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Leur vie est un feuilleton: Lorànt Deutsch, jeune premier ou vieux réac ?

Le Vif

Comédien populaire devenu raconteur d’histoires facétieux pour les uns, pseudo-historien tendance tradi pour les autres… Et s’il était un peu des deux ?

Episode 1 – Où il se présente comme un honnête conteur pour justifier les erreurs que l’on trouve dans ses livres

C’est une vidéo d’à peine trois minutes, datée de janvier dernier et intitulée  » Mille mercis et mise au point « . Le début est presque banal, on y voit Lorànt Deutsch remercier de son débit ultrarapide les nouveaux abonnés à sa chaîne YouTube, A toute berzingue ! En réalité, les  » mille mercis  » ne sont qu’un prétexte. Très vite, le ton se fait moins léger. Quelques jours plus tôt, l’acteur devenu écrivain a consacré un épisode de sa série à Genève. Toujours sur le même principe : raconter l’histoire d’une ville et de ses monuments majeurs en cinq minutes chrono. Mais un journaliste du quotidien suisse Le Matin l’a montré à un historien local… qui a pointé pas mal d’erreurs. L’article a prodigieusement agacé Lorànt Deutsch –  » Non, mais vous avez vu ce qu’il me reproche, le gars ?  » Alors, il réplique : bien sûr qu’en cinq minutes il ne peut pas aller dans le détail. C’est vrai, reconnaît-il, Sissi a été poignardée non pas à coups de couteau, mais avec une lime à métaux. Et puis, quoi, on veut la marque aussi ? Et tiens, n’a-t-il pas, là, juste derrière la porte, une dernière découverte à nous montrer à propos de Jean Calvin, qui, c’est vrai également,  » n’a pas rédigé la Constitution de Genève « , mais  » a écrit et compilé un ensemble d’articles, d’ordonnances…  » ? Il accélère pour montrer que cette phrase est beaucoup trop longue et que seuls ceux qui aiment faire du mal aux mouches ont envie d’entendre la version complète. Lui pense le ton humoristique, mais beaucoup le trouvent surtout acrimonieux. Lorànt Deutsch est ainsi, il n’aime pas la critique. Fort de son succès, il la balaie d’un revers de main :  » J’ai quand même vendu deux millions de livres !  »

Sa gouaille, son look de gars cool en font l’archétype du bon copain, façon titi parisien.

Exact. Qui l’aurait cru il y a dix ans ? A l’époque, Lorànt Deutsch est estampillé jeune comédien populaire. Il a percé dans Le Ciel, les oiseaux et… ta mère!, de Djamel Bensalah, et décroché une nomination au César du meilleur espoir pour 3 zéros, de Fabien Onteniente. Sa gouaille, son look de gars cool, un peu frêle, en font l’archétype du bon copain, version titi parisien. C’est Michel Lafon qui fait de lui une star. L’éditeur ne sait plus très bien qui, de son N° 2, Pierre Féry-Zendel, ou de lui, a le premier aperçu Lorànt Deutsch à la télévision en train de répondre à un quiz sur le passé dans une émission de Marc-Olivier Fogiel. Peu importe, l’aventure est belle : un rendez-vous dans les vingt-quatre heures, un projet d’ouvrage qui dévoile Paris en partant de ses stations de métro, bourré d’anecdotes. C’est décidé, la petite histoire racontera la grande.

A la rentrée 2009, Métronome est en librairie. L’éditeur tremble un peu, le titre n’est pas très vendeur. Il a quand même pris soin de mettre la photo de Lorànt Deutsch en couverture pour profiter de sa popularité d’acteur. Les premières semaines sont calmes. Puis l’écrivain est invité sur une, deux, trois radios, et les ventes décollent enfin. En cet hiver 2009, Métronome est le livre que l’on offre à Noël. Les grands-parents l’achètent aux petits-enfants dans l’espoir de les instruire, les enfants aux grands-mères qui adorent l’histoire, les brus à leur famille par alliance dans un ultime sursaut en l’absence d’idée. Métronome s’impose comme l’un des cartons de la maison Michel Lafon, avec plus de deux millions d’exemplaires, toutes éditions confondues.

En quelques semaines, Lorànt Deutsch est devenu une marque de fabrique, un concept d’auteur. Il produit un Métronome 2, un Métronome illustré, puis un Hexagone : sur les routes de l’histoire de France. En 2018, il fait un pas de côté – il faut veiller à ne pas épuiser le filon – avec Romanesque : la folle aventure de la langue française. Les fans suivent. Sans atteindre les records de Métronome, Hexagone s’est tout de même vendu à 600 000 exemplaires et le récent Romanesque à plus de 100 000 en quelques mois. Chaque fois, la recette est la même : revenir en s’amusant sur l’histoire de la France. Le titre des encadrés donne le ton :  » Les Gaulois ont-ils toujours été nos ancêtres ? Eh bien, non !…  » écrit-il dans Métronome.  » Je me promène entre les blocs dressés ici depuis au moins quatre mille ans, bien avant les Gaulois et notre cher Obélix « , ajoute-t-il dans Hexagone.

De ses débuts de comédien, Lorànt Deutsch a gardé le sens de la mise en scène. Récemment, on l’a vu à la télé – le regard un peu flou des myopes, les mains sans cesse en mouvement, les épaules montant et descendant – défendre la langue française avec la fougue des passionnés. Il parle des mots comme de  » monuments dans nos bouches « . Il s’esbaudit de la magie d’un simple  » oui  » :  » Oui, c’est con, ce oui, trois petites lettres, pourquoi on dit oui ? Est-ce qu’on le disait autrefois ?  » Il est intarissable.

A chacun de ses ouvrages, pourtant, des lecteurs attentifs pointent des erreurs manifestes. Parmi les perles les plus connues, la plus reprise et la plus moquée aussi, sans doute, il y a ces  » Goths « , qui débarquent avec leur architecture, le gothique… alors que ce dernier n’a émergé que bien plus tard, qu’il est né en Ile-de-France et pas sous influence extérieure. Lorànt Deutsch délaisse volontiers la précision pour une bonne anecdote, la science pour le plaisir. Il ne prend jamais la précaution d’un conditionnel, ni le soin d’indiquer qu’il peut y avoir plusieurs versions. Dans la première édition de Métronome, il n’y a pas de bibliographie, alors même qu’il admet n’écrire qu’à partir des travaux des autres. Et, lorsqu’elle existe, elle n’est pas exempte de reproches.  » Sa bibliographie est assez faiblarde, note Michèle Perret, linguiste et à l’origine d’une Introduction à l’histoire de la langue française, à propos de Romanesque. Il n’a pas lu les bons livres. Ou alors, quand il cite un auteur important, ce n’est pas pour une de ses oeuvres majeures, mais pour un simple article.  » Le contenu de Romanesque souffre aussi de quelques inexactitudes : Lorànt Deutsch y parle, par exemple, du basque comme d’un dialecte. Mais que voulez-vous ? Sa défense est toujours la même. Il ne se présente jamais comme un historien, mais comme un simple passionné, un vulgarisateur. Oui, il peut lui arriver de commettre une ou deux erreurs, mais est-ce si grave alors qu’il fait aimer l’histoire à tant de gens ? Pinailleurs de tout poil, passez votre chemin…

En 1993, il fait ses premiers pas dans une série.
En 1993, il fait ses premiers pas dans une série.© dr – collection christophel/canal+/extravaganza films/afp

Episode 2 – Où l’on dévoile que Laurent Christophe aurait préféré s’appeler Lorànt ou Laszlo

Milieu des années 1990. Lorànt Deutsch approche la vingtaine, il se cherche, un peu mal dans sa peau. Il a tourné dans la série franco-québéquoise Les Intrépides, mais le cinéma ne lui tend pas encore les bras. Propulsé de sa province sarthoise à Bobigny, puis à Paris, il souffre, il n’a pas les codes, peu de copains, on se moque de lui au lycée. Il fait des études sans conviction. Un peu de philosophie, et les Langues O pour apprendre le hongrois, la langue d’origine de son père. Les mois s’étirent, longuets.  » J’ai eu une espèce d’écho, l’appel d’une mère patrie plus douce. Et puis, à l’époque, la Hongrie sortait du communisme, elle était pleine de vie, c’était frénétique « , raconte-t-il. Pourtant, son père, Jean-Pierre Deutsch, n’a jamais entretenu la nostalgie de sa terre natale, qu’il a fuie avec sa famille en 1956, à l’âge de 10 ans. Au contraire, il se veut plus français qu’un Français.

Syndrome de la deuxième génération ? Envie de se singulariser ? Lorànt Deutsch décide de prendre la route de l’Est. Ce sont les débuts des échanges Erasmus, il en profite pour filer à Budapest. Sur place, pour gagner un peu d’argent, il fait des petits boulots. Il devient l’un des premiers livreurs de Pizza Hut du pays.  » Je débarquais chez les gens, avec ce produit, nouveau, et avec mon accent français. Ça me rendait un peu à part, ça ne me déplaisait pas.  » Un peu à part, mais pas vraiment intégré.  » Les Hongrois continuaient à m’appeler par mon prénom suivi de mon nom, comme pour un étranger, alors qu’ils font l’inverse entre eux. Et puis, je n’ai pas réussi à draguer une seule fille en six mois, pas une !  » Le rêve tourne court, il rentre en France. Il ne garde de cette séquence nostalgie qu’un prénom, Lorànt, qu’il a adopté parce qu’il en avait marre qu’on lui demande s’il était allemand à la simple lecture de son patronyme. Désormais, les curieux pourront s’interroger sur ce drôle d’accent sur le  » a « .

En revanche, le Laszlo Matekovics qui lui colle à la bio n’a rien à voir avec son escapade hongroise. Inspiré du nom de famille de sa grand-mère paternelle, il l’utilisait quand il était ado pour les jeux de rôle. Un copain hackeur l’a introduit dans sa fiche Allociné. Il figure toujours comme son vrai nom dans un certain nombre de biographies. Il a renoncé à corriger l’information. Après tout, cela fait plus exotique que son état civil officiel : Laurent Christophe Deutsch, né le 27 octobre 1975, à Alençon, dans le nord-ouest de la France.

Le jour de notre rencontre, il arrive comme on l’a imaginé : en courant. Il a largué le scooter de l’autre côté de l’avenue et traverse au milieu des voitures. On a envie de lui dire de ne pas se presser, qu’on n’est tout de même pas à dix minutes près. Poli, il a prévenu de son léger retard, on s’est préparé à l’attendre. On le laisse s’installer, il a mal au poignet, une blessure au foot. Deux heures plus tard, il repartira, toujours aussi pressé, il doit rejoindre sa famille sur l’île de Ré. Il n’a pas de quoi payer parce qu’il a  » changé de froc  » – du Lorànt Deutsch dans le texte. Il s’excuse encore, on lui offre son café. Chaque été, ses copains d’enfance et d’adolescence partagent avec lui une semaine  » petits mouchoirs « . L’automne dernier, après les représentations de la pièce Terminus, il a entraîné Maxime d’Aboville, son partenaire, jusqu’en Sologne, pour être sûr de pouvoir pêcher à l’aube sur l’un des étangs que compte la propriété de la belle-famille de son compère. Bref, un garçon simple, normal. Trop, à son goût ? A la manière dont il a raconté Paris, Lorànt Deutsch a poli sa propre légende.

Six ans plus tard, il percera aux côtés de Jamel Debbouze dans Le Ciel, les oiseaux et... ta mère !
Six ans plus tard, il percera aux côtés de Jamel Debbouze dans Le Ciel, les oiseaux et… ta mère !© dr – collection christophel/canal+/extravaganza films/afp

Les premières années de sa vie sont provinciales, sans grand relief ; son père est huissier, sa mère, au foyer. Tout ce petit monde habite Sablé-sur-Sarthe, au sud d’Alençon, la ville alors dirigée par François Fillon, encore simple maire et député. Il leur arrive de le croiser. Le petit Laurent n’a-t-il pas  » rendu  » sa tartelette sur le premier édile lors de festivités ? L’anecdote, évoquée dans une émission télé en 2012, est sans doute moins croustillante qu’elle n’en a l’air – l’amour d’un bon mot, toujours. Point de vomi sur le costume de François Fillon, juste un gâteau dont un enfant ne veut pas et qu’il restitue à celui qui le lui a donné. C’est aussi devant le futur Premier ministre français que le jeune Deutsch aurait été repéré pour ses talents sur les terrains de foot. A l’époque, l’adolescent rêve de jouer à haut niveau, il s’inscrit en sport-études pour intégrer le club de formation du FC Nantes, il est recalé à l’entrée. Trop fluet. Lui dit qu’on lui a demandé de prendre des hormones de croissance, ce que ses parents ont refusé. Une légende, reprise par des journalistes, laisse parfois entendre qu’il a intégré le centre de formation des Canaris, qu’il en a été sorti après.

