Pierre Hazette

« Flux migratoires : Invectiver n’est pas débattre »

Pierre Hazette Sénateur honoraire, ancien ministre MR

Je voudrais dire de la crise migratoire que le problème est trop grave pour être traité dans des termes outranciers.

Je crois utile aussi d’éviter les banalités. On sait bien que les migrations sont de tous les temps, qu’elles ont eu des effets constructifs, que les dernières, les plus significatives, ont créé les États de l’Amérique contemporaine. On a toujours émigré pour chercher des terres plus fertiles, un climat plus clément, pour échapper à la misère ou aux traitements inhumains. L’herbe était souvent plus verte ailleurs. Et il y avait de l’herbe, parfois à profusion. Ou pas…

Mon expérience africaine, qui a duré onze ans, m’a ouvert les yeux sur des perspectives inquiétantes. L’Afrique atteindra bientôt le milliard d’habitants. À la fin du siècle, ce nombre aura probablement doublé.

Les objectifs du millénaire ambitionnaient qu’en 2015, l’enseignement primaire soit dispensé partout et à tous les enfants. L’objectif n’est pas atteint. Emmanuel Macron vient de le rappeler à Davos : en 2015, il y avait, en Afrique, plus de 101 millions d’enfants qui étaient non scolarisés, dont 53 millions de filles.

Des centaines de milliers d’hectares de terres africaines ont été achetées par des États asiatiques. Ce n’est pas à l’évidence pour faire face aux besoins alimentaires des populations en expansion du continent que ces investissements ont été décidés.

Les changements climatiques vont affecter négativement les terres de culture ou d’élevage et les pénuries d’eau font partie aujourd’hui déjà de la détresse africaine.

Je peux parler d’expérience lorsque j’affirme que l’Europe et l’Amérique du Nord représentent pour les Africains l’espoir d’une réussite et d’une protection sociale, à laquelle ils ne peuvent prétendre dans leur pays. Faut-il insister : il y a l’océan entre les États-Unis ou le Canada et les côtes d’Afrique ! Aussi, la pression migratoire sur les pays de première ligne au sud de l’Europe n’en est qu’à ses premières manifestations.

La pression migratoire sur les pays de première ligne au sud de l’Europe n’en est qu’à ses premières manifestations

Le déséquilibre démographique entre une Afrique prolifique et une Europe en voie de vieillissement constitue en soi un appel d’air permanent pour la jeunesse africaine. Ce déséquilibre explique la réaction de la Chancelière Angela Merkel devant l’afflux de migrants « Wir schaffen das. » C’est que l’Allemagne a besoin de main d’oeuvre.

Nous voilà peut-être au coeur d’un problème rarement abordé par ce biais. La Chine s’est hissée au rang de puissance planétaire parce qu’elle a eu l’audace de contrôler les naissances sur son territoire, en fonction des capacités qu’elle s’attribuait de nourrir sa population. On aurait tort de ne retenir que le caractère autoritaire et intrusif de ce contrôle de la fécondité naturelle. On n’en a vu en Europe que les contraintes atroces qui pesaient sur la vie des couples. Force est de constater malheureusement que le dirigisme chinois a contribué à recréer une nation puissante tant politiquement et diplomatiquement qu’économiquement.

Forts de cette observation, revenons en Afrique.

Trois facteurs me paraissent s’imposer au départ d’une démographie galopante.

Le premier est l’incertitude du lendemain. Elle persuade les parents de chercher leur assurance vieillesse dans la générosité espérée de leur progéniture.

Le second réside dans la pression religieuse. Celle-ci s’exerce au départ des mosquées, des églises ou des temples. La limitation des naissances n’est pas à l’ordre du jour : la contraception et l’IVG n’ont pas bonne presse.

Le troisième tient au déficit éducatif, particulièrement dramatique chez les filles. L’observation a été maintes fois commentée : le taux de fécondité des femmes africaines est inversement proportionnel à leur niveau d’éducation. Est-ce à cette relation que pensait Emmanuel Macron à Davos quand il enchaînait : « Entrepreneurs et investisseurs, quand vous investissez un euro en Afrique, investissez un euro dans l’éducation des jeunes filles. » ?

Il n’est pas nécessaire d’importer le modèle chinois en terre africaine. L’urgence première presse les dirigeants européens dans deux directions.

La première conduit à une concertation entre la Commission de l’Union européenne et la Commission de l’Union africaine pour convenir d’une action commune de maîtrise de la natalité.

La seconde, dans le prolongement de la première, consiste à concentrer les actions de la coopération européenne sur l’éducation et l’enseignement, en n’oubliant jamais que la scolarisation des filles est une obligation sine qua non, préalable à l’octroi des subventions.

Les objectifs du millénaire eussent-ils été atteints et tous les adolescents, garçons et filles, seraient-ils porteurs du certificat d’études primaires, la partie ne serait pas gagnée pour autant. En effet, en Afrique comme ailleurs, la technologie, l’automation, l’expansion du digital imposent un cursus scolaire plus ambitieux et l’on y a plus besoin de cerveaux que de bras. C’est dans la formation tout au long de la vie de leurs enfants que les parents africains s’assureront un peu du bien-être qu’ils attendent. Et dans ce domaine, le modèle allemand de formation duale est porteur d’espoir si les entreprises, petites, moyennes ou grandes décident de participer à l’élan de l’Afrique vers les défis contemporains. Les États, seuls, n’y arriveront pas.

Un tel programme n’est pas hors de portée de l’Union européenne, mais il faut y ajouter le volet religieux pour le rendre efficace. L’Église catholique a remis son destin entre les mains d’un homme ouvert aux problèmes du tiers monde. Il est inconcevable qu’il traite de la contraception avec la même rigueur que ses devanciers.

Si le Pape François appelait à un concile oecuménique toute la mouvance chrétienne et les autorités les moins contestables de l’islam, pour justifier et promouvoir le contrôle des naissances là où elles dépassent les taux de remplacement des générations, nul doute que la conscience européenne s’en trouverait soulagée à moyen terme.

Dans l’immédiat et le court terme, hélas, nous allons encore assister aux exclamations indignées des gens aux mains propres. Il leur est si facile de faire la grimace devant les mains salies par le cambouis de l’action quotidienne ! Les autorités qui gouvernent l’État ne peuvent fermer les yeux sur l’obstination des migrants en transit dans nos gares, nos aéroports, nos ports, nos aires de stationnement autoroutières, à refuser de demander l’asile, tout en réclamant le statut lié à celui-ci.

Les citoyens qui expriment leur solidarité avec des hommes, des femmes, des adolescents, des enfants déracinés et en détresse, ne subissent pas les contraintes de l’état de droit. Ils doivent être informés du contexte juridique de leur action et, en même temps, félicités et remerciés pour leur humanité.

Le droit d’asile n’est pas remis en question en Belgique. Il s’applique dans des conditions que le gouvernement a l’obligation de faire respecter.

Roger Martin du Gard a résumé mon propos très clairement : « A un certain niveau de pensée, quand on est décidé à prendre en compte la vérité, il est difficile d’être de son parti, sans être aussi, un peu, de celui de l’autre. »

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