Robert Lewandowski : le meilleur buteur de l'histoire de la sélection polonaise. © FILIP ROGANOVIC/REPORTERS

Football et politique: la Pologne, de retour dans l’histoire

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

A travers les trente-deux pays qualifiés pour la Coupe du monde 2018, Le Vif/L’Express montre combien le sport roi et la politique sont intimement liés. Septième volet : comment la Pologne renoue avec le nationalisme, rêve d’un nouvel âge d’or et garde la rancune tenace contre ces pays qui l’ont fait souffrir, Allemagne et Russie en tête.

La Pologne pourrait être un des adversaires des Diables Rouges en huitièmes de finale de la Coupe du monde russe, l’an prochain. Ainsi en a décidé le tirage au sort du 1er décembre. Non sans un brin de malice. Car cette perspective ne rappellera pas forcément de bons souvenirs aux supporters belges. Ils se replongeront en 1982, dans cette Espagne post-franquiste ébranlée un an plus tôt par un coup d’Etat manqué. La Belgique est auréolée de sa victoire 1-0 contre la grande Argentine, lors du match d’ouverture, au Camp Nou de Barcelone. Un exploit, grâce à la reprise parfaite d’Erwin Vandenbergh, seul face au gardien. Lors du second tour, au cours duquel les qualifiés sont répartis en quatre groupes, Gerets, Coeck et les autres voyagent par procuration de l’autre côté du rideau de fer. Au menu : Pologne et Union soviétique. Un aller direct pour l’enfer.

Boniek, le sauveur

La Belgique est encore, en ce début des années 1980, un géant du ballon rond : l’équipe nationale a échoué en finale du dernier Euro, tandis que les clubs accumulent les prouesses en coupes d’Europe. C’est dire que les Diables rêvent d’une demi-finale mondiale. Mais le 28 juin 1982, face à la Pologne, c’est la bérézina. La faute à un seul homme :  » Zibi « . Zbigniew Boniek. Intenable, le milieu offensif marque trois buts et qualifie les siens pour le dernier carré. Ils y sont battus par le futur champion du monde, l’Italie, en demi, mais triomphent dans la finale de consolation face à une France encore traumatisée par le match violent de Séville contre l’Allemagne. Troisièmes, les  » Bia?o-czerwoni  » (les rouges et blancs) atteignent un sommet. Inégalé depuis.

De l’eau, il est vrai, a coulé sous les ponts de la Vistule qui arrose Varsovie. Au moment du rendez-vous espagnol, le pays vit sous une loi martiale instaurée par le général Jaruzelski pour enrayer les activités de Solidarno??, le syndicat indépendant dirigé par Lech Walesa. Surfant sur la vague de son Mondial réussi, Zbigniew Boniek quitte la morosité ambiante de son pays natal pour la Juventus de Turin. En 1983, lors d’un duel entre sa nouvelle équipe et le Lechia Gdansk, des slogans pro-Solidarité démontrent à l’Europe que la lutte n’est pas finie. Boniek remporte la Coupe d’Europe des clubs champions 1985 – un titre assombri par le drame du Heysel et ses 39 morts -, puis termine sa carrière de joueur à la Roma, avant d’entraîner Lecce et Bari. C’est la dolce vita. Non loin d’un autre Polonais célèbre, installé au Vatican : Karol Józef Wojty?a, alias Jean-Paul II, pape depuis 1978 et virulent détracteur du communisme. Quand Boniek revient s’ancrer en Pologne, le capitalisme a triomphé. C’est l’un des premiers dominos à tomber, en 1989, annonçant la chute du mur de Berlin.

Pour de nombreux Polonais, la mort du président Lech Kaczynski dans un accident d'avion, en 2010, porte la marque de Moscou.
Pour de nombreux Polonais, la mort du président Lech Kaczynski dans un accident d’avion, en 2010, porte la marque de Moscou.© ANDREAS RENTZ/GETTY IMAGES

Un vent de liberté et de démocratie souffle. Le 1er mai 2004, le pays adhère à l’Union européenne en même temps que neuf autres, à l’occasion de l’élargissement le plus ambitieux jamais réalisé depuis le début de la construction continentale. Mais la thérapie de choc libérale fragilise, dans un premier temps, l’économie polonaise : taux d’inflation record, chômage à 20 %… Le foot, qui était fortement soutenu par l’Etat, s’effondre. Encore qualifiée en 1986, l’équipe nationale ne participe à aucune phase finale de Coupe du monde jusqu’en 2002. Dont elle est éliminée au premier tour, comme en 2006. Peu rassurant avant l’Euro 2012, organisé par la Pologne et l’Ukraine. Un symbole de l’Europe réunifiée, tournée vers l’Est. Et un défi pour Moscou.

Le tirage au sort y oppose précisément Polonais et Russes, au premier tour. Le match se déroule dans un contexte houleux consécutif à la mort du président polonais Lech Kaczynski, lors d’un accident d’avion, le 10 avril 2010. Ce drame porte, aux yeux de nombreux Polonais, la marque de Moscou. Sur fond de contentieux historique. Pour marquer son retour dans l’histoire, la Pologne entend retrouver la mémoire. Et souhaite que la Russie reconnaisse sa responsabilité dans le massacre de Katyn, qui a coûté la vie à plusieurs milliers d’officiers polonais, au printemps 1940. C’est en se rendant en Russie pour une commémoration à Katyn que l’avion présidentiel s’écrase. Depuis, les tensions sont vives entre le parti Droit et justice (PiS), nationaliste, chrétien et ultraconservateur, et le régime autocratique de Vladimir Poutine. Résultat ? De violentes échauffourées entre supporters des deux camps avant le match. La Pologne est éliminée prématurément, après un triste 1-1. Zbigniew Boniek est appelé au chevet de ce foot bien mal en point : il devient président de la fédération nationale. A lui de remettre de l’ordre. Un sauveur, dans ce pays où l’on croit en Dieu avec ferveur.

Lewandowski, le nouveau pape

Boniek réussit la prouesse de rendre sa fierté à une nation malade. La Pologne reprend du poil de la bête face à un autre rival historique : l’Allemagne. A laquelle restent associés l’invasion marquant le début de la Seconde Guerre mondiale en 1939, le génocide juif et les litiges de frontières. Lors de l’Euro 2016, le 16 juin, au Stade de France, les deux équipes se quittent sur un score nul alors que l’Allemagne fait à nouveau figure d’épouvantail. De bon augure : la Pologne se qualifie pour les huitièmes de finale et échoue de peu en quarts de finale face au futur vainqueur portugais. Qu’importe : l’aigle national a retrouvé lustre et confiance, grâce à une nouvelle génération dorée. Et il se dote d’un nouveau pape en la personne de Robert Lewandowski.

Lors des éliminatoires pour le prochain Mondial russe, ce buteur-né bat deux nouveaux records, le 9 octobre dernier : il est le premier joueur à marquer seize fois en phase qualificative et le meilleur buteur de l’histoire de la sélection polonaise (51 réalisations en 91 matchs). A 29 ans. Cerise sur le gâteau, ce chrétien convaincu, qui a rendu visite au pape François à Rome, est devenu une star en mettant la Bundesliga à ses pieds : de 2010 à 2014 avec le Borussia Dortmund, depuis avec le Bayern Munich. Sans rire, certains observateurs zélés du football de l’Est (sur le passionnant blog footballiski.fr) estiment aujourd’hui que la Pologne ferait un beau vainqueur du Mondial 2018. La Belgique est prévenue. Sur le sol russe, ce serait une incroyable revanche après quarante ans de domination soviétique. Un rêve ? Peut-être. Mais qui aurait parié que le pape, un jour, serait polonais ?

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