Au fond, quelle importance ? L’essentiel est que le récit plaise. Dans l’introduction de Métronome, Lorànt Deutsch narre la naissance de sa passion pour l’histoire. Façon, il était une fois… Il était une fois un enfant qui vivait dans  » un petit village au bord de la Sarthe « . Il découvre dans La Dernière Séance d’Eddy Mitchell des films comme Ivanhoé, Les Vikings et bien d’autres, qu’il rejoue ensuite avec ses soldats de plomb. Il était une fois un jeune garçon qui rend visite à ses grands-parents à Paris et reste ébloui par la ville, ses néons, ses lumières et ses vieilles pierres. Il était une fois un adolescent qui s’est fait une promesse, celle d’apprendre tous les noms des rues de la capitale, qui note dans de petits carnets noirs les anecdotes qu’il récolte. Il était une fois un jeune homme qui croit trouver le Quartier latin sur la place d’Italie et n’y découvre qu’un énorme rond-point suffoquant sous les gaz d’échappement. Il était une fois Lorànt Deutsch, auteur de livres sur l’histoire, qui récuse toute nostalgie – de ses jeunes années ou d’après – ; il trouve qu’elle est une maladie, qu’elle mène trop souvent à la mélancolie. Il a tout de même appelé les trois enfants qu’il a eus avec la comédienne Marie-Julie Baup Sissi, Colette et Laslo.  » Je réclame mon droit à l’enfance et ça me fait de belles journées. Mes 12 ans ont une valeur incroyable, avant les deuils, les déceptions… Le temps du « tout est encore possible », je cultive ça « , lâche-t-il.

Enfant, il rêvait d'être footballeur professionnel. Mais son physique ne le lui permet pas et il se tourne vers les planches. A 29 ans, il incarne Mozart dans Amadeus, de Peter Schaffer.
Enfant, il rêvait d’être footballeur professionnel. Mais son physique ne le lui permet pas et il se tourne vers les planches. A 29 ans, il incarne Mozart dans Amadeus, de Peter Schaffer.© dr – collection christophel/canal+/extravaganza films/afp

Episode 3 – Où l’on devine, derrière l’amuseur et le vulgarisateur, quelques penchants qui lui valent d’être traité de réactionnaire. Ce que l’intéressé récuse totalement

Lorsque nous le rencontrons, Lorànt Deutsch est agacé. Pas par nous, pas encore. Mais par les réactions que suscite le Laissez-vous guider consacré à la Révolution française, auquel il a participé avec Stéphane Bern. L’émission n’est pas encore diffusée sur France 2 que déjà des experts du genre dénoncent une vision orientée. Alexis Corbière, député de La France insoumise, a tweeté :  » Stéphane Bern est un homme sympathique et les images en 3D du Paris révolutionnaire seront sans doute extraordinaires. Mais pourquoi le service public s’obstine à confier uniquement l’animation de ses émissions historiques, de surcroît sur la Révolution, à deux royalistes ? « 

Lorànt Deutsch s’énerve, parle de plus en plus vite. Oui, il est royaliste, et alors ? Il ne s’en est jamais caché. Le prince Jean d’Orléans n’était-il pas présent à son mariage, en 2009, à l’île de Ré, aux côtés de ses amis comédiens ? Oui, il trouve qu’en Europe, les monarchies sont plus efficaces que notre  » Star Academy  » présidentielle. Quel est le problème ? Lui n’en voit aucun. La production de l’émission n’est visiblement pas tout à fait du même avis puisqu’elle lui a demandé s’il pouvait enlever, le temps du tournage, la chevalière qu’il porte à côté de son alliance, signe de son engagement monarchiste. Deutsch a refusé et trouve tout ça quand même un peu fou :  » On est trop dans le « j’aime, j’aime pas ». Tous les grands acteurs de la Révolution nous dépassent. Tous, de tous les côtés. Et le peuple, le peuple était magnifique. Restons gourmands, mais sans jamais être procureur ou juge « , plaide-t-il.

Parce qu’il se revendique amuseur et passeur de mémoire, candeur en bandoulière, Lorànt Deutsch récuse l’idée de prôner la moindre idéologie. En 2011, pourtant, dans Le Figaro, il disait :  » Pour moi, l’histoire de notre pays s’est arrêtée en 1793, à la mort de Louis XVI. Cet événement a marqué la fin de notre civilisation, on a coupé la tête à nos racines et, depuis, on les cherche.  » Fabrice Hourlier, qui a réalisé la version télévisée de Métronome, diffusée sur France 5, se souvient des discussions intenses pendant l’écriture du scénario :  » Je considérais que la Révolution était un moment important. Lorànt, un peu moins. Moi, les saints me sont un peu étrangers, Lorànt voulait y consacrer du temps.  »

A plusieurs reprises, l’écrivain est accusé de flirter avec une droite extrême. En 2011, il participe à un documentaire intitulé Paris Céline : sur les pas de Céline avec Lorànt Deutsch. Le diffuseur ? Paris Première. Le réalisateur ? Patrick Buisson, le très  » droitier  » conseiller de Nicolas Sarkozy, qui a théorisé la convergence des idées de la droite classique et de l’extrême droite. Lorànt Deutsch s’étonne des attaques. Non, il ne connaissait pas les activités autres que télévisuelles de ce journaliste. De la complaisance à l’égard de Céline ? Pas du tout. Certes, il juge  » épouvantable  » le docteur Destouches, mais, dit-il,  » on a le droit de vénérer le plus grand écrivain après Proust « . Il ne renie rien, ne regrette rien.

Lorànt Deutsch, qui se revendique héritier d’Alain Decaux ou d’André Castelot, est désormais rangé par ses critiques dans la même catégorie qu’un Eric Zemmour. Mais un Zemmour qui ne s’assumerait pas, plus dangereux encore puisqu’il distille ses idées en prétendant distraire. Les plus sévères lui reprochent une vision réactionnaire de l’histoire. Les plus indulgents le classent parmi les défenseurs d’un enseignement très en vogue sous la IIIe République française, celui des manuels Lavisse. L’intéressé récuse toute proximité avec les maurrassiens – n’a-t-il pas été sensibilisé au royalisme par Bertrand Renouvin, qui se veut un gaulliste de gauche ? Mais, à la rentrée 2018, il soulève l’indignation en déclarant qu’il  » ne voit pas l’intérêt d’apprendre l’arabe à l’école « . Il s’explique quelques jours plus tard dans l’émission C à vous :  » Sachez que, dans la langue française, y a plus de 600 à 700 mots arabes […]. Donc, nos ancêtres, au niveau de la langue, sont plus les Arabes que les Gaulois.  » Feint-il de ne pas comprendre ce que sa remarque sur l’enseignement de l’arabe peut avoir de blessant ? Y a-t-il des langues nobles et d’autres qui le sont moins ? Lui a inscrit ses enfants à l’école bilingue du xviie arrondissement parisien dès leur plus jeune âge, parce qu' » au niveau de l’anglais, c’est quand même très efficace « .

Bref, un garçon simple, normal. Trop, à son goût ? Il a poli sa propre légende.

Lorànt Deutsch ne comprend pas qu’on vienne l’attaquer sur ce terrain-là. C’est vrai, il est un défenseur d’une France à l’ancienne, du monde d’hier, celui où une ferme prospérait encore en plein Paris, à Montsouris, celui où la destruction des Halles n’avait pas encore privé les Parisiens de leur ventre. Oui, il aime les paysans qui entretiennent et perpétuent la mémoire de la terre, les petits entrepreneurs qui, malgré les charges et les impôts, continuent d’y croire. Mais rien de plus. Fils de juif mais catholique, royaliste mais doté d’un ancêtre révolutionnaire, enfant d’immigré mais Français amoureux de la France, il ne comprend pas que, vu ses identités multiples, on puisse le dénigrer de la sorte. Peut-on soupçonner Lorànt Deutsch d’être d’extrême droite alors que son grand-père a disparu à Treblinka ?

De Saint-Jacques-de-Compostelle à Saint-Emilion (photo), il se lance sur les routes de France pour Hexagone (2013), mais sera violemment taclé pour sa vision de l'histoire.
De Saint-Jacques-de-Compostelle à Saint-Emilion (photo), il se lance sur les routes de France pour Hexagone (2013), mais sera violemment taclé pour sa vision de l’histoire.© G. BASSIGNAC/DIVERGENCE

Episode 4 – Où l’on remarque que les ambiguïtés de Lorànt Deutsch lui attirent quelques ennemis. Tous d’extrême gauche. Enfin, selon lui

Décidément, 2016 est vraiment une mauvaise année pour Lorànt Deutsch. A se demander pourquoi, tout à coup, tant d’ennuis lui tombent dessus en rafale. En réalité, ils ont commencé trois ans plus tôt, lorsque trois historiens, Christophe Naudin, William Blanc et Aurore Chéry, ont publié un petit opus intitulé Les Historiens de garde – sous-titré De Lorànt Deutsch à Patrick Buisson, la résurgence du roman national. Une large part de l’ouvrage est consacrée à l’acteur et à Métronome. Au-delà des erreurs factuelles et sous couvert de distraction, dénoncent les auteurs, Lorànt Deutsch s’inscrit dans une histoire identitaire et rétrograde. Il est l’un des avatars de ceux qui,  » tels des chiens de garde, pour reprendre l’image de Paul Nizan, sont les historiens de garde d’un trésor poussiéreux qui n’est que le fruit d’une inquiétude face au passé qu’eux seuls n’arrivent pas à surmonter « .

