Les élus de La France insoumise ont fait une entrée remarquée à l’Assemblée nationale, le 21 juin, un des symboles du bouleversement politique en France. © GETTY IMAGES

La France devenue ingouvernable ? Les 3 défis de Macron après les législatives (analyse)

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Après la perte, par la macronie, de sa majorité absolue à l’Assemblée nationale, les scénarios pour permettre à l’exécutif de gouverner ne prêtent pas à l’optimisme. Paralysie en vue?

Le contexte

Une défaite pour Ensemble!, 246 députés et la perte de la majorité absolue. Une victoire pour la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes), 136 élus mais loin de la majorité qui devait imposer Jean-Luc Mélenchon Premier ministre. Un vrai succès pour le Rassemblement national qui, avec 89 parlementaires, multiplie par onze sa représentation. Un maintien honorable pour Les Républicains associés à l’Union des démocrates et indépendants, 64 députés malgré la débâcle à la présidentielle de leur candidate. Le paysage politique français est éclaté comme jamais. Et le deuxième quinquennat d’Emmanuel Macron s’annonce chahuté.

Privé de majorité absolue à l’issue d’élections législatives qui ont enregistré le sursaut de la gauche autour de l’alliance forgée par le leader de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, et le succès sans précédent du Rassemblement national de Marine Le Pen, Emmanuel Macron se retrouve entravé dans sa volonté de lancer les nouvelles réformes promises pour son second mandat. La paralysie guette l’exécutif français, mais elle n’ est pas inéluctable. A travers trois questions, revue des conséquences immédiates d’un scrutin détonant.

1. La France est-elle ingouvernable?

Emmanuel Macron a mené, les 21 et 22 juin, des consultations avec les partis représentés à l’ Assemblée nationale afin d’«identifier les solutions constructives envisageables au service des Français». Les pistes pour permettre au gouvernement de… gouverner, faute de majorité absolue, ne sont pas pléthoriques.

Première hypothèse, une gestion au cas par cas avec l’une ou l’autre force politique au gré des dossiers. Cette méthode avait été mise en œuvre par Michel Rocard, lors d’un précédent cas de figure similaire, après les législatives de 1988, sous le deuxième mandat de François Mitterrand. Mais comparaison n’est, en l’occurrence, pas raison. Il ne manquait au Premier ministre socialiste qu’une douzaine de voix pour atteindre la majorité absolue, contre 43 aujourd’hui. Il pouvait faire un usage étendu de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution facilitant l’adoption d’un texte à l’Assemblée. Désormais, son recours est limité. Et l’échiquier politique était loin d’être aussi polarisé aux extrêmes qu’il ne l’est en 2022 à travers la puissance acquise par le Rassemblement national et par La France insoumise.

La Première ministre Elisabeth Borne, fragilisée depuis sa nomination, menacée depuis les élections.
La Première ministre Elisabeth Borne, fragilisée depuis sa nomination, menacée depuis les élections. © BELGA IMAGE

Il n’empêche qu’en théorie, il est envisageable que des projets de loi sur la réforme des retraites, sur la sécurité, sur la défense, rencontrent l’assentiment de députés de droite, en particulier ceux du parti Les Républicains, et que des projets sur la transition écologique ou sur des questions de société comme la procréation médicalement assistée (PMA) pour tous soient approuvés par les ailes les plus mesurées de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes), le Parti socialiste ou Europe Ecologie Les Verts. Mais c’est faire un pari sur le sens des responsabilités qui devrait faire fi des intérêts particratiques. Ce n’est donc pas gagné.

Deuxième hypothèse, une coalition de gouvernement. Elle n’est envisageable qu’entre le groupe Ensemble! et Les Républicains par calcul arithmétique – les deux disposeraient d’une majorité confortable, autour des 310 voix sur les 577 députés – et par proximité idéologique – somme toute, Emmanuel Macron a mis en œuvre lors de son premier mandat beaucoup de mesures que la droite républicaine aurait pu initier. L’ écueil de ce scénario est politicien. Que gagneraient les Républicains à aider Emmanuel Macron à diriger le pays pendant cinq ans? La reconnaissance de leur sens des responsabilités et du respect des intérêts de la France? Pas sûr que cela dope, à terme, le nombre de leurs électeurs. Le président de LR, Christian Jacob, a fermé la porte à cette éventualité, en assurant, après son entretien avec le président, le mardi 21 juin, vouloir mener «une opposition déterminée et responsable» et refuser «la logique de pacte». Mais d’autres ténors du parti, parmi lesquels l’ancien ministre Jean-François Copé, n’excluent pas une entente avec Emmanuel Macron afin, notamment, de «lutter contre la montée des extrêmes».

Le président du parti Les Républicains, Christian Jacob, a annoncé une «opposition déterminée et responsable» au gouvernement.
Le président du parti Les Républicains, Christian Jacob, a annoncé une «opposition déterminée et responsable» au gouvernement. © BELGA IMAGE

Troisième hypothèse, une dissolution de l’ Assemblée nationale. Le président de la République peut la décider. Mais elle n’est pas sans risque pour le pouvoir en place. Jacques Chirac en a fait l’expérience, en 1997, en propulsant une majorité socialiste à l’ Assemblée et Lionel Jospin au poste de Premier ministre. Quoi qu’il en soit, une dissolution ne pourrait intervenir qu’au terme d’une séquence où Emmanuel Macron constaterait l’impossibilité de gouverner en raison de l’obstruction à ses projets et pourrait en rejeter la responsabilité sur ses adversaires pour espérer des gains électoraux et une majorité absolue au nom de l’intérêt supérieur du pays.

2. Elisabeth Borne peut-elle rester Première ministre?

La Première ministre, nommée le 16 mai, a remis sa démission le 21 juin. C’est une tradition après des élections législatives. Mais Emmanuel Macron lui a demandé de poursuivre sa mission «afin que le gouvernement puisse demeurer à la tâche». L’ épisode ne dit rien sur l’avenir de cette personnalité plus technocrate que politique et qui avait été choisie pour imprimer une orientation à gauche au nouveau gouvernement à l’entame du second mandat du président, en réponse à l’union de la gauche mise en œuvre par Jean-Luc Mélenchon autour de son programme pour les législatives.

La Première ministre étant censée être la cheffe de la majorité et celle-ci ayant subi un échec cinglant à l’occasion du scrutin législatif, poser la question de son maintien à la tête de l’exécutif est légitime. D’autant plus que les résultats définitifs ont rappelé la droitisation de la scène politique française, avec la progression du Rassemblement national et la résistance honorable des Républicains. Une personnalité plus ancrée à droite lui succédera-t-elle à Matignon, réduisant son mandat à une portion encore plus congrue que celui de sa seule prédécesseure, Edith Cresson? L’hypothèse est plausible même si ses défenseurs soulignent que l’identification à la gauche d’Elisabeth Borne n’est pas rédhibitoire.

Retrait ou pas, son équipe changera de toute façon pour se plier au principe qui stipule qu’un ministre défait aux législatives se démet du gouvernement. Ce sera le cas pour Amélie de Montchalin en charge du département stratégique de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Brigitte Bourguignon, la ministre des Solidarités et de la Santé, et Justine Benin, la secrétaire d’Etat à la Mer. Une autre occasion de «droitiser» le gouvernement?

3. Qui prendra la tête de l’opposition?

Le premier groupe d’opposition au gouvernement à l’Assemblée nationale est la Nouvelle union populaire écologique et socialiste, sauf qu’elle n’est plus un groupe unique. Jean-Luc Mélenchon s’est vu opposer une fin de non-recevoir à sa demande que la Nupes reste unie. Le Parti socialiste (32 députés), Europe Ecologie Les Verts (16) et le Parti communiste (13) ont repris leurs billes, une opération tactique prévisible et annonciatrice de tensions sur le fond des dossiers. Dès lors, La France insoumise, seule et forte de 75 élus, ne peut revendiquer le titre de principal parti d’opposition qui revient, in fine, au Rassemblement national et à ses 89 députés.

Une tribune de choix pour Marine Le Pen, d’autant que Jean-Luc Mélenchon n’est plus député, et un message envoyé dans la perspective de la présidentielle de 2027…

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