Gérald Papy

« Rebâtir une cathédrale à défaut d’une nation »

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Pourquoi l’incendie de Notre-Dame de Paris, un fait divers, nous bouleverse-t-il et nous interpelle-t-il tant ? A côté des raisons élémentaires (proximité avec la France, attrait historique et patrimonial, must touristique), notre sensibilité est aiguisée par une succession de dichotomies.

Dichotomies entre la fulgurance de la destruction, même partielle, et ce que dut être la méticulosité de la construction. Entre la cause sans doute dérisoire du départ de feu et la débauche d’efforts requis pour bâtir l’édifice. Entre le coût serré de la restauration à l’origine du sinistre (150 millions) et celui astronomique des travaux à venir. Opposition encore, pour le spectateur, entre la communion au drame et l’impuissance à contribuer à le circonscrire, entre l’empathie instinctive et le soupçon de voyeurisme…

 » Notre-Dame de Paris, c’est notre histoire, notre littérature, notre imaginaire « . Les paroles d’Emmanuel Macron le soir de la tragédie expliquent l’émotion, parfois étonnamment lyrique, suscitée dans l’Hexagone par les outrages infligés à ce joyau de l’art gothique. Elle prouve l’attachement de nos voisins, partagé par nombre d’Européens, à leur patrimoine que le succès des journées qui lui sont dédiées confirme d’année en année. Sans doute, auprès du plus grand nombre, davantage pour l’héritage architectural et historique qu’il représente que, quand il en recèle une, pour sa dimension religieuse.

Après l’incendie de Notre-Dame, l’aspiration fédératrice du président Macron est vouée à l’échec.

C’est pourtant aux catholiques français que le président de la République laïque a adressé ses premières pensées mardi soir. Légitimement, penseront avec indifférence la plupart. De façon opportuniste, suspecteront ses plus virulents contempteurs engagés dans la bataille pour les élections européennes, se remémorant qu’il y a un an, il les avait déjà choyés, devant la Conférence des évêques de France, en les exhortant à s’engager. Toute communication de crise, il est vrai, est révélatrice de la personnalité et des intentions politiques de son auteur. Celle autour du drame de Notre-Dame en fournit une belle illustration, entre un Donald Trump, pragmatique lourdingue exhortant à recourir aux bombardiers d’eau qui auraient causé plus de dégâts qu’ils n’en auraient évité, et une Angela Merkel, alliée sobre insistant sur le  » symbole de la culture européenne  » que figure la cathédrale.

Même Emmanuel Macron, en fait, a pu se révéler un brin opportuniste. En clamant dès mardi soir  » Nous la rebâtirons, tous ensemble. C’est sans doute une part du destin français « , il a dû savourer intérieurement de revêtir l’habit du bâtisseur après celui du réformateur, le costume du rassembleur pour faire oublier celui de l’agent de l’élite méprisante que lui taillent depuis cinq mois les gilets jaunes. Quelle que soit l’émotion sincèrement partagée par les Français des ronds-points pour la destruction de la cathédrale, l’aspiration fédératrice du président est vouée à l’échec. Fût-elle justifiée, la réaction de l’Etat et de ses soutiens porte en elle les éléments pour conforter la fracture contemporaine française : mobilisation générale décrétée pour restaurer le chef-d’oeuvre de la vitrine parisienne de la France alors que le loto du patrimoine de Stéphane Bern censé sauver des joyaux de province est ponctionné par le gouvernement, empressement des grandes fortunes (les familles Arnault, Pinault et Bettencourt débourseront à elles seules 400 millions d’euros) à financer le chantier des réparations… Pour Emmanuel Macron, toujours attendu sur les conclusions du Grand débat, sans doute est-il plus aisé de rebâtir une cathédrale qu’une nation.

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