Gilets jaunes vs forces de l'ordre à Saint Etienne, le 17 décembre 2018 © Belga

« Gilets jaunes » : le point sur une journée de manifestations

Le Vif

Quelque 244.000 personnes ont participé samedi aux différents blocages organisés par les « gilets jaunes » partout en France pour protester contre la hausse des taxes sur les carburants, a annoncé le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner dans un communiqué.

Une personne est décédée sur un barrage et plus de 106 ont été blessées dont cinq gravement, a précisé le ministre, qui ajoute que 52 personnes ont été interpellées dont 38 placées en garde à vue.

Des hypermarchés et des stations-service touchés

Des hypermarchés et un nombre limité de stations-service étaient touchés samedi par le mouvement de protestation des « gilets jaunes » contre les prix des carburants, ont indiqué des entreprises à l’AFP.

Total a dénombré « environ 70 stations impactées (sur environ 3.500) à 16h30 », a précisé un porte-parole du groupe.

« Une petite dizaine ont rouvert dans l’après-midi après avoir fermé dans la matinée », a-t-il ajouté.

Du côté d’Auchan, un certain nombre d’hypermarchés étaient fermés: Pau et Noyelles-Godault (Pas-de-Calais) dès le matin et d’autres qui ont fermé leurs portes au cours de la journée (Bar-le-Duc, Belfort, Châtellerault, Dieppe, Avignon Le Pontet, Montivilliers, Poitiers sud), a indiqué un porte-parole.

A cela s’ajoutaient dans l’après-midi 26 hypermarchés en « situation de blocus complet » et 20 dont les accès routiers étaient filtrés. Quarante stations ne délivraient plus de carburant.

Parmi les supermarchés de l’enseigne, trois étaient fermés, un se trouvait en blocus complet et 15 stations ne délivraient plus de carburant.

Carrefour, qui n’a pour sa part pas donné d’éléments chiffrés, a déploré une « journée compliquée » pour ses employés.

« Ce mouvement a évidemment impacté la fréquentation de nos magasins et cela aura bien sûr un effet négatif sur nos ventes », a dit une porte-parole à l’AFP.

Le groupe avait auparavant précisé avoir mis en place « un dispositif d’information (par SMS et mail) à [ses] clients sur l’accès à leur magasin habituel ».

« On a des magasins qui ont été empêchés de fonctionner normalement » et notamment « pas mal en Bretagne », a de son côté indiqué un porte-parole de Système U. Le groupement coopératif ne disposait toutefois pas encore de chiffres consolidés au niveau national car chaque magasin est indépendant.

Il y aura « des conséquences sur le chiffre d’affaires » et l’effet sera « négatif et important », même s’il y aura des reports d’achats vers des magasins de proximité, selon le porte-parole de Système U.

Situation tendue près du palais de l’Elysée

« Environ 1.200 personnes sont actuellement regroupées dans le secteur de la Concorde, protégé par un dispositif de sécurité », a annoncé le ministère de l’Intérieur dans un communiqué diffusé peu après 17H00.

Plusieurs centaines de manifestants ont navigué pendant plusieurs heures entre les Champs Elysées, la rue du Faubourg Saint-Honoré, où se trouve le Palais de l’Elysée, et les axes alentour. Le quartier a été quadrillé par les policiers dès samedi matin.

Des manifestants avaient prévenu il y a plusieurs jours que leur objectif était de se rendre à l’Elysée. « Macron démission! », a hurlé la foule, à environ 100 mètres du palais présidentiel, selon une journaliste de l’AFP sur place. Certains ont allumé des fumigènes. Quelques magasins de luxe ont baissé leurs rideaux alors que les forces de l’ordre, protégées par leurs boucliers, ont tiré des gaz lacrymogènes.

« Ils nous gazent, mais nous on est pacifique, aucune vitrine n’a été cassée. On veut juste exprimer nos idées », dit Béatrice, 49 ans, gardienne d’immeuble à La Courneuve (Seine-Saint-Denis).

Elle est venue avec sa fille, Marion, 21 ans, qui fait des études d’infirmière, pour qui elle s’inquiète: « elle va rentrer dans la vie active, mais quel salaire elle va avoir ? »

Plus tôt samedi après-midi, les manifestants avaient réussi à partiellement bloquer la célèbre avenue. Certains, en descendant les Champs Elysées sous le regard des touristes, chantaient la Marseillaise quand d’autres hurlaient « paie ton ISF ! ».

En bas des Champs Elysées, place de la Concorde, des manifestants avaient pris des barrières sur un chantier afin de mettre en place un barrage filtrant, n’hésitant pas à huer les automobilistes mécontents aux cris de « Rentre chez ta mère ! ».

Valentine, 24 ans, intermittente du spectacle qui vit en Seine-Saint-Denis et Amandine, 35 ans, assistante maternelle, sont venues manifester devant l’Elysee, gilet jaune sur le dos. « La différence entre mon brut et mon net, c’est 1.000 euros, voilà pourquoi je suis là aujourd’hui », dit Valentine. « Aujourd’hui on travaille pour survivre, plus pour vivre », a renchéri Amandine.

A la frontière belge, les « gilets jaunes » veulent dire « stop »

« En Europe, c’est partout pareil. On met des taxes partout! »: parés de drapeaux tricolores et klaxonnant à tout va, les « gilets jaunes » ralentissent l’A22 à la frontière franco-belge, pour « montrer que la France n’est pas d’accord avec son gouvernement ».

Rassemblés sur un parking en bordure d’autoroute, juste de l’autre côté de la frontière en Belgique, une soixantaine de manifestants, dont une poignée d’enfants, attendent le début de l’opération escargot, qui n’a pas été officiellement déclarée auprès des autorités.

Germain Roussel, barbe fournie, béret et lunettes de soleil, travaille en Belgique où il fait son plein car « c’est beaucoup moins cher ». « Mais je suis quand même Français. Solidarité oblige, je suis venu », ajoute cet ouvrier de 36 ans, expliquant avoir ressorti ses drapeaux tricolores de la Coupe du Monde de football cet été pour orner les fenêtres de sa voiture.

Franck Deroo, 47 ans, se réjouit d’intervenir « sur un grand axe, utilisé par l’Europe avec des camions qui viennent de l’étranger ». « On montre que les Français ne sont pas d’accord avec la politique de leur gouvernement », dit-il à l’AFP. « En Europe, c’est partout pareil. On met des taxes partout », déplore cet électricien originaire de la commune voisine de Neuville-en-Ferrain, qui traverse lui aussi la frontière chaque jour. « Je vois bien que c’est exactement la même chose, comme l’Allemagne et d’autres pays… C’est global, mais il faut que la France se révolte pour dire qu’on n’est pas d’accord. »

Quelques mètres plus loin, Olivier Horent assure que « le but ce n’est pas d’embêter les gens mais seulement le gouvernement pour influer sur les comptes publics ».

Ce résident de Tourcoing, qui a revêtu une veste de sport jaune fluo en guise de gilet, a pris connaissance des incidents graves qui ont fait en France un mort et une cinquantaine de blessés. « Je trouve cela dommage. On doit être solidaires et pas les uns contre les autres », lâche-t-il.

Dans un concert de klaxons, clignotants allumés, les voitures roulent lentement, gilets posés sur le pare-brise ou agités par la fenêtre, tandis que de petits groupes bloquent les entrées de l’autoroute. Régulièrement, un camion de police intervient pour fluidifier le trafic. « Que se passe-t-il? », demande en anglais un chauffeur de poids-lourd venu de Lituanie, découvrant avec inquiétude l’embouteillage qui se forme sous ses yeux.

« Laissez-nous passer! », crie Romuald, un père de famille qui accompagne ses deux filles de neuf ans à une compétition de basket, à 20 minutes de route. « Je comprends qu’on manifeste, moi aussi je paie mon carburant mais je n’ai pas envie qu’on prenne mes filles en otage », lâche-t-il, tandis que le ton monte face à une motocycliste. « Je trouve cela démesuré. Quand je demande gentiment pour passer, on ne me répond pas correctement. C’est insultant! » « Ca ne sert à rien de s’énerver », réplique un « gilet jaune », la cinquantaine, fumant une cigarette adossé à sa voiture. « On est tous dans le même bateau. »

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