Le ministre français de l'Economie, Bruno Le Maire.

« C’est la grande cour de récréation » : l’erreur de comm’ de Bruno Le Maire qui embarrasse (encore) l’exécutif français

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

La sortie du roman de Bruno Le Maire, ministre français de l’Economie, suscite une vive polémique dans l’Hexagone. Tant le timing de publication que le contenu érotique de certains passages crispent l’opinion publique, qui dénonce une déconnexion totale du ministre avec la réalité du pays, pourtant plongé en pleine crise économique.

C’est un énième camouflet dont l’exécutif français se serait bien passé. Alors que le gouvernement Borne est englué dans une profonde crise de défiance, la sortie de Fugue Américaine, treizième roman du ministre de l’Economie Bruno Le Maire, exacerbe encore davantage la colère de l’opposition et des citoyens français, qui voient en cette publication une nouvelle illustration de la non-prise en compte de leurs réalités.

Pour Philippe Moreau-Chevrolet, professeur de communication politique à Science Po Paris, ce n’est pas tant la légitimité du ministre à écrire un livre qui interroge, mais plutôt le timing de sa publication. « Les qualités littéraires de Bruno Le Maire ne font pas de doute. Il a déjà sorti plusieurs romans, dont notamment Jours de pouvoir en 2013, qui a été salué par la critique. Donc cela me paraît injuste de l’attaquer là-dessus, débute l’expert. Par contre, le problème, c’est qu’il sort ce livre alors que la France est plongée dans une crise profonde, avec des protestations dans les rues et dans un contexte d’inflation galopante. Aux yeux de la population, le fait que le ministre de l’Economie prenne le temps pour faire autre chose que ses activités politiques choque profondément. » 

Manque d’anticipation

Depuis son entrée en fonction comme ministre de l’Economie, en 2017, Bruno Le Maire a signé pas moins de cinq romans. S’il assure que ses heures d’écriture sont prises sur « ses vacances, ses week-ends et ses matinées ‘à partir de 5h’ », d’aucuns s’interrogent tout de même sur cette capacité à conjuguer loisirs et responsabilités politiques à un tel niveau de pouvoir. « Au total, Bruno Le Maire a écrit davantage que Michel Houellebecq sur la même période. Cela peut légitimement poser question », concède Philippe Moreau-Chevrolet.

« Il faut vraiment être déconnecté de la réalité pour ne pas se rendre compte que le climat n’était pas propice à la publication d’un roman. »

Pour le professeur à Science Po Paris, le manque d’anticipation du ministre sur la réception de son ouvrage relève de l’amateurisme. « Il a très mal communiqué sur le sujet, tranche l’expert. Certes, il est victime du climat de défiance politique ambiant, mais il a surtout manqué d’à-propos. Le fait qu’il n’ait pas anticipé que cela puisse poser problème, c’est vraiment étonnant. Il faut vraiment être déconnecté de la réalité pour ne pas se rendre compte que le climat n’était pas propice à la publication d’un roman. »

Un extrait érotique qui fait jaser

Sur les 386 pages de Fugue Américaine, qui romance le destin du pianiste Vladimir Horowitz, un passage en particulier a suscité la perplexité : celui d’une scène érotique entre deux amants, Oskar et Julia, relatée dans les moindres détails. « Mélanger politique et sexualité, à une période, c’était extrêmement payant. Mais aujourd’hui, c’est recodé de manière bien plus négative, car il y a eu l’affaire Benjamin Griveaux (contraint de retirer sa candidature aux municipales suite à la divulgation de vidéos privées à caractère sexuel, NdlR) et le mouvement #Metoo qui sont passés par là », pointe Philippe Moreau-Chevrolet. L’extrait érotique en question a d’ailleurs été accueilli froidement par les collectifs féministes. « Ce passage, c’est l’expression de la sexualité d’un homme blanc de plus de 50 ans, qui chosifie les femmes. Outre l’aspect sexiste, cela traduit aussi un rapport assez puéril, voire immature à la sexualité. Pour beaucoup, le passage est apparu comme de la mauvaise littérature érotique pour homme. »

« Mélanger politique et sexualité, à une période, c’était extrêmement payant. Mais aujourd’hui, c’est recodé de manière bien plus négative. »

Peu importe la qualité de l’ouvrage, l’esclandre que suscite sa sortie illustre la « perte de contrôle » du président Emmanuel Macron sur son exécutif. « Récemment, on observe toute une série de couacs au sein du gouvernement. On a un président sortant, qui ne sera pas réélu, dont le groupe ne dispose pas de majorité à l’Assemblée, et qui en plus doit s’accommoder d’un paysage politique en état de décomposition avancée, analyse l’expert. Il n’y a donc plus aucune discipline : chaque ministre fait un peu ce qu’il veut. Marlène Schiappa donne des interviews à Playboy, Gérald Darmanin agite la rhétorique de l’extrême-droite, Elisabeth Borne tente de contenir des révélations sur son orientation sexuelleC’est la grande cour de récréation. »  Bref, la publication du livre de Bruno Le Maire n’est qu’un « petit caillou de plus dans la chaussure de l’Elysée », résume cyniquement Philippe Moreau-Chevrolet.

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