Les chars allemands Leopard ont déjà servi sur des terrains de guerre. Les premiers devraient arriver fin mars en Ukraine. © getty images

Les chars Leopard, symbole du virage allemand face à la guerre en Ukraine

Nathalie Versieux Journaliste, correspondante en Allemagne

Longtemps pacifistes, les Allemands sont désormais 53% à approuver les livraisons de chars Leopard à l’Ukraine. Influeront-ils sur l’issue de la guerre? Ils n’ont jamais été engagés dans de grandes batailles ardues…

Contrairement à ce que réclame désormais Kiev, ce ne sont pas de vieux coucous que recevra l’armée ukrainienne de Berlin mais bien des Leopard 2 A6, l’une des versions les plus récentes de cette «Golf» du char d’assaut, comme on appelle parfois le Panzer le plus vendu au monde après l’Abrams américain, et l’un des succès d’exportation de l’industrie d’armement allemande.

Une vingtaine de pays sont équipés de modèles allant du Leopard 1 (premiers prototypes livrés en 1961) au Leopard 2 A7, le plus récent. Depuis le début de la production, en 1978, plus de 3 500 Leopard 2 sont sortis des chaînes allemandes. Certes, les stocks ont fondu avec la fin de la guerre froide. Mais il reste plus de 2 000 exemplaires dans les casernes d’Europe et de l’Otan, dont plus de 850 rien qu’en Grèce.

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«La particularité du Leopard est qu’il réunit en un ensemble très équilibré les qualités requises pour un char de combat, à savoir la mobilité, la protection de l’équipage par le blindage et la puissance de feu, résume Ralf Raths, directeur du musée du char à Münster. Le canon n’est pas le meilleur du monde, mais il est excellent. Le blindage n’est pas particulièrement nouveau, mais il est très bon. La mobilité du véhicule est également très bien en vitesse finale et, surtout, en matière d’accélération et de déplacement en avant et en arrière.» Le Leopard, soulignent les stratèges, est un compromis. «Et un compromis plutôt réussi.»

Impact… psychologique

Les Allemands, longtemps pacifistes mais qui sont désormais 53% à approuver les livraisons à l’Ukraine, savent presque tout des caractéristiques techniques du modèle. «Der Leo» a des mensurations de rêve si on en croit le quotidien populaire Bild-Zeitung, louant les mérites de l’engin comme s’il ne s’agissait pas d’une machine à tuer: 60 tonnes, une vitesse maximale de 70 km/heure, un canon de 120 mm, un moteur de 1 500 PS… Le Leopard peut atteindre une cible à 5 000 mètres, peut tirer en mouvement, même en marche arrière. Sur YouTube, on voit le char d’assaut, équipé d’un dispositif spécial, transporter une pinte de bière au bout de son canon sans renverser le breuvage. Cette stabilité lui permet d’atteindre sa cible, même à pleine vitesse. Haut de trois mètres et long de dix mètres, il peut, doté d’un équipement supplémentaire, franchir un cours d’eau de quatre mètres de profondeur.

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Le Leopard 2 est conçu pour le duel armé. Dans un tel contexte, il est indiscutablement supérieur au T72 soviétique.

Un autre atout du char d’assaut conçu par Krauss-Maffei Wegmann (KMW) est son impact psychologique, en tout cas sur l’infanterie. Son arrivée sur les lieux et une salve d’avertissement ont suffi à séparer Serbes et Kosovars à Velika Hoca, dans les années 1990. Utilisé par les Canadiens en Afghanistan, il a mis en fuite les talibans mal armés. «Mais, précise Ralf Raths, le Leopard 2 n’a jamais été engagé dans une grande bataille difficile.» A la différence des Abrams américains et des Challengers britanniques, au front des deux guerres du Golfe.

Des faiblesses

A l’épreuve du feu en Ukraine, le Leopard montrera aussi ses faiblesses. Comme en 2016, lorsque la Turquie a envoyé des Leopard 2 contre la milice de l’Etat islamique en Syrie. Trois engins, au moins, ont été détruits par des missiles de défense. Les Leopard auraient été mal utilisés, et trop peu soutenus par l’infanterie, selon la version allemande des faits. Son poids est aussi un désavantage pour franchir les ponts.

Pour les Ukrainiens, un des atouts du Leopard 2 A6 est sa supériorité par rapport au T72 de fabrication soviétique que les Russes continuent d’utiliser et dont dispose également l’armée ukrainienne – elle a notamment reçu des livraisons de la Pologne. «Ces modèles soviétiques sont insuffisamment blindés et ne disposent pas d’une arme assez puissante pour se battre correctement, précise Oleksandr Kovalenko, observateur militaire et politique ukrainien du groupe Résistance à l’information, face à la presse allemande. Le compartiment moteur peut être détruit par une arme antichar de type RPG-7. Et la puissance du canon de 105 mm du T72 n’est pas suffisante pour percer le blindage d’un T 72, 80 ou 90 adverse.» Pour la même raison, l’expert militaire ukrainien est contre la livraison, évoquée en Belgique, de Leopard 1 par les alliés. «Dans une bataille de chars avec un T 72, une percée de l’ennemi signifierait la fosse commune pour l’équipage. Si j’étais commandant sur le terrain, je n’enverrais jamais mes hommes dans un tel char.»

Maintenance en Pologne

Le Leopard 2, lui, est conçu pour le duel armé. «Dans un tel contexte, il est indiscutablement supérieur au T72 soviétique, estime Ralf Raths. Les chars de l’Ouest ont été conçus pendant la guerre froide pour le duel direct. Chaque engin était très cher, très complexe, très gros, mais aussi performant et robuste. Les T72 n’avaient pas tous ces atouts mais ils ont été construits en masse, parce que moins chers. La Russie n’a plus autant de chars que lors de la guerre froide. De ce fait, l’Ukraine peut doublement profiter des atouts techniques des chars occidentaux.»

Autre atout pour l’armée ukrainienne: il lui sera beaucoup plus aisé d’assurer logistique et maintenance depuis la Pologne, voire depuis l’Allemagne en cas de grosses réparations sur un appareil. Il sera aussi plus aisé pour les alliés de lancer un programme de fabrication de munitions pour le Leopard à destination de l’Ukraine, que de se lancer dans la fabrication de munitions 125 mm, le calibre des chars soviétiques. En comparaison, les Abrams américains, que Washington s’est engagé à fournir à Kiev, sont considérés comme plus délicats à l’usage, et plus énergivores. Ils ne devraient pas arriver sur le terrain avant 2024, selon les estimations des experts. Les Leopard, eux, pourraient être livrés à l’Ukraine fin mars au plus tard.

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