ils voient grand pour la suite. Une ambition naïve qui se heurte, à deux reprises, au réalisme cynique du milieu.

Sur le terrain, en Allemagne, un autre héros australien sonne la charge. Alors que son pays est mené au score lors du premier match face au Japon, l’attaquant Tim Cahill tire, au milieu d’une forêt de jambes, et marque le premier but de l’histoire australienne en phase finale de Coupe du monde. A la 84e minute ! Cinq minutes plus tard, il récidive et offre à ses partenaires une victoire inespérée, ponctuée par un dernier but de John Aloisi. Score final : 3-1. Né d’un père britannique et d’une mère Samoa, Cahill symbolise le métissage d’un pays qui a longtemps renié ses racines.

Sepp Blatter, avec le représentant du Qatar, qui organisera la Coupe du monde en 2022.
Sepp Blatter, avec le représentant du Qatar, qui organisera la Coupe du monde en 2022.© Ross Kinnaird/Getty Images

Reality check, deux fois

Après une défaite logique face au Brésil, un nul contre la Croatie permet à l’Australie de défier l’Italie en huitième de finale. L’occasion de goûter aux joies souvent amères du haut niveau : à la 93e minute, alors que le score est toujours vierge en dépit d’une domination… australienne, le défenseur italien Fabio Grosso entre dans la surface de réparation, dribble et tombe. Penalty. Une autre légende, Francesco Totti, qualifie l’Italie. Contre le cours du jeu. Et dans la controverse générale : Grosso se serait laissé tomber, grossièrement. Comme trop souvent, les litiges d’arbitrage privilégient les géants du sport roi. Cette élimination est le fruit d’un reality check, selon les termes d’un observateur passionné du foot australien. L’enthousiasme fou né autour du ballon rond va bientôt retomber.

Une autre séquence impose à l’île-continent de garder les pieds sur terre, quatre ans plus tard, en 2010. Sur le terrain, l’Australie participe, en Afrique du Sud, à sa deuxième Coupe du monde consécutive. Mais, n’ayant pas le niveau, elle est éliminée dès le premier tour à la suite d’une lourde défaite contre l’Allemagne. La défaite la plus amère provient toutefois des salons feutrés de Zurich, cinq mois plus tard. Le 2 décembre 2010, la Coupe du monde 2022 est attribuée au Qatar, alors que l’Australie était candidate et avait de sérieux arguments à faire valoir. L’ambition pure des Australiens, qui placent le fair-play en tête de leurs valeurs, ne pèse rien face au cynisme d’un monde dominé par la pieuvre Fifa.

 » Le football est un jeu fait de valeurs d’éducation, dit sans rire Sepp Blatter, secrétaire général de la Fifa, au moment de l’attribution. Vous y apprenez à gagner, mais aussi à perdre, ce qui n’est jamais facile.  » Les preuves d’une corruption intensive au profit du Qatar s’accumulent toutefois les années suivantes. En 2014, le gouvernement australien annonce qu’il compte réclamer le remboursement des frais occasionnés par sa candidature. Tout en se déclarant prêt à prendre le relais du Qatar si cette désignation était finalement annulée. Le 2 juin 2015, Sepp Blatter démissionne. Mais le monde du football n’en est pas purifié pour autant.

L’Australie se rend aujourd’hui à la Coupe du monde 2018, fruit d’une quatrième qualification consécutive, avec un sentiment nettement moins euphorique. Sa génération, moins douée et vieillissante, n’a décroché son ticket pour la Russie qu’à l’issue d’une campagne poussive ponctuée par des victoires en barrage contre la Syrie, puis le Honduras. Tim Cahill, désormais vétéran de 38 ans, fait toujours partie de la sélection. Les mauvaises langues affirment qu’il doit sa présence au seul fait d’être la figure de proue publicitaire du géant pétrolier Caltex. Ange Postecoglou, l’entraîneur qui a porté les Socceroos durant la campagne, a tiré sa révérence dans d’étranges conditions. Il a été remplacé par Bert van Marwijk. Ce Néerlandais aura la délicate tâche de réveiller le rêve entamé par son compatriote Guus Hiddink en 2006. Il a un avantage sur lui : douze ans plus tard, il sait qu’il doit tenir compte de la réalité…

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