Devant le 10 Downing street, Theresa May annonce, le mercredi 14 novembre, l'approbation par son gouvernement du préaccord sur le Brexit conclu avec l'Union européenne. Le lendemain, cinq de ses ministres démissionnent... © Andrew Parsons/BELGAIMAGE

Brexit : pourquoi le plus dur reste encore à venir ?

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Les Brexiters durs rejettent le compromis trouvé pour régler la question de la frontière avec l’Irlande. Le chemin de croix continue pour Theresa May. D’autant que la négociation sur le futur accord de partenariat s’annonce plus difficile encore.

Depuis qu’elle a présenté, le mercredi 14 novembre, le préaccord conclu avec l’Union européenne sur le Brexit à son gouvernement et qu’elle a pu se prévaloir de son assentiment, Theresa May a engagé un combat pour le faire approuver par une majorité de députés, début décembre. La démission de cinq de ses ministres, dont celui du Brexit Dominic Raab, et la fronde annoncée d’une partie des députés du Parti conservateur – il en faut 48 pour mettre à l’agenda un vote de défiance – ont fragilisé sa position. Mais Theresa May n’en démord pas et s’accroche à l’équilibre, qu’elle espère sans doute perfectible, du préaccord, bénéfique pour les deux parties. Face à l’incertitude britannique, l’Union européenne affiche son unité. Un sommet est prévu le dimanche 25 novembre pour avaliser l’arrangement. Mais les dirigeants européens se disent prêts à parer à toute éventualité. Nathalie Brack, professeure de science politique au Cevipol (Centre d’étude de la vie politique, Institut d’études européennes de l’ULB) décrypte le contenu et les enjeux du préaccord conclu avec l’Union européenne.

Les députés du Parti unioniste démocrate (DUP) dirigé par Arlene Foster pourraient faire défection à Theresa May lors du vote sur le préaccord avec l'UE. La formation d'Irlande du Nord est pourtant membre de la coalition gouvernementale.
Les députés du Parti unioniste démocrate (DUP) dirigé par Arlene Foster pourraient faire défection à Theresa May lors du vote sur le préaccord avec l’UE. La formation d’Irlande du Nord est pourtant membre de la coalition gouvernementale.© BELGAIMAGE

Pour rendre compatibles le Brexit et l’Accord du Vendredi saint de 1998 sur l’Irlande du Nord, la seule solution résidait-elle dans le maintien du Royaume-Uni dans l’union douanière européenne ?

C’est en tout cas la seule solution trouvée par les négociateurs. La question de la frontière entre l’Irlande du Nord et la république d’Irlande était le point le plus difficile pour la conclusion d’un compromis sur le Brexit. Même avec le préaccord, elle reste une zone grise qui ne satisfait personne à 100 %, ni du côté de l’Union européenne, ni du côté du Royaume-Uni. Mais les Britanniques ne viennent pas eux-mêmes avec de réelles propositions de solutions. Il est difficile de savoir ce qu’ils veulent réellement. Et ils sont mis sous pression par le DUP, le Parti unioniste démocrate ( NDLR : membre nord-irlandais de la coalition gouvernementale). Donc, il n’y a pas de solution parfaite. Le préaccord ouvre en tout cas une piste pour ne pas raviver le conflit entre l’Irlande du Nord et la république d’Irlande. Mais il ne répond certainement pas aux attentes des partisans d’un Brexit dur qui voulaient récupérer leur souveraineté. Les Britanniques vont devoir respecter les règles du marché intérieur européen, d’abord par la période de transition ( NDLR : qui prévoit le maintien de l’union douanière) et puis, au-delà, par la clause de sauvegarde ( NDLR : qui empêche le rétablissement d’une frontière physique avec la république d’Irlande).

Les Brexiters durs n’ont jamais mis sur la table de propositions pouvant servir de base à une solution.

Le mécontentement des Brexiters durs n’est-il pas fondé, étant donné que les Britanniques vont devoir respecter une réglementation sur laquelle ils ne pourront plus peser ?

Oui. Mais les Brexiters durs n’ont jamais mis sur la table de propositions pouvant servir de base à une solution et à un accord. Affirmer qu’il est préférable de ne pas avoir d’accord et de partir en claquant la porte fait fi de la conjoncture économique et de la situation des citoyens tant européens que britanniques. Dans ce contexte, il est logique que Theresa May soit confrontée à une révolte au sein de son propre parti, de la part des plus durs des Brexiters qui sont tentés par un vote de défiance contre elle.

Le problème de l’Irlande du Nord a-t-il été mal anticipé ?

Les négociateurs de l’Union européenne étaient assez bien préparés. Quand le référendum a consacré la victoire du  » oui  » au Brexit, des craintes ont été soulevées sur la capacité de l’Union européenne à faire face à ce défi, notamment en matière de transparence comme l’avaient montré les négociations sur le Ceta, l’accord économique et commercial avec le Canada. Dans ce cas-ci, l’Union européenne, sous la houlette de Michel Barnier, a relativement bien géré les discussions. Elle a fait des propositions claires. Le gros problème a toujours été le manque de préparation des Britanniques. Ils ne donnaient pas l’impression d’avoir une vision claire de la direction qu’ils voulaient emprunter. A part les slogans sur le maintien de l’union à l’intérieur du Royaume-Uni.

Nathalie Brack :
Nathalie Brack :  » Le message des Européens a été clair : « Vous avez fait votre choix. Vous en subissez les conséquences. » « © DR

Après la période transitoire, une autre solution que le maintien de l’union douanière est-elle envisageable ?

La transition est prévue jusqu’à 2020. Tout le monde se rend compte que ce ne sera pas suffisant. Il est impossible de conclure un accord de libre échange, de coopération ou de partenariat dans ce délai. Michel Barnier propose déjà l’échéance, plus réaliste de 2022, sachant que la période de transition n’est prolongeable qu’une seule fois avec une durée assez limitée et moyennant un accord conjoint. Côté européen, la période de transition est négociable. C’est plus sensible côté britannique vu la contrainte des règles du marché intérieur et de l’union douanière. Il a fallu dix-sept mois pour réaliser le plus facile. Il est probable que les vingt-et-un mois prévus par la période de transition initiale ne soient pas suffisants pour régler tout ce qui attend encore les négociateurs. Le Brexit était un accord de divorce sur un nombre limité de sujets. Résultat : un document conséquent mais la négociation était balisée par un agenda clair. Pour la suite, on est face au vide puisque les Britanniques ne savent pas ce qu’ils veulent comme type de coopération future. Ce sera donc plus long.

Le ministre britannique du Brexit, Dominic Raab, en démissionnant, a désavoué Theresa May.
Le ministre britannique du Brexit, Dominic Raab, en démissionnant, a désavoué Theresa May.© Pete Maclaine/BELGAIMAGE

Sur un plan général, le préaccord est-il de nature à satisfaire l’Union européenne ?

Oui. L’important pour l’Union était la libre circulation des personnes. Theresa May a certes obtenu ce qu’elle voulait puisque le Royaume-Uni va pouvoir mener une politique migratoire plus stricte. Mais le statut des citoyens européens est également bien protégé par le préaccord. L’Union européenne évite aussi le risque d’avoir à ses portes un pays qui va faire du dumping. Le compromis sur la contