Franklin Dehousse

« L’Europe patrie des droits de l’homme… pour rire »

Franklin Dehousse Professeur à l'ULiège

Avant les élections, les politiciens européens sont secoués par l’amour des droits de l’homme et de l’Etat de droit. La Commission européenne a traîné la Pologne (mais sans la Hongrie) devant la Cour de justice. L’Allemagne et la Belgique poussent des propositions. Même Manfred Weber, grand supporter PPE d’Orban au Parlement européen depuis 2010, se sent obligé de faire un vague bruit sur le sujet. Les droits de l’homme, priorité de l’Europe ?

Pas à Malte, en Slovaquie, où les journalistes se font abattre. Pas en Russie, où les environnementalistes, et même les historiens de Memorial se retrouvent en prison. Pas en Turquie, où des dizaines de milliers de journalistes, professeurs, juges, Kurdes, fonctionnaires et militaires suspects d’une opinion croupissent en prison (Angela Merkel a même déposé en notre nom quelques milliards d’aides européennes aux pieds d’Erdogan en 2015 pour faciliter son élection). Pas en Egypte, où un Italien se fait torturer et assassiner sans qu’on s’excite. Pas en Chine, où les musulmans du Xinjiang savourent les joies des camps de rééducation sans qu’on s’émeuve (la Chine peut même continuer à nous exporter les productions des détenus). Pas en Arabie saoudite, où les femmes sont emprisonnées et torturées pour avoir réclamé le droit de conduire et leur autonomie juridique.

A l’intérieur de l’Union, même constat. En 2013, le Parlement européen prenait une résolution sur les droits fondamentaux en Hongrie. Déjà avant l’élection européenne de 2014. Que s’est-il passé ? Pas grand-chose. Grattez le vernis de la communication, et cela continue. Les suites du jugement européen sur la Pologne demeurent obscures. Les gouvernements continuent à réformer leur justice en Hongrie, Pologne et Roumanie. Les ONG y rencontrent plus d’obstacles. La présidence roumaine ne manifeste aucun dynamisme dans la matière (sa priorité semble surtout consister à incarcérer sa procureure anticorruption).

L’Europe a surtout besoin de responsables vertébrés décidés à mettre ces moyens (pour les droits de l’homme) en oeuvre.

La récente proposition belgo-allemande d’une surveillance de l’Etat de droit dans les Etats membres va en fait dans le même sens. Elle vise surtout à éviter de recourir à des mécanismes plus drastiques, n’a pas d’effet juridique contraignant et reste dépourvue de sanctions. On crée ainsi une nouvelle strate dans le millefeuille institutionnel de l’Europe (en cela l’idée est évidemment un classique belge). Or, l’Union a déjà des droits fondamentaux, une Commission chargée de les mettre en oeuvre et un Parlement pour les contrôler, et même une agence spécialisée. L’Europe a besoin surtout de responsables vertébrés décidés à mettre sérieusement ces moyens en oeuvre, et pas d’un nouveau comité Théodule. Ce sont les vertèbres qui manquent, pas les bureaucraties.

La même détérioration frappe aussi le Conseil de l’Europe. En 1982, la Turquie avait par exemple été suspendue suite à un coup d’Etat. Maintenant, la dictature y fleurit à nouveau, avec emprisonnements et condamnations en chaîne. Même chose avec la Russie, où la répression s’aggrave. Mais rien ne bouge (le passage de Didier Reynders dans cette enceinte pourrait à cet égard donner un instrument de pression aux ONG pour mettre un terme à cette sclérose massive).

Il faut se méfier de la propagande officielle. L’action de l’Europe pour les droits de l’homme s’est affaiblie. C’est la réalité essentielle, cachée derrière une cataracte de discours lénifiants.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire