Nigel Farage © REUTERS

Brexit: « Si on écoute Theresa May, on deviendrait une colonie de l’UE »

Stavros Kelepouris
Stavros Kelepouris Journaliste pour Knack.be

« Ce n’est pas un problème s’il n’y a pas d’accord », affirme Nigel Farage au sujet de la séparation imminente. Deux ans après le référendum, l’architecte du Brexit constate que la classe politique refuse d’écouter le peuple. « Il est probable qu’aujourd’hui environ deux tiers des Britanniques veulent un Brexit. »

« Les projets de Theresa May sont une catastrophe. Il n’est pas du tout question d’un Brexit : ils n’ont du Brexit que le nom. Notre règlement commercial correspondrait à la législation européenne. En d’autres termes, nous deviendrions une colonie de l’UE. » C’est là l’avis de Nigel Farage, qualifié un jour par le Financial Times de « pourfendeur de Bruxelles le plus efficace d’Angleterre ». Et c’était avant que l’ancien président du UKIP sorte le plus gros lapin de son chapeau : le départ des Britanniques de l’Union européenne.

Deux ans après le référendum du Brexit, les négociations sont dans une impasse totale, et le fossé entre le Royaume-Uni et le continent européen n’a fait que se creuser. Récemment, Farage a encore lancé à ses collègues du parlement européen qu’ils refusaient de tirer les leçons nécessaires. Interview.

De quelles leçons parliez-vous ?

Nigel Farage: Qu’il y a trop de pouvoir au centre, que les tribunaux et bureaucrates étrangers ont trop à dire, et que nous avions trop peu de contrôle sur nos propres lois. Après le référendum, l’Europe aurait pu écouter et décider de retransférer une partie du pouvoir aux états membres et de faire de l’Europe une structure plus lâche et plus coopérative. Au lieu de cela, ils ont encore davantage centralisé l’Union.

Entre-temps, les négociations sur le Brexit du gouvernement britannique ne progressent pas.

Évidemment. Nous avons une Première ministre du camp « Remain » qui n’essaie que de dorloter les partisans du « Remain » et du « Leave » de son parti alors qu’elle devrait choisir résolument un camp.

N’était-ce pas prévisible que les négociations ne seraient pas faciles ?

Non, écoutez, c’était le plus grand exercice démocratique de l’histoire du Royaume-Uni, et il y a une marge claire de deux millions de votes.

Une virgule, en fait…

(interrompt) D’accord, 1,89 million – deux millions si l’on arrondit. C’est décisif à bien des égards. À ce moment-là, je croyais que le gouvernement britannique respecterait ce résultat, mais il marche à pas feutrés et ne décide rien. (NDLR : Le Leave a finalement remporté la campagne Brexit à 1,27 million).

Vous vous sentez responsable de l’évolution des négociations sur le Brexit?

Pas du tout. J’ai offert mon aide dès le premier jour, mais ils n’en voulaient pas. C’est leur décision, non? Mais il est clair que le plan Chequers de Theresa MLay est catastrophique. Il ne fonctionne pas.

Boris Johnson a démissionné comme ministre des Affaires étrangères. Vous êtes revenu sur le théâtre de la politique nationale, avec Leave Means Leave, une campagne destinée à revigorer le Brexit.

Les démissions de Boris Johnson et David Davis (qui menait les négociations du Brexit pour la Grande-Bretagne, NLDR) indiquaient clairement que le Premier ministre n’écoute pas le peuple. Je suis donc content qu’ils aient démissionné.

Je suis à nouveau en campagne, effectivement. La semaine dernière, nous avions notre premier grand événement. Le but est de convaincre le peuple de dire à leurs politiciens ce qu’ils pensent, car le peuple est ignoré. L’opinion publique n’a pas changé. Mais nous avons un parlement et un gouvernement qui font sacrément de leur mieux pour ne pas accomplir la volonté du peuple.

Vous êtes certain que cette opinion publique n’a pas changé?

Peut-être: il est probable que maintenant environ les deux tiers des Britanniques veulent un Brexit.

Vous êtes sérieux là?

Les deux tiers du peuple veulent absolument un Brexit. Beaucoup de gens du camp Remain se rendent compte qu’ils se sont trompés, mais comprennent qu’il faut respecter une décision démocratique. Deuxièmement : l’arrogance et les vexations de gens comme Donald Tusk ont ouvert les yeux à beaucoup de Britanniques.