Lorànt Deutsch est fou furieux, ses éditeurs préfèrent temporiser, ils ne veulent pas faire une inutile publicité à des gens qui ne sont, selon eux, que  » des étudiants « . Des envieux, ajoutent-ils, jamais invités sur les plateaux télé, contrairement à leur poulain. Certes, ils ont vendu 5 000 exemplaires de leur livre – un score plus qu’honorable pour la thématique -, mais pas de quoi faire tomber l’empire Deutsch.

Pourtant, la petite graine du doute est semée. Trois ans plus tard, deux événements vont se télescoper et égratigner l’image de l’écrivain. A l’automne 2016, à Trappes, des professeurs de collège sont sollicités pour assister avec leurs élèves de 4e à une rencontre avec Lorànt Deutsch. Plusieurs d’entre eux refusent de prendre sur leurs heures de cours pour rejoindre la salle municipale à l’autre bout de la ville, aller voir quelqu’un qui n’est pas historien et ne se donne même pas la peine de relativiser ses sources. La principale leur met un peu la pression, ils refusent à nouveau. Elle décide de leur trouver des remplaçants. Entre-temps, certains ont publié un texte sur un forum pour expliquer leur choix.

La rencontre est annulée, la riposte s’organise.  » Deux profs militants m’empêchent d’aller à Trappes « , proclame Lorànt Deutsch dans un entretien au Figaro. Ses soutiens sont moins nuancés encore. On évoque un veto à sa venue, on hurle à l’idéologie, on parle de gâchis, de bêtise ambiante. L’événement prend de l’ampleur, il est désormais question  » d’interdiction d’entrer dans un collège « , d' » enseignants militants du Front de gauche « . Il peut compter sur quelques fidèles défenseurs dans la presse de droite. L’un d’eux tweete :  » Soutien à Lorànt Deutsch, victime des idéologues du @FDG, qui apprennent à nos enfants la haine de la France #Trappes.  » Peu importe que les professeurs racontent une autre histoire, Lorànt Deutsch paraît être la victime d’une sacrée cabale.

Mais quelques semaines plus tard, le site BuzzFeed sort une enquête sur un compte Twitter anonyme qui se venge violemment de tous ceux qui s’attaquent à Lorànt Deutsch, recourant volontiers à l’insulte. Or, ce compte a été, semble-t-il, créé à partir de l’adresse personnelle du comédien. Captures d’écran à l’appui, l’article est du plus mauvais effet. Il plaide l’usurpation d’identité, porte plainte. Mais le doute plane toujours. Il dit n’avoir eu aucune nouvelle de la police, mais seul un très, très proche a pu écrire des messages aussi détaillés. Désormais, Lorànt Deutsch n’est plus seulement celui qui a sa marionnette aux Guignols de l’info de Canal+, une marionnette dont le slogan est :  » Après l’histoire de France pour les nuls, l’histoire de France par un nul. Deux mille ans d’archives revisités en deux journées d’écriture.  » Il est également suspecté d’avoir une face cachée pas très glorieuse.

Tournage à Niort avec son collaborateur pour A toute berzingue !, la chaîne YouTube qu'il a créée récemment. Et qui ne séduit encore que 3 200 abonnés.
Tournage à Niort avec son collaborateur pour A toute berzingue !, la chaîne YouTube qu’il a créée récemment. Et qui ne séduit encore que 3 200 abonnés.© PHOTOPQR/LE COURRIER DE L’OUEST/MAX PPP

Aujourd’hui, il résume ces épisodes à de vilaines charges d’idéologues gauchistes contre un simple petit raconteur d’histoires.  » Ils sont 30, les mecs qui m’attaquent. Tous de La France insoumise. Je n’ai rien contre eux, mais on n’est pas tous obligés d’en être « , lâche-t-il. Il n’a pas complètement tort en ce qui concerne Alexis Corbière. Déjà, en 2012, l’élu avait voulu faire voter au Conseil de Paris le retrait de la médaille Vermeil de la Ville que Bertrand Delanoë avait attribuée à l’acteur. Récemment encore, il critiquait sa manière de parler de la Révolution française. Mais pour les autres ? Le qualificatif d’extrême gauche est devenu le leitmotiv de Lorànt Deutsch pour se défendre contre ses ennemis. Les professeurs de Trappes ? France insoumise, parce que l’un d’eux a soutenu une liste municipale à Maurepas. Les auteurs des Historiens de garde ? Idem. Le Suisse qui a critiqué sa vidéo sur Genève ? Un  » communiste « . La preuve, glisse Lorànt Deutsch,  » il a écrit sur les sociétés populaires. Quand il y a « populaire », l’extrême gauche n’est pas loin « . Puis, il passe rapidement à autre chose.

L’argument a l’avantage d’éviter toute discussion. Car jamais Lorànt Deutsch ne s’est confronté à ses contradicteurs. Il y a parfois eu des émissions de télévision où les deux points de vue étaient exprimés, mais jamais simultanément, l’un était enregistré, l’autre en plateau. A une question qui lui était posée à propos de Trappes –  » Avez-vous tenté d’échanger avec vos détracteurs ?  » -, il répond :  » Oui, mais cela n’a visiblement pas été possible. Ils ont contourné l’obstacle en publiant une tribune assez froide via l’association syndicale Attac.  » Les professeurs en question ne se souviennent pas de cette proposition de rencontre. C’est désormais parole contre parole.

Pour éviter de lui faire trop de publicité, certains critiques et autres experts ont décidé de ne plus commenter ses ouvrages. D’autres ne cachent pas qu’ils partent aujourd’hui à la reconquête d’une histoire de France laissée  » à des conteurs peu scrupuleux « , selon le terme employé par Patrick Boucheron lors du lancement de l’ouvrage collectif Histoire mondiale de la France (Seuil, 2017). Pas de nom, mais le sous-entendu est sans ambiguïté. A ce petit jeu de  » je suis la victime de grands jaloux, d’universitaires aigris ou de militants zélés « , Lorànt Deutsch a peut-être plus perdu que gagné.

Lorànt Deutsch et Stéphane Bern, tous deux monarchistes revendiqués, présentent l'émission Laissez-vous guider sur une chaîne de service public.
Lorànt Deutsch et Stéphane Bern, tous deux monarchistes revendiqués, présentent l’émission Laissez-vous guider sur une chaîne de service public.© F. LAUNETTE/MAXPPP/PHOTOPQR/LA PROVENCE/MAX PPP

Episode 5 – Où l’on découvre qu’à force de polémiques, Lorànt Deutsch a laissé quelques plumes. Notamment au cinéma. Et qu’il tente de se réinventer une carrière

Ne cherchez pas Lorànt Deutsch à l’affiche des films récents, vous ne l’y trouverez pas. Lui qui a commencé en jouant le jeune détective façon Club des cinq dans Les Intrépides, puis enchaîné les comédies populaires, n’apparaît plus sur le grand écran depuis plusieurs années. Tout juste peut-on reconnaître sa gouaille et son débit lorsqu’il double des voix dans des dessins animés, comme Rio ou Chicken Little. Son temps est peut-être révolu, explique-t-il. Avant d’ajouter :  » J’ai refusé des films, dont les tournages avaient lieu l’été, pour passer les vacances avec mes enfants.  » Puis il lâche :  » Et les polémiques n’arrangent rien.  » Dans un monde du cinéma réputé pour sa frilosité, qui préfère le consensus aux oppositions, Lorànt Deutsch est devenu un produit difficile à placer. Certains le disent tricard. Lui-même reconnaît qu’il n’a plus beaucoup de propositions :  » Avant, j’étais un bon client pour la promo des films, je balançais quelques vannes et ça roulait. Maintenant, on m’interroge sur les polémiques, ça mange du temps où on ne parle pas de l’oeuvre, regrette-t-il. Je sais qu’à un moment donné, mon nom a été proposé pour un projet et que le financeur a répondu que j’étais trop clivant.  » Peine d’orgueil plus que d’argent. Lorànt Deutsch n’a pas vraiment de problème de ce côté-là.

L’essentiel de ses revenus vient désormais de ses livres et de leurs déclinaisons. Il touche de confortables droits d’auteur, même s’il n’a jamais demandé, depuis Métronome, à revoir les 10 000 euros d’à-valoir qu’il reçoit avant la publication. Lorànt Deutsch n’a pas les travers de ceux qui sont nés avec une cuillère en argent dans la bouche. Il vit bien mais sans excès. Il n’est, assure-t-il, propriétaire que d’un scooter, d’un Scénic 7 places et de biens immobiliers dans la Plaine-Monceau, où il habite, et sur l’île de Ré, où il a acheté un vieux moulin qu’il retape.  » C’est moins que Mélenchon « , ajoute-t-il.

A défaut de cinéma, l’écrivain cherche à rajeunir son public. C’est l’objectif de la chaîne YouTube A toute berzingue ! qu’il a lancée il y a quelques mois. La mésaventure de Genève ne l’a pas découragé. Il a déjà raconté en cinq minutes de vidéo le passé de La Rochelle, Niort, Arras, Nice ou Orléans. Et trouvé un sponsor – une entreprise immobilière spécialisée dans les biens à fort contenu patrimonial – qui lui verse 8 000 euros par épisode. Mais le succès reste à confirmer : la chaîne ne compte encore que 3 200 abonnés quand Nota Bene, une autre chaîne Youtube sur l’histoire, animée par Benjamin Brillaud, en a plus de 900 000. Avec, certes, quelques années d’ancienneté en plus. Lorànt Deutsch le reconnaît, les réseaux sociaux, ce n’est franchement pas son truc.  » Je ne comprends rien aux algorithmes, je ne publie pas aux bons moments, mais 3 200 abonnés en six mois, c’est méritant « , plaide-t-il. Pas très glorieux tout de même.  » C’est vrai que, par moments, je me dis, je suis Lorànt Deutsch quand même !  » D’ailleurs, il aimerait bien qu’on fasse un peu de publicité pour sa chaîne. Il le demande franchement, en fin d’entretien :  » Ce serait bien, hein ? « 

En attendant le succès numérique –  » vous verrez dans quelques mois « , confie-t-il -, Lorànt Deutsch s’emploie à amener ses lecteurs traditionnels au théâtre. Il se rêve désormais en Fabrice Luchini de l’histoire. Ces derniers temps, il était en Asie pour une tournée avec un spectacle où il est seul sur les planches : Paris au fil de la Seine. Alors que des images défilent derrière lui, il raconte la capitale en dix monuments proches du fleuve. Il est allé à Hong Kong, Saigon, Kuala Lumpur, Séoul… où il est accueilli dans les alliances françaises. Le spectacle est en anglais et en français pour n’exclure personne.

A ceux qui seraient tentés de se moquer de cette tournée asiatique aux airs de retraite pour chanteurs vieillissants ou mal-aimés en France, un proche rétorque, pas peu fier :  » Lorànt, lui, il a rempli les salles. Dans une de ces villes, il a fait le plein les deux jours, alors que la semaine d’avant, un chanteur de variétés n’avait même pas vendu la moitié des places.  » A la fin de chaque représentation, le comédien se prête volontiers à une séquence de questions-réponses, qui s’étire parfois sur plus d’une heure. Il est là pour partager sa passion, le public apprécie. Une simple mise en bouche.

A la rentrée prochaine, Lorànt Deutsch veut casser la baraque dans un hybride de one-man-show et de lecture publique. Quelques dates à Nice, puis il donnera son spectacle inspiré de Romanesque au théâtre de Paris. Il démarrera doucement, avec juste une ou deux représentations par semaine. De quoi créer l’intérêt par la rareté. Un vrai investissement : à raison de 300 à 400 euros par soir, il ne gagnera pas grand-chose, prend-il soin de préciser. Sans qu’on le lui demande, il fait les multiplications : de 3 000 à 4 000 euros par mois, donc, en attendant le triomphe… Qui ne saurait tarder, veut-il croire. Les premiers coups de sonde sont encourageants. A l’automne, lance-t-il, il va prendre Paris et jouer à guichets fermés ! Et il réserve une autre surprise : c’est Alain Rey qui cosigne le livret du spectacle. Oui, Alain Rey, le Alain Rey du dictionnaire Robert, celui qui a oeuvré des années sur France Inter, la référence de beaucoup de gens de gauche en matière de mots. Comme un pied de nez à tous ceux qui classent Lorànt Deutsch parmi les  » de droite « , les réacs, les  » sans culture « . Ah, c’est sûr, il n’est pas peu fier de ce dernier coup. Et tant pis si Alain Rey, 90 ans au compteur, est davantage l’idole des sexagénaires ou des septuagénaires que celle des millenials. Pour rajeunir, on verra plus tard…

Par Agnès Laurent.

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