Josep Borrell, haut représentant de l'Union, plaide pour le "langage du pouvoir". © Photo News

Eric Maurice sur le Brexit: « Je doute que l’Union y gagne en cohérence »

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Certains Etats membres risquent, après le Brexit, de prendre le relais de l’opposition britannique sur les questions migratoires, sociales ou industrielles, estime Eric Maurice, responsable du bureau de Bruxelles de la Fondation Robert Schuman.

Boris Johnson a promis à ses électeurs d’en finir avec le Brexit, alors que la négociation sur la future relation entre le Royaume-Uni et les Vingt-Sept n’a pas encore commencé. A quel type d’accord doit-on s’attendre ?

L’intérêt des Européens est de convaincre le Royaume-Uni de rester aligné sur la plupart de leurs normes et réglementations. Car l’Union européenne ne peut se permettre d’avoir à ses portes une grande puissance économique exerçant une forte concurrence à coup de dumping fiscal et social. Les Vingt-Sept ont prévenu : plus Londres voudra diverger des règles européennes, plus il y aura des contrôles et des droits de douane, donc plus restreint sera l’accès du Royaume-Uni au marché unique. Aux Britanniques de voir jusqu’à quel point ils veulent être autonomes. En conséquence, lors de la future négociation, les Européens devront, une fois de plus, s’adapter à la position britannique. Si le Royaume-Uni décide de s’écarter des standards européens, il y aura un accord commercial a minima. Dans ce cas, je ne pense pas que les parts de marché convoitées par les Britanniques aux Etats-Unis, en Inde ou en Chine compenseront celles qu’ils vont perdre sur le continent.

L’unité affichée jusqu’ici par les Vingt-Sept risque-t-elle de se fissurer pendant les négociations post-Brexit ?

Les Etats membres n’ont évidemment pas les mêmes intérêts. Un accord sur la pêche a beaucoup moins d’importance pour la Hongrie que pour la France ou l’Espagne. Les pays de l’Union ont néanmoins intérêt à se tenir les coudes, à défendre chacun la position des autres. Dans le cas contraire, tous y perdraient. Les Hongrois soutiendront probablement les Français et les Espagnols sur la pêche parce qu’ils comptent sur ces derniers pour appuyer les demandes hongroises dans le secteur industriel ou la reconnaissance des diplômes. Cette solidarité tient au fait que tant qu’il reste un point à régler dans la future relation entre le Royaume-Uni et les Vingt-Sept, l’accord dans son ensemble n’est pas approuvé. C’est ce qu’on a constaté l’an dernier avec les blocages persistants dans le dossier irlandais.

En substance, qu’est-ce que l’Union européenne gagne et perd avec la sortie du Royaume-Uni ?

L’Europe perd l’un de ses principaux Etats membres sur les plans économique, diplomatique et démographique. Ce départ est un coup dur au moment où Ursula von der Leyen lance sa Commission européenne  » géopolitique  » et où le haut représentant de l’Union, Josep Borrell, appelle l’Europe à utiliser le  » langage du pouvoir « . Gagnera-t-on en cohérence politique avec la sortie des Britanniques, qui ont si souvent bloqué et ralenti la construction européenne et qui ont exigé et obtenu pour leur pays tant de spécificités ? Ce n’est pas sûr. Des Etats membres qui se sont souvent cachés derrière le Royaume-Uni pourraient bien prendre la relève de l’opposition britannique sur les questions migratoires, sociales ou industrielles. Je crains que les clivages nord-sud, est-ouest et les fractures entre le coeur de l’Union et sa périphérie soient encore plus visibles à vingt-sept qu’à vingt-huit.

Eric Maurice :
Eric Maurice :  » De facto, la zone euro va peser plus encore dans l’Union européenne avec la sortie du Royaume-Uni. « © dr

D’autres avantages et inconvénients du Brexit ?

De facto, la zone euro va peser plus encore dans l’Union européenne avec la sortie du Royaume-Uni, pays qui, comme le Danemark, bénéficiait d’une dérogation lui permettant de ne pas adhérer au club. En revanche, un Brexit dur aurait de très lourdes conséquences économiques et sociales. Des contrôles douaniers et des droits de douane élevés affecteraient la chaîne de production européenne. Les régions les plus touchées seraient l’Irlande, les zones situées le long de la Manche et de la mer du Nord, l’Allemagne et l’Europe centrale. En cas de no deal, la plupart des Etats membres connaîtront une baisse sensible de leur PIB, avec des licenciements à la clé. La Belgique ferait partie des pays les plus touchés, avec une perte de 2,3 % de son PIB, selon la Banque nationale. Fragilisée à la fois par le Brexit, le bras de fer commercial sino-américain, la transition énergétique et les bouleversements dans l’industrie automobile, l’économie allemande pourrait s’essouffler de plus en plus, avec un effet domino sur le continent, en particulier dans les pays d’Europe centrale et orientale intégrés à la chaîne de production germanique.

Le retrait britannique se traduira par un recul de la coopération policière et judiciaire européenne. Les criminels et les terroristes seront-ils les grands bénéficiaires du Brexit ?

La sortie des Britanniques affaiblit en effet la coopération européenne en matière policière, judiciaire et de renseignement, beaucoup plus intégrée que la politique de défense. Le Royaume-Uni était l’un des Etats membres qui contribuaient le plus à la base de données d’Europol, agence de police criminelle qui facilite les échanges de renseignements entre polices nationales en matière de stupéfiants, de terrorisme, de criminalité internationale et de pédophilie. Il faudra trouver une formule pour que les Britanniques puissent continuer à être associés à Europol. Mais l’Europe ne peut pour autant accorder à un pays tiers tous les droits et avantages réservés aux membres de l’Union. Cela pourrait encourager d’autres départs.

Le coût du Brexit

12 milliards d’euros par an = manque à gagner pour le budget européen après le retrait britannique.

6 milliards d’eurospar an = montant des subventions européennes que le Royaume-Uni ne touchera plus.

235 milliards d’euros = facture des dommages causés par le Brexit à l’économie britannique d’ici à la fin 2020 (Bloomberg).

10 000 emplois perdus et 0,3 % de croissance en moins = coût d’un Brexit  » doux  » pour la Belgique (KULeuven).

20 millions d’euros = budget libéré en 2020 par le gouvernement fédéral belge pour recruter des agents des douanes, de la police et du contrôle de la chaîne alimentaire Afsca.

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