Une dame lit les titres des journaux faisant référence à l'assassinat du journaliste Giorgos Karaïvaz qui travaillait pour la chaîne de télévision privée Star et dirigeait également le blog d'information bloko.gr, Athènes, le 10 avril. © AFP

La liberté de la presse est-elle menacée en Europe ?

Stagiaire Le Vif

L’assassinat du journaliste grec Giorgos Karaïvaz, spécialisé dans des affaires criminelles, secoue la Grèce. Il s’inscrit dans un contexte de  » dégradation de la liberté de la presse en Europe  » selon le secrétaire général de la Fédération européenne des journalistes, Ricardo Gutiérrez.

« Certains ont choisi de le réduire au silence, et de l’empêcher avec des balles d’écrire ses articles« écrivent les collègues du journaliste Giorgos Karaïvaz sur le site d’actualités qu’il avait créé, Bloko.gr. Plus précisément, ce sont 17 balles qui ont tué le journaliste devant son domicile à Athènes, le 9 avril.

Giorgos Karaïvaz enquêtait sur plusieurs affaires sensibles, dont l’arrestation de Dimitris Lignadis, l’ancien directeur du Théâtre national grec, soupçonné d’agressions sexuelles sur mineurs, l’évaluation de hauts gradés de la police, ou bien encore la controverse née d’une protection policière démesurée accordée à un présentateur de télévision. Pour l’heure, rien ne permet de déterminer le motif de l’assassinat.

Le Premier ministre grec Kyriokos Mitsotakis a demandé samedi la « résolution rapide » de l’enquête sur le meurtre du journaliste. Un assassinat condamné par les partis politiques grecs, les syndicats de la presse du pays et des responsables européens tels que la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen.

https://twitter.com/vonderleyen/status/1380578452789661697Ursula von der Leyenhttps://twitter.com/vonderleyen

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

550rich3153600000Twitterhttps://twitter.com1.0

Sa mort porte à trois le nombre d’enquêteurs assassinés dans l’Union européenne en moins de cinq ans. Les cas précédents étaient Jan Kuciak tué en février 2018 alors qu’il enquêtait sur la corruption, en Slovaquie, et, en octobre 2017, la journaliste anticorruption maltaise Daphne Caruana Galizia. Parmi les accidents semblables, le directeur de radio, blogueur et journaliste d’investigation Socratis Giolias avait été abattu en 2010, également devant son domicile. Ce sont en particulier les journalistes d’investigation qui sont dans les collimateurs des États ou des cartels parce qu’ils enquêtent sur des cas de corruption locale, sur des mafias, ou les réseaux criminels.

La situation en Europe

En Europe, les États membres affichent de fortes disparités. Si les pays scandinaves sont parmi les mieux classés dans le monde, ce n’est pas le cas de la plupart des pays méditerranéens et d’Europe de l’Est. De manière générale, la liberté de la presse « devient de plus en plus un luxe réservé aux pays les plus riches« , écrivait déjà The Economist en 2018.

Infographie: La liberté de la presse en Europe | Statista Vous trouverez plus d’infographie sur Statista

Chaque année, Reporters sans frontières (RSF) publie un classement mondial sur la liberté de la presse. « Depuis quelques années, on constate une dégradation continue de la liberté de la presse en Europe », affirme Ricardo Gutiérrez, secrétaire général de la Fédération européenne des journalistes. « L’évolution la plus notable, c’est que les pratiques des régimes autoritaires comme la Russie, la Chine, la Turquie se sont généralisées même aux anciennes démocraties de l’Europe « . L’attentat de Charlie Hebdo en 2015 en est la preuve ainsi que toutes les alertes enregistrées chaque jour sur le site du Conseil de l’Europe dédié à la sécurité des journalistes. En 2015, il comptait 108 alertes contre 201 en 2020.

Ces signalements comprennent cinq causes principales : l’attente à la liberté physique, la détention, le harcèlement, l’intimidation et l’impunité. Celle-ci se vérifie quand les affaires des meurtres contre des journalistes sont archivées. À l’échelle du monde, 90 % de ces cas ne sont pas élucidés. « Il n’y a pas assez de volonté de chercher les coupables« , selon Ricardo Gutiérrez. « Il suffit de regarder les difficultés de l’enquête sur l’assassinat de la journaliste Daphne Caruana Galizia. On sait que la politique pourrait être responsable, mais on n’a presque jamais interrogé les hommes politiques. » Des liens de pouvoir les protègent de tout acte répréhensible. Détenir l’information c’est détenir le pouvoir. « Les journalistes représentent un contre-pouvoir de la société que d’autres hommes de pouvoir comme les politiques, les lobbys ou les syndicats supportent difficilement. »

« La principale source de menace pour les journalistes est constituée pour 60 % par les autorités publiques », explique Ricardo Gutiérrez. « Si certains leaders ou partis politiques insultent les journalistes, les citoyens pensent que c’est légitime de le faire sur les réseaux sociaux ou sur le terrain. «  Le développement d’une rhétorique anti-média, alimentée par l’ex-président Trump, se poursuit dans de nombreux pays d’Europe. En République tchèque, cette attitude était incarnée par le président de la République Milo¨ Zeman qui en 2017 avait brandi une kalachnikov factice portant l’inscription « pour les journalistes ». Une provocation à « vocation humoristique », selon l’intéressé.

Conséquence du développement de ce discours de défiance, les journalistes sont de plus en plus pris à partie quand ils couvrent des manifestations. « En France, plus de 200 journalistes se sont fait injurier ou obstruer par des citoyens ou des policiers lors des manifestations de gilets jaunes« , rapporte Ricardo Gutiérrez. La proposition de loi visant à interdire la diffusion d’images de policiers représenterait «  une sérieuse atteinte à la liberté de la presse puisqu’elle empêcherait les journalistes de couvrir en direct les événements où opèrent ces forces« .

Les standards juridiques européens ne sont plus respectés par les pays démocratiques, comme explique le secrétaire. En Italie, « une vingtaine de journalistes vivent sous protection policière permanente en raison de menaces ou de tentatives d’assassinat imputables à des réseaux mafieux« . Néanmoins, « les procureurs ont violé les standards européens interdisant les enregistrements des conversations téléphoniques.  »

En Europe, la liberté de la presse est également mise en danger par des procédures d’intimidations politiques lancées contre les journalistes, en particulier au moment des élections, comme c’est le cas en Lettonie. En Roumanie, c’est le secret des sources qui est menacé. Les autorités « mettent la pression sur certains journalistes pour qu’ils dévoilent leurs sources« .

Selon le bilan de « reporters sans frontières » de 2020, 53 journalistes ont été tués. Un chiffre semblable à celui de l’année précédente alors que les journalistes étaient moins présents sur le terrain du fait de la pandémie.

Moins de transparence pendant la pandémie

Dans la plupart des pays, des lois permettaient l’accès à l’information publique instantanément. Sous prétexte de la pandémie, des États ont changé ces lois avec des mesures liberticides. «  En Roumanie par exemple, il était prévu que toute demande d’un document publique de la part d’un citoyen devait avoir la réponse en une semaine. Le délai est reporté à trois mois maintenant. Cela devient difficile pour les journalistes de travailler pour la presse quotidienne. », explique Ricardo Gutiérrez.

De la même mesure, des membres du gouvernement ou des institutions publiques refusent les demandes d’interviews émises par des médias critiques. Beaucoup de politiques se servent du discours des fake news pour attaquer tout média traditionnel, et pas seulement ceux qui diffusent ces fake news.

Pour protéger la presse durant cette période, « il fautreconnaître le droit du journaliste en tant que contrepouvoir« , selon Ricardo Gutiérrez. « Le rôle social du journaliste, c’est celui d’informer les citoyens en toute transparence. » Le slogan de la Fédération européenne des journalistes (EFJ), c’est « le journaliste n’est pas un bien privé » puisqu’il travaille pour l’intérêt public même s’il fait partie d’une organisation privée. Cela justifie alors une protection spéciale pour qu’il puisse demander des comptes aux détenteurs du pouvoir, aux ministres, aux patrons d’entreprises sans risquer pour sa vie.

La Belgique 12e au classement mondial de RSF

Depuis avril 2015, le Conseil de l’Europe a enregistré 27 alertes, dont 14 sont résolues. Une de ces alertes concernait la menace qu’un journaliste de la RTBF avait reçue de la part du porte-parole du gouvernement Michel. Le lendemain, le Premier ministre s’est excusé.

Le secteur de la presse manque surtout de moyens, surtout dans cette période de crise. « Les rédactions ont pris des mesures sociales. Le Soir a diminué les jours de congé pour sauver l’entreprise « , explique Ricardo Gutiérrez. En 2019, les journalistes de la télévision néerlandophone VRT manifestaient contre les coupes budgétaires décidées par le gouvernement flamand. « Les financeurs exercent un contrôle sur les chaînes publiques, sapent les organisations de presse indépendantes et financent des organes d’information qui leur sont politiquement favorables « .

En outre, l’EFJ observe un nouveau phénomène, appelé « slapp ». Il s’agit d’actions judiciaires contre des journalistes qui investiguent sur des scandales politico-financiers. Leur objectif est d’épuiser les ressources financières et psychologiques des cibles et de ralentir leurs enquêtes.

Valentina Jaimes

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire