Franklin Dehousse

Deux femmes expérimentées aux top jobs européens: respect!

Franklin Dehousse Professeur à l'ULiège

La désignation des nouveaux dirigeants de l’Union est importante à plus d’un égard. Mais la répétition des exclusions en tous sens des dernières semaines risque d’entraîner l’Union européenne dans une vraie crise.

L’Europe a traversé des tensions importantes pour le choix des nouveaux dirigeants de ses institutions. Pour les comprendre, il faut remonter à 2014. Un système de spitzenkandidaten, désignés par les partis européens, avait produit une compétition essentiellement entre Jean-Claude Juncker (PPE), Martin Schultz (S&D) et Guy Verhofstadt (Libéraux). En 2019, le résultat a été complètement différent. Les deux principaux candidats de 2019 (Manfred Weber pour le PPE, Frans Timmermans pour le S&D) présentaient un niveau de qualité moins grand. Weber avait de plus été compromis par une étroite connivence avec le gouvernement hongrois de Viktor Orban, fortement critiqué pour ses manquements démocratiques (Timmermans, en charge du dossier à la Commission depuis 2014, a de son côté mis de longues années pour se réveiller). En 2019, les élections ont produit un Parlement européen plus éclaté et détruit la majorité traditionnelle PPE-S&D. Au cours des cinq dernières années, après les crises de l’eurozone et de l’immigration, les tensions entre dirigeants européens sont aussi devenues plus importantes. Le Conseil européen était, lui aussi, plus éclaté.

De surcroît, le traité partage en général la nomination des dirigeants des institutions entre le Conseil européen et le Parlement européen. Tout annonçait donc une secousse importante.

Une décision paradoxale

Comme dans le passé, elle a engendré un jeu de démolition. Rien de nouveau ici. Deux Belges trop brillants en avaient été victimes naguère : Dehaene en 1995, Verhofstadt en 2004 (dans les deux cas, on trouva un ersatz particulièrement médiocre : Santer et Barroso).

Tout de suite après les élections, les grands groupes du Parlement européen ont indiqué leur hostilité à Weber (PPE). Cela a entraîné, de façon prévisible, le refus du PPE de soutenir les autres candidats à la présidence de la Commission. Timmermans (S&D) a ainsi été évacué aussi. Enfin, le Conseil européen a adopté une décision assez paradoxale. Ursula von der Leyen, ministre allemande de la Défense, peu évoquée jusqu’alors, a été proposée pour la présidence de la Commission. Christine Lagarde, dirigeante du FMI, pour la présidence de la Banque centrale. Charles Michel, Premier ministre belge, vient pour la présidence du Conseil européen et Josep Borrell, ministre espagnol, pour la direction de la diplomatie européenne. Trois de ces nominations doivent encore être approuvées par le Parlement. Au-delà des questions (secondaires) de personnes, il faut se concentrer sur les leçons systémiques de cette saga.

D’abord, la dérive des régimes démocratiques rend très difficile de trouver des dirigeants de qualité. A titre d’illustration, von der Leyen n’est pas Delors, Lagarde n’est pas Draghi, Michel n’est certainement pas Dehaene et Borrell n’est certainement pas Solana. Chacun présente des problèmes divers ; heureusement, les femmes impressionnent nettement plus que les hommes, car elles ont les deux postes les plus importants.

Ensuite, l’Union connaît pour le moment des tensions fortes et multiples. Nord/Sud, Ouest/Est, intégrationnistes/souverainistes, avec la montée des partis aux extrêmes. Cela tend à atténuer un clivage antérieur, celui entre grands et petits Etats membres. Ces tensions risquent de resurgir vite en cas d’une nouvelle crise financière ou migratoire.

Pour de vrais partis européens

Par ailleurs, le succès des spitzenkandidaten en 2014 résultait de diverses circonstances : accord politique entre les deux grandes formations surtout, meilleur choix des candidats, homogénéité plus grande du Parlement. Elles ont masqué la tromperie démocratique du système. Même après une longue campagne en 2019, personne en réalité ne connaît ces candidats en dehors des fanatiques de la politique européenne. Pour que ce système fonctionne, il faut d’abord une véritable démocratie européenne, avec de vrais partis européens, de vraies primaires et de vraies listes européennes.

Enfin, il faut savourer l’impact énorme, partout dans le monde, de désigner deux femmes, toutes deux dotées d’une forte expérience, pour diriger les deux principales institutions européennes. Rien que pour cela, la décision mérite le respect. Il faut d’ailleurs espérer que le Parlement approuvera le choix de Mmes von der Leyen et Lagarde. La politique est l’art du possible. Sinon, la répétition des exclusions en tous sens des dernières semaines risque d’entraîner l’Union européenne dans une vraie crise face à plusieurs défis importants (comme le Brexit, le budget et les procédures sur l’Etat de droit).

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