Volodymyr Zelensky, vainqueur du deuxième tour de l'élection présidentielle ukrainienne avec 72,3 % des voix contre le président sortant Petro Porochenko. © Danil Shamkin/getty images

Ukraine: Zelensky président, de la clownerie en politique

Christian Makarian

L’avènement de l’humoriste à la présidence au terme d’une élection triomphale est le révélateur d’un pays miné par la guerre et la corruption.

Avoir de l’humour n’est assurément pas un défaut. Et celui de Volodymyr Zelensky n’est ni meilleur ni pire qu’un autre. Sauf que ses bonnes blagues et, surtout, sa notoriété médiatique ont conduit cet Ukrainien de 41 ans à un destin national qui laisse à penser.

Pour tout dire, à la faveur de l’élection présidentielle de 2019, la fiction est devenue réalité de manière fulgurante. Après un diplôme de droit, le jeune Volodymyr fonde des sociétés de production offshore à Chypre, selon un schéma affairiste somme toute assez banal dans la déconstruction du système soviétique. Il bricole un peu, mais son destin prend un nouveau tournant, à partir de 2015, lorsqu’il décide de prendre le rôle vedette d’une série télévisée qui va connaître un succès populaire hallucinant dans un pays en guerre, en proie au conflit qui oppose Kiev et Moscou au sujet de la région russophone du Donbass. Sluga Naroda (Serviteur du peuple) met en scène un professeur d’histoire ordinaire qui se retrouve président de l’Ukraine et qui se révèle honnête, plein de bon sens et excellent gestionnaire.

En résumé, cette série télé, diffusée sur la chaîne 1 + 1 du milliardaire Igor Kolomoïsky, offre alors une récréation bienvenue à un peuple enfoncé dans la noirceur d’une guerre fratricide, responsable de plus de 10 000 morts. Sous le règne très peu probant du président ukrainien Petro Porochenko, incapable d’arbitrer entre les différentes factions qui réduisent son pays à l’impuissance face à l’épreuve de force qu’impose la Russie, on assiste au croisement entre l’industrie du spectacle à l’occidentale, le business publicitaire et le populisme aux airs de renouveau.

Zelensky, qui pourrait paraître insignifiant dans ce contexte de tension extrême, prépare en fait son parcours fulgurant, sans doute aidé par l’oligarque de l’entertainment qu’est Kolomoïsky. Mais, en raison de la spécificité dramatique du cas ukrainien, sa carrière n’est pas directement assimilable aux profils semblables que l’on peut rencontrer en Europe. Zelensky n’est ni inspiré par Beppe Grillo, l’ex-leader du Mouvement 5 étoiles italien, ni même comparable à l’imitateur Marjan Sarec, 41 ans également, qui préside le gouvernement de la Slovénie.

Satisfaction de Poutine

On ne peut en vouloir à la société ukrainienne, dont le niveau de vie est constamment taraudé par l’état de guerre et par une corruption endémique, de ne plus faire confiance à ses élites, largement discréditées par l’expérience Porochenko (lui-même oligarque de l’agroalimentaire). Les affaires et les scandales se succèdent dans ce pays de plus de 40 millions d’habitants, dont le potentiel économique et le niveau de formation humain sont pourtant considérables. Partant, voir en Zelensky une simple marionnette aux mains de capitalistes tapis dans l’ombre est un raccourci insuffisant ; croire qu’il a inventé un nouveau talent politique l’est tout autant. En réalité, avec un sens du bagout incontestable et en dépit d’un manque criant de propositions politiques, économiques ou sociales crédibles, il surfe sur une série d’innovations qui insufflent un air de nouveauté. Il a notamment recouru massivement aux réseaux sociaux tout au long de la campagne présidentielle de 2019. Surtout, Zelensky plaide pour un retour à des relations régulières avec Moscou et souhaite sortir du blocage des négociations au sujet du Donbass. Un discours qui rassure les habitants russophones de l’est de l’Ukraine et qui ne peut que plaire au Kremlin.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire