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« Nuit de cristal »: l’Allemagne redoute l’essor de l’extrême droite

Les dirigeants allemands craignent la résurgence de l’antisémitisme et la montée de l’extrême droite 80 ans après la « Nuit de cristal » et ces pogroms annonciateurs de l’Holocauste.

« L’Etat doit agir de manière conséquente contre l’exclusion, l’antisémitisme, le racisme et l’extrémisme de droite », a jugé la chancelière Angela Merkel lors d’un discours dans la plus grande synagogue d’Allemagne, à Berlin.

La dirigeante, tout de noir vêtue, a montré du doigt ceux qui « réagissent par des réponses prétendument simples aux difficultés » de l’époque actuelle, une référence à l’essor des populismes et de l’extrême droite en Allemagne comme en Europe.

Dans ce lieu de culte profané par les nazis il y a 80 ans jour pour jour, le président du Conseil central des Juifs, Josef Schuster est allé encore plus loin en invectivant le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) qui siège depuis un an au Bundestag, qualifiant ses membres d' »incendiaires moraux ».

Certains cadres de ce parti ont tenu des propos polémiques sur l’Holocauste et le devoir de mémoire en Allemagne. Ils tiennent aussi un discours islamophobe visant essentiellement les centaines de milliers de demandeurs d’asile arrivés dans le pays depuis 2015.

M. Schuster a qualifié de « honte pour notre pays » les agressions commises contre les juifs mais aussi contre les réfugiés musulmans.

Quelques minutes plus tôt, lors d’une cérémonie à la chambre des députés, le président allemand Frank-Walter Steinmeier avait dénoncé l’émergence en Europe d’un « nouveau nationalisme » nostalgique, selon lui, d' »un vieux monde parfait qui n’a en réalité jamais existé ».

Le président français Emmanuel Macron s’était dit « frappé » le 31 octobre par la ressemblance entre la situation actuelle en Europe, « divisée par les peurs, le repli nationaliste », et celle des années 1930. La France est elle-même confrontée à une forte augmentation en 2018 des actes antisémites.

Des mots lourds de sens 80 ans après les saccages et les destructions par les nazis de milliers de synagogues et commerces tenus par des juifs en Allemagne mais aussi en Autriche, petit pays dirigé par une coalition entre conservateurs et extrême droite où des commémorations ont aussi eu lieu vendredi.

« Je tenais la main de mon père. J’ai vu la synagogue en feu et j’ai demandé +Pourquoi les pompiers ne viennent pas ? + Je n’ai pas eu de réponse », a témoigné de cette nuit Charlotte Knobloch, ancienne présidente du Conseil central des juifs d’Allemagne, à l’antenne de la ZDF.

Plus de 1.400 lieux de culte incendiés dans toute l’Allemagne

La propagande affirme alors qu’il s’agit d’une éruption de violence spontanée après le meurtre d’un diplomate à Paris. Mais elle a en réalité été planifiée au plus haut niveau de la hiérarchie nazie.

Le signal a été donné par Joseph Goebbels, ministre de la Propagande, et les destructions exécutées par des SS, SA, Jeunesses hitlériennes. La « Nuit de cristal » ou Nuit du « verre brisé » diffère ainsi des pogroms en Europe de l’est au XIXe siècle.

Plus de 1.400 lieux de culte incendiés dans toute l’Allemagne, des magasins tenus par des Juifs saccagés et pillés, au moins 91 personnes tuées et des milliers déportées: pour les historiens, ce qui s’est passé en Allemagne et en Autriche les 9 et 10 novembre 1938 marque le passage de la discrimination des juifs à leur persécution puis leur extermination par les nazis.

De nombreux Allemands se souviennent de ces pogroms en polissant ou en déposant des fleurs sur les « Stolpersteine », des milliers de petites plaques de laiton incrustées entre les pavés pour identifier les victimes.

Cette commémoration, qui se télescope avec l’anniversaire de la chute du Mur de Berlin, le centenaire de l’Armistice de 1918, ou encore la fin de l’Empire allemand, intervient dans un contexte trouble en Allemagne.

Une forme nouvelle d’antisémitisme pour l’Allemagne fait aussi régulièrement les gros titres, celui prêté aux migrants arabo-musulmans qui ont afflué depuis 2015.

Mais l’essor de l’extrême droite allemande a aussi remis au premier plan un antisémitisme national, l’AfD ayant multiplié les provocations liées au nazisme.

L’un de ses membres a participé à une commémoration au Mémorial de l’Holocauste à Berlin en arborant un symbole nazi autrichien, l’oeillet bleu.

Une marche à l’appel d’un groupe de la droite radicale n’a rassemblé qu’une trentaine de personnes en soirée à Berlin. Des centaines de contre-manifestants se sont en revanche mobilisés sous le slogan: « Tous ensemble contre le fascisme ».

L’inquiétude ne cesse de grandir au sein de la communauté juive allemande, forte d’environ 200.000 personnes et qui a connu une forte croissance avec l’arrivée de nombreux juifs de l’ex-Union soviétique depuis la Réunification en 1990.

Le nombre de crimes et délits à caractère antisémite est resté néanmoins stable dans les statistiques de police.

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