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Evacuer les migrants à Paris: un travail de Sisyphe

Le Vif

Trente-six évacuations depuis 2015, 30.000 migrants extraits: à Paris, les camps sauvages de réfugiés resurgissent aussitôt démantelés. Autant écoper un bateau percé, dénoncent les associations, pour qui les campements existeront tant que l’accueil des réfugiés ne sera pas amélioré.

Sur les quais du canal Saint-Martin, des hommes en combinaison blanche et masque de protection arrachent les dizaines de tentes bigarrées où ont dormi pendant de longs mois des centaines de migrants jusqu’à leur évacuation lundi.

Matelas défoncés, couvertures noircies, sacs de couchage crasseux finissent dans les bennes à ordures qui défilent sans répit, sous le regard interloqué des touristes en « croisière romantique et insolite » sur les bateaux remontant le canal, emblème de la gentrification de l’Est parisien.

« Ca puait. L’odeur de pisse était partout », lâche Ghilas, serveur au bar La Pointe Lafayette, qui fait face au canal. « Les clients, il y en avait moins en terrasse », où l’odeur du campement remontait, se plaint-il.

Lundi, 973 migrants ont été évacués de ce camp, ainsi que d’un autre plus au nord. Cinq jours plus tôt, environ autant de réfugiés avaient été extraits du plus gros campement de Paris, celui dit du Millénaire.

« Cela fait 36 évacuations en trois ans », résume Alix Geoffroy, coordonnatrice générale au sein de l’association d’aide aux migrants Utopia56. Soit une par mois en moyenne. « Et il n’y a pas de raison que ce soit la dernière ».

– « Complètement illusoire » –

« C’est complètement illusoire de penser qu’une évacuation est une solution à long terme: les migrants vont quelques jours dans des gymnases et, une fois que le tri administratif commence (pour étudier leur dossier, ndlr), ils repartent », explique la militante.

De nombreux migrants passent de plus au travers du filet: ainsi, lors de l’évacuation du camp du Millénaire, 600 des quelque 1.600 occupants étaient partis avant l’arrivée des forces de l’ordre, dont les opérations sont souvent désormais connues à l’avance.

« Ils ont peur d’être expulsés. Mais même s’ils le sont, ils peuvent revenir. J’ai rencontré un migrant qui avait fait cinq fois l’aller-retour avec l’Italie », témoigne-t-elle.

Les camps vont donc « certainement se reconstituer », abonde Yannick Le Bihan, directeur des opérations en France chez Médecins du Monde. Les évacuations sont « nécessaires », mais « il faut proposer des solutions d’hébergement dignes ».

« Aujourd’hui, sur 125.000 demandeurs d’asile en instance, seuls 65.000 sont hébergés » par l’Etat, rappelle Gérard Sadik, responsable des questions d’asile à la Cimade. Il estime que 30.000 migrants ont été évacués des campements au total.

« Stigmates des dysfonctionnements du dispositif français et européen », selon M. Sadik, les campements abritent les victimes d’un système kafkaïen, résultat des errements et divergences européens.

Un exemple : les migrants qui ont déjà été enregistrés en Italie. En vertu des accords européens de Dublin, d’où leur surnom de migrants « dublinés », ils doivent déposer leur demande d’asile dans ce pays et non en France.

– « Rendre invisibles les migrants » –

Mais, souvent, ces réfugiés n’ont fait que déposer leurs empreintes à leur arrivée en Italie, et leur demande d’asile n’est même pas étudiée, car Rome, et encore plus depuis l’installation d’un nouveau gouvernement populiste, « ne veut pas traiter leur demande », explique Pierre Henry, directeur général de France Terres d’Asile.

Les dublinés, qui forment un « tiers des évacués des camps de Paris », restent ainsi « en orbite », selon M. Sadik.

Plus étonnant encore, souligne Pierre Henry: 10% des évacués du camp du Millénaire étaient des migrants dont la demande d’asile a été acceptée. « Ils ont un titre de séjour et ils se retrouvent à la rue! »

Pour eux, commence en effet « une autre galère car, une fois acceptés, ils ont entre trois et six mois pour quitter leur logement », certains venant alors grossir les camps, rappelle M. Sadik.

« L’Etat sait parfaitement que, s’il veut mettre fin aux campements, c’est à lui de créer des places d’hébergement », juge M. Sadik. « Et non à la ville de Paris », ajoute-t-il, tandis que la maire socialiste Anne Hidalgo n’a de cesse de demander au gouvernement de créer un centre d’accueil dans la capitale.

« C’est la seule solution si on veut éviter de nouveaux campements de rue », avait estimé fin mai Mme Hidalgo, retoquée par des opposants qui prédisent un « appel d’air » si un centre était créé.

En évacuant les camps parisiens, « on veut déplacer le problème au-delà du périphérique » qui entoure la capitale, dénonce M. Le Bihan. « On veut rendre invisibles les migrants ».

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