Le candidat de la Coalition civique de centre-droit, Rafal Trzaskowski, a redonné du tonus à une élection présidentielle dont la victoire était promise au chef de l'Etat sortant, le conservateur Andrzej Duda. © BELGAIMAGE

Pologne: un accroc dans la mécanique populiste

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Le maire de Varsovie Rafal Trzaskowski menace la réélection du président sortant Andrzej Duda, candidat du parti au pouvoir. Pourtant, les gouvernements conservateurs d’Europe centrale sortent renforcés de la crise sanitaire.

Changer de candidat à une élection présidentielle en cours de campagne ? Cet événement inédit a été rendu possible en Pologne par la crise du coronavirus. Le 15 mai dernier, l’annonce du report du scrutin, malgré les efforts désespérés du gouvernement pour faire valider un vote par correspondance, et la chute, de la deuxième à la troisième place, dans les sondages de la candidate Malgorzata Kidawa-Blonska convainquent Rafal Trzaskowski de reprendre le flambeau du principal parti d’opposition, la Coalition civique (centre-droit). Du coup, la victoire, qui était acquise, d’Andrzej Duda, du parti au pouvoir Droit et Justice (PiS, conservateur), est devenue incertaine à quelques jours du premier tour, le dimanche 28 juin, d’autant qu’un troisième larron inattendu, l’écrivain indépendant Szymon Holownia, bouscule lui aussi les certitudes.

Ce revirement doit beaucoup au charisme de Rafal Trzaskowski, le maire de Varsovie.  » Pour la première fois en Pologne depuis longtemps, la question d’une défaite du PiS se pose, analyse Jean-Michel De Waele, professeur en science politique de l’ULB. Il faudra que l’opposition fédère différents électorats. Personne d’autre que Rafal Trzaskowski n’est mieux placé pour y arriver. Mais il a ses propres faiblesses et c’est loin d’être gagné.  »

Le piège identitaire

La marge de manoeuvre du candidat de la Coalition civique est en effet assez étroite. Sur le plan économique, il peut difficilement faire la leçon au gouvernement. Et sur la question identitaire, la radicalité affichée par son adversaire Andrzej Duda peut l’enfermer dans une confrontation stérile.  » En Pologne, les taux de croissance sont extrêmement élevés, même avec la crise du coronavirus, souligne David Engels, professeur d’histoire romaine de l’ULB, émigré depuis deux ans à Varsovie. On n’est pas du tout dans une situation de dépression généralisée comme ce que j’ai pu connaître en Belgique. Le pays est en pleine période de croissance et de construction. Aussi, les élections présidentielles ne se jouent pas tellement sur l’enjeu social et économique mais plutôt sur la question identitaire.  »

 » Il y a deux Pologne : celle de l’est du pays, des petites villes, conservatrice et attachée à la pratique religieuse ; et celle de l’ouest, des grandes villes, plus influencée par la modernisation et les relations avec l’Union européenne, décrypte Jean-Michel De Waele, auteur en 2015 avec Anna Paczesniak de Comprendre la Pologne (L’Harmattan, 290 p.). Les perdants de la mondialisation ont rejoint le camp de Jaroslaw Kaczynski (NDLR. : le président du PiS, homme fort de la droite) parce qu’il prône des mesures sociales extrêmement fortes, ce que le camp libéral n’a pas fait ou très peu. Dès lors, le grand piège pour l’opposition polonaise est de se focaliser sur les questions identitaires et de droit des minorités, certes absolument fondamentales mais qui ne figurent pas dans les préoccupations de la partie de la population vivant, malgré les avancées économiques, avec des salaires très en deçà des standards européens.  » Le candidat de Droit et Justice à la présidentielle n’a donc pas hésité à s’en prendre au mouvement LGBT (lesbien, gay, bisexuel, transgenre) lors d’un meeting, le samedi 13 juin, le comparant à une  » sorte de néobolchevisme « , une attaque directe contre Rafal Trzaskowski, défenseur affiché des droits des LGBT à la tête de la mairie de Varsovie.  » La question identitaire révèle une fracture fondamentale dans la société polonaise, analyse David Engels. Mais cette thématique n’est pas sujette à des bouleversements rapides comme peut y être exposée une conjoncture économique où une petite crise peut faire basculer l’électeur d’un camp politique à l’autre. Dès lors il s’agira d’un choix fondamental entre traditionalisme et universalisme.  »

Le président sortant Andrzej Duda a placé la question identitaire comme enjeu principal de la campagne électorale.
Le président sortant Andrzej Duda a placé la question identitaire comme enjeu principal de la campagne électorale.© BELGAIMAGE

 » Jaroslaw Kaczynski, Viktor Orban ou Andrej Babis ( NDLR. : le Premier ministre tchèque, fondateur de l’Action des citoyens mécontents, libéral-populiste) ont encore de beaux jours devant eux s’ils ne sont pas confrontés à une opposition capable de conjuguer un plan de modernisation de la société et un programme socio-économique dans lequel les plus défavorisés trouveraient leur place « , insiste Jean-Michel De Waele.

Relation ambivalente avec l’Union européenne

Le défi est d’autant plus grand aujourd’hui pour ces oppositions que les Etats d’Europe centrale et orientale dirigés par des conservateurs ou des populistes ont surmonté la crise sanitaire avec moins de dommages que les pays de l’Ouest européen. Trois raisons à ce constat, selon Jean-Michel De Waele : l’Europe centrale et orientale n’est pas une zone d’intenses échanges mondialisés ; les gouvernements ont pris des mesures de confinement très rapidement et celles-ci ont été appliquées strictement par la population.  » C’est le reflet d’une culture politique marquée par la confiance dans les autorités, même si on n’a pas voté pour elles, et par le souci de l’intérêt du pays. C’est un héritage du passé, de la période communiste mais aussi de l’Empire austro-hongrois « , décrypte le spécialiste de l’ULB. Même Viktor Orban, qui avait suscité les craintes les plus vives au sein de l’Union sur la démocratie hongroise pour s’être octroyé, fin mars dernier, des pouvoirs spéciaux sans échéance, a fait taire les critiques en y mettant fin le samedi 20 juin.

Pour le professeur en science politique de l’ULB, cet épisode pourrait avoir des conséquences sur les relations de ces pays avec l’Union européenne.  » Les Etats d’Europe de l’Ouest ne cessent de donner des leçons à tout point de vue aux dirigeants d’Europe centrale et orientale. Or, à quoi a-t-on assisté ? La lutte contre la coronavirus a été mieux gérée et organisée à Varsovie et à Budapest qu’à Paris et à Londres. Face au danger sanitaire, les Etats d’Europe occidentale ont décidé la fermeture de leurs frontières sans rien demander à leurs voisins et à la Commission européenne alors qu’ils étaient les premiers à critiquer la Hongrie et la Pologne lorsqu’elles recouraient à cette mesure. Cela a provoqué des ricanements dans ces pays. L’Union européenne n’y a pas gagné en crédibilité.  » Néanmoins, Jean-Michel De Waele note que dans le débat sur les mesures de relance économique, ce ne sont pas les gouvernements de l’Est de l’Europe qui bloquent les plans de relance, signe que le clivage Nord-Sud est aujourd’hui dominant et que les lignes, petit à petit, bougent. Comme sur la scène politique intérieure en Pologne ?

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