Le football est promu par les autorités nigérianes pour reconquérir les jeunes et contrer le terrorisme. © SUNDAY ALAMBA/ISOPIX

Football et politique : au Nigéria, du pétrole et des idées

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

A travers les trente-deux qualifiés pour la Coupe du monde 2018, Le Vif/L’Express montre combien le sport roi et la politique sont intimement liés. Vingtième volet : comment le Nigeria reste une valeur sûre du continent africain, en dépit de la crise pétrolière et des attaques de Boko Haram. Et pourquoi le football peut aussi devenir une arme pacifique.

Un soupir de soulagement. Le 9 octobre 2016, le Nigeria s’en sort plutôt bien lors du match d’ouverture de la campagne qualificative pour la Coupe du monde russe. Deux buts d’Alex Iwobi et de Kelechi Iheanacho, les jeunes prodiges qui évoluent en Premier League anglaise, permettent aux Super Eagles de remporter la mise en Zambie, un des rivaux historiques du pays sur le plan sportif. 1-2 : c’est un bon début, au sein du  » groupe de la mort  » du continent africain, qui comprend aussi l’Algérie et le Cameroun. Un an plus tard, le 9 octobre 2017, le Nigeria confirme sa qualification pour la Russie en battant la Zambie par le plus petit score à domicile. Il peut à nouveau rêver de séduire le monde. En surmontant ses tourments politiques.

Crise, corruption et… victoires

Les Super Eagles reviennent pourtant de loin. Car le match initial en Zambie d’octobre 2016 a failli… ne jamais avoir lieu. Deux semaines auparavant, des sources internes à la fédération nigériane expriment la crainte qu’il soit impossible d’affréter un avion pour faire le déplacement, faute de moyens budgétaires. Le Nigeria, première puissance économique africaine, subit une violente récession due à l’effondrement des cours du pétrole, dont les recettes représentent 70 % de l’économie nationale, et aux attaques rebelles récurrentes contre les installations pétrolières. En outre, la fédération est gangrenée par la corruption, dénoncent les joueurs. Il y a de la rébellion dans l’air…

L’imbroglio zambien rappelle étrangement ce qui s’est déroulé deux mois plus tôt, à l’occasion des Jeux olympiques 2016, au Brésil. Lors du trajet aller, les joueurs nigérians, emmenés par un ancien joueur de Chelsea, John Obi Mikel, restent bloqués de longues heures à l’aéroport d’Atlanta et n’arrivent à Rio que sept heures avant leur match d’ouverture. Les autorités auraient… oublié de payer le charter censé les transporter. Le contretemps n’empêche pas l’équipe de remporter un premier match de folie contre le Japon 5-4. Et de décrocher une médaille de bronze contre le Honduras.

Les joueurs se plaignent, comme c’est le cas lors de chaque grande compétition, de problèmes dans le paiement de leurs primes. Un magnat de l’économie japonaise, Katsuya Takasu, milliardaire grâce à ses activités dans la liposuccion et fan du Nigeria, finit par signer un chèque de 10 000 dollars pour payer chacun des médaillés. L’honneur est sauf.

Au Brésil, le Nigeria a tenu son rang. Il a réveillé les espoirs de titre nés un beau soir de l’été 1996 à… Atlanta, quand la génération dorée des Kanu, Okocha, Amokachi, Ikpeba, Oliseh, Okechukwu et autres Amunike avait décroché l’or du tournoi olympique après avoir battu le Brésil et l’Argentine. Ou quand, en 2013, les mêmes, renforcés par des jeunes pousses, avaient remporté la troisième Coupe d’Afrique des nations du pays, devant la Zambie, encore… C’est le fruit d’une  » unité violemment présente « , si l’on en croit Sunday Oliseh, qui a débuté sa carrière au FC Liège avant de s’envoler pour l’Italie et l’Allemagne.

Aux yeux des dirigeants du football international, l’Afrique est une terre d’avenir, et le Nigeria son meilleur élève, plus encore que les trop fantasques et irréguliers Ghanéens et Ivoiriens, tous deux absents du Mondial russe. En Coupe du monde, les Super Eagles ont le palmarès le plus régulier des pays africains à ce jour, avec trois qualifications pour les huitièmes de finale sur cinq participations. Franchiront-ils une étape supplémentaire en 2018 ? L’économie a, depuis un an, à tout le moins retrouvé des couleurs, grâce à un important plan d’investissements dans les infrastructures publiques. Un signe.

1996, les Super eagles connaissent une génération dorée et remportent l'or olympique.
1996, les Super eagles connaissent une génération dorée et remportent l’or olympique.© RUEDIGER FESSEL/GETTY IMAGES

Violence, terreur et… espoirs

Le rendez-vous russe de 2018 pourrait laver d’autres blessures, vives dans le coeur des supporters nigérians. En 2014, lors de la Coupe du monde au Brésil, ce n’est pas seulement l’élimination par la France en huitièmes de finale (0-2), somme toute logique, qui a marqué les esprits. Le 17 juin, à Damaturu, au nord-est du Nigeria, des dizaines d’amateurs de ballon rond suivent à la télévision le match Brésil-Mexique. Placée dans un taxi tricyle stationné devant le café, une bombe artisanale explose. Le bilan est lourd : 21 morts et 27 blessés.

Ce n’est pas la première attaque contre le sport roi au Nigeria. Au début de ce même mois de juin 2014, un attentat dans un stade coûte la vie à 40 personnes. Le crime est signé : le leader de Boko Haram, l’organisation terroriste islamiste active dans le nord-est du pays, a fustigé, dans de nombreuses vidéos, ce jeu qu’il présente comme une  » perversion occidentale « . Le football, symbole de la liberté et de l’argent roi, dérange les totalitarismes. Boko Haram, connu pour ses enlèvements à répétition de collégiennes (plus de cent encore, fin février 2018, rendues depuis à leurs parents), prône un islam radical, l’instauration de la charia et compte bien y arriver par la lutte armée. On recense 20 000 morts et 2,6 millions de déplacés depuis le début de l’insurrection, en 2009.

Le gouvernement nigérian, souvent accusé de laxisme ou d’errements coupables dans sa lutte contre la terreur, reconquiert peu à peu les territoires par la force. Mais il privilégie désormais une autre arme, pacifique, pour tenter de gagner la bataille des esprits : un ballon rond. En novembre 2017, l’armée a créé un championnat dans la forêt de Sambisa, un bastion du groupe terroriste dans le nord-est du pays, récupéré à la fin décembre 2016.  » Il s’agit aussi de reconquérir le coeur de la jeunesse « , précise un porte-parole des militaires, dans la presse locale. Jouer, pour résister.

Le modèle des jeunes Nigérians pourrait bien être Nura Mohammed. Cet adolescent originaire de Maiduguri, capitale de l’Etat de Borno, a assisté de très près aux ravages de Boko Haram. Plusieurs de ses compagnons de jeu sont morts pour avoir  » défié  » les terroristes avec un ballon. Ou ils ont été contraints de rejoindre les rangs de cette secte. Surdoué balle au pied, Nura Mohammed est un milieu offensif gaucher, comparé par ses amis à Messi ou Özil. Recruté par les Warriors, le club de sa ville, il est rapidement remarqué par le sélectioneur national et, le 2 décembre 2017, Nura devient le plus jeune joueur à avoir jamais porté le maillot des Super Eagles. Il vient à peine de fêter ses 15 ans. Et part à la conquête du globe.

Le petit  » Leo  » nigérian rêve de participer à la Coupe du monde russe et tout indique que ce pourrait être le cas. Au premier tour, le Nigeria y retrouvera l’Argentine de Messi. Après des années d’horreur, au bout de la crise, il est soudain permis de rêver à des jours meilleurs…

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