Le Premier ministre britannique Boris Johnson annonce enfin des mesures de confinement le lundi 23 mars. © PAUL ELLIS/BELGAIMAGE

UK, Pays-Bas… Pourquoi certains pays ont fait le choix de l’immunité collective

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Pour combattre l’épidémie, le Royaume-Uni de Boris Johnson avait opté pour cette stratégie, pas pour des raisons sanitaires. Il a dû la délaisser pour le confinement.

Le Premier ministre britannique Boris Johnson a opéré un revirement le lundi 23 mars dans sa stratégie de lutte contre le coronavirus, délaissant la stratégie de l’immunité collective pour privilégier celle du confinement, adoptée entre autres par l’Italie, l’Espagne, la France et la Belgique. La première n’est plus désormais suivie en Europe que par les Pays-Bas, bien que le gouvernement ait ordonné l’interdiction de tous les rassemblements, et la Suède. Pourquoi ces pays ont-ils choisi l’option, médicalement controversée (lire l’encadré plus bas), de l’immunité collective ? Les caractéristiques de leur système de santé les ont-elles guidés ? Ou des motivations plus politiques ont-elles présidé à leur décision ? Eléments de réponse.

Avec l’immunité collective, il y a rupture du contrat social. » Victor Duchesne, chercheur

Un choix motivé par les particularités du système de santé ? L’eurodéputée belge Groen Petra De Sutter n’y croit pas.  » Au contraire, les Pays-Bas disposent, proportionnellement à la population, de moins de lits en soins intensifs que la Belgique.  » Or, pour pouvoir encaisser une forte affluence simultanée de patients atteints du virus, comme l’induit l’immunité collective, il faut une infrastructure surpuissante.  » Les pays qui ont opté pour cette stratégie se retrouvent vite débordés sanitairement « , constate Victor Duchesne, économiste-doctorant à l’université Sorbonne Paris-Nord.  » Ils sont parmi ceux qui ont le plus réduit leurs capacités sanitaires, et leur nombre de lits. Or, si on veut jouer cette carte, il faut y être préparé. Le NHS, le système de santé publique au Royaume-Uni, connaît de telles difficultés depuis trente ans qu’à mon sens, la stratégie de l’immunité collective était perdue d’avance, si tant est que l’on estime qu’elle eut été jouable.  »

Un choix motivé par des considérations économiques ?  » Le revers de la médaille de la stratégie du confinement est une paralysie de la société et donc de l’économie, souligne Victor Duchesne. Pour le dire simplement, on attend que la tempête passe. A l’inverse, la stratégie de l’immunité collective semble économiquement moins coûteuse à première vue mais, à mon sens, c’est très contestable. Certes la vie continue comme si de rien n’était. Mais il faut accepter le risque qu’une partie de la population soit touchée et même qu’elle meure. Or, l’économique et le social sont indissociables et les effets d’une telle mesure sont dévastateurs. Premièrement et cyniquement, elle entraîne des coûts directs déjà lourds : désorganisation de la production par les arrêts-maladie, effet dépressif sur la productivité et la consommation, coût des services sanitaires débordés, etc. Deuxièmement, il y a une rupture du contrat social, car on laisse les plus fragiles payer les conséquences de la maladie.  »

Pour Petra De Sutter, il ne fait pas de doute que les Pays-Bas et le Royaume-Uni ont préféré l’immunité collective pour des raisons économiques à courte vue.  » Ces gouvernements ont voulu que leur économie continue à tourner. La stratégie de l’immunité collective n’a été qu’un alibi « , insiste celle qui est aussi médecin gynécologue. Pour elle, les tenants du confinement font clairement primer la santé sur l’économie alors que les partisans de l’immunité collective font passer les préoccupations économiques avant celles de santé publique. Victor Duchesne nuance ce jugement, a minima :  » Je ne pense même pas que ces gouvernements ont songé à l’économique avant la santé. Ils ont pensé de manière très libérale en misant sur une autodiscipline et sur la liberté des affaires.  »

L’Union européenne pourrait-elle atténuer cette cacophonie ?  » Dans un monde utopique, l’UE pourrait organiser la réponse sanitaire en mutualisant des compétences et des moyens. Mais compte tenu de la grande diversité économique, sociale, culturelle des Etats, c’est illusoire « , estime Victor Duchesne.  » Chaque pays a son propre fonctionnement et on ne va pas gommer ces différences rapidement. En outre, l’Union, qui a été pensée comme un espace de concurrence, n’a toujours pas réussi à mettre en place un espace de solidarité entre ses membres. On en arrive à un point absurde où chaque Etat est en compétition pour la fourniture de masques par la Chine « , déplore le chercheur en sciences sociales.

 » L’Union européenne, qui n’a pas de compétence en matière de santé, peut formuler des recommandations et essayer de coordonner les actions des Etats membres, analyse Petra De Sutter. Mais si ceux-ci ne veulent pas l’écouter, c’est la fin de l’histoire. Alors, elle peut toujours contribuer de façon indirecte en octroyant des fonds pour mettre en place des stocks stratégiques d’équipements protecteurs ou pour soutenir la recherche. Il est sûr que si un vaccin est développé en Europe, ce sera avec de l’argent de l’Union. En fait, l’Europe ne doit pas se mêler du remboursement de tel médicament dans tel pays même si, dans un monde idéal mais qui relève pour le moment de la science-fiction, on pourrait l’imaginer. Mais, en cas de crise de santé publique, il faut lui donner des compétences plus importantes, notamment en matière de coordination des actions.  » La leçon sera-t-elle retenue ?

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Pourquoi l’immunité de groupe pose question

Le gouvernement néerlandais a attendu le lundi 23 mars pour interdire tout rassemblement.
Le gouvernement néerlandais a attendu le lundi 23 mars pour interdire tout rassemblement.© BELGAIMAGE

Le concept d’immunité collective consiste à laisser circuler le virus jusqu’à ce qu’un certain pourcentage de la population le contracte et développe des anticorps. Cette progression massive de résistances immunitaires offrirait un bouclier pour les plus fragiles. On en finirait ainsi avec l’épidémie et on limiterait un second pic, l’hiver prochain.  » A terme, l’immunité collective représente bien le scénario idéal « , analyse le professeur Marius Gilbert, épidémiologiste et maître de recherche à la faculté des sciences de l’ULB. Chaque maladie a son  » seuil d’immunité grégaire  » qui permet ensuite de protéger toute la population, 85 % de la population pour la diphtérie, 94 % pour la rougeole.

Dans toute épidémie, la vitesse de propagation de la maladie dépend du taux de reproduction de base (RO) du virus, c’est-à-dire du nombre de personnes contaminées par un sujet infectieux. Pour le Covid-19, le RO s’élève en moyenne à 2,5 individus. Pour briser la chaîne des contaminations, il faut que ce RO passe en dessous de 1. Ce qui se produit lorsque l’immunité collective est devenue suffisamment forte, soit grâce à un vaccin, inexistant pour le Covid-19, soit quand un sujet infectieux ne peut plus transmettre le virus à grand-monde, parce qu’il n’est entouré que d’individus ayant déjà majoritairement développé des anticorps.

Cette stratégie est très critiquée. Les scientifiques ne connaissent pas assez le Covid-19 pour savoir ce qu’il provoque en termes immunologiques. Combien de temps perdure l’immunité ? Peut-on être infecté plusieurs fois ? Le risque est de ne plus maîtriser la propagation du virus et d’entraîner une explosion du nombre de malades graves que les hôpitaux ne pourront plus accueillir. Les experts préfèrent donc étaler dans le temps les contaminations et le nombre de patients graves. Sinon, l’hécatombe est inévitable.

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