L’Europe n’a pas choisi le Brexit. On ne peut reprocher à Tusk de défendre l’Europe.

Si on donne du pouvoir aux politiciens sans la responsabilité qui l’accompagne, on peut effectivement s’attendre à ce qu’ils soient des scélérats et des teignes, c’est vrai. Parce que c’est exactement ce qu’ils sont. Ils sont déchaînés, ils n’ont même pas la politesse de base propre aux gens normaux.

Certaines voix s’élèvent en faveur d’un second référendum. Vous n’y êtes pas favorable.

Ce serait scandaleux. Nous n’avons même pas encore quitté l’UE, comment alors organiser un nouveau vote ?

Vous remporteriez probablement deux tiers des voix, dites-vous?

Pas 66%, mais je pense que nous serions plus proches des 60 que des 50%. Un second référendum serait une énorme perte de temps, et dévaluerait totalement la confiance en notre système démocratique. Pour moi, c’est là la principale réserve. Après tout ce qui s’est passé, après que le gouvernement ait dit qu’il respecterait le résultat, on ne peut plus inverser la vapeur. Des millions de personnes se demanderaient pourquoi encore aller voter.

Après deux ans de négociations de Brexit, les Britanniques disposent de plus d’informations pour étayer leur décision.

Nous avons été membres de l’UE pendant 44 ans – combien d’informations vous faut-il?

Le Brexit entraîne des inquiétudes économiques des deux côtés de la Manche. On estime que le PIB britannique s’élève à 2% de moins que s’il n’y avait pas eu de Brexit. L’inflation se chiffre à 1,5% de plus que s’il n’y avait pas de Brexit.

C’est ce que la Banque d’Angleterre veut vous faire croire. But hey, I’d be a little careful about that. (rires) Pendant des années, nous n’avons presque pas eu d’inflation, donc je suis content qu’elle soit revenue. L’inflation est de 2,7%, il n’y a donc pas de quoi s’énerver.

Croissance plus faible, inflation plus élevée: ce sont des livres que vous ne reverrez plus.

L’export atteint un niveau record, le chômage est à son point le plus bas en 42 ans, et les investissements étrangers prospèrent. Mais nous avons effectivement un problème de croissance et de productivité, parce que l’immigration de masse et l’importation de main-d’oeuvre non qualifiée ont rendu notre économie moins productive. Il y a des défauts dans le système britanniques que nous devons corriger, mais le Brexit n’en fait pas partie.

Les exportations continueront-elles à prospérer s’il y a un Brexit sans accord de divorce?

La zone euro est minuscule, non? Elle représente 15% de l’économie mondiale, ce qui signifie que les 85% restants ont lieu en dehors de la zone euro. Je regarde l’avenir : pas ce qu’il se passera mercredi prochain, mais ce qui se passera dans trois ou quatre ans. Quand la Grande-Bretagne sera libre de reprendre sa place sur la scène mondiale, le pays s’en tirera beaucoup mieux.

La question n’est pas si c’est moi ou les prophètes de malheur ont raison. Le Brexit n’a pas trait aux perspectives économiques ou l’état du PIB. Il s’agit d’être un pays libre et indépendant qui fait ses propres lois. Cette partie du bilan est évidente.

Entre-temps, Theresa May continue à répéter qu’il vaut mieux pas d’accord qu’un mauvais accord.

J’aimerais qu’elle soit sérieuse – c’est moi qui ai inventé cette expression. Si je vous arrêtais dans la rue et vous offrais un mauvais accord, que diriez-vous ? (rire sonore)

Ce n’est pas pareil, car il y aura un Brexit quoi qu’il arrive. Un divorce sans accord vaut-il mieux qu’un report du Brexit ?

S’il n’y a pas d’accord, ce n’est pas un problème. Venez voir les 20 000 conteneurs qui débarquent de Chine et d’Amérique à Southampton : tous commercialisés selon les règles de l’Organisation mondiale du commerce, comme partout dans le monde.

Mon scénario idéal n’est pas de ne pas parvenir à un accord. Non. Pendant 25 ans, j’ai milité pour un accord de libre-marché sensé avec nos voisins européens. Je suis toujours convaincu que c’est la meilleure solution, et les exportateurs européens s’en rendent de plus en plus compte. C’est la réponse du bon sens.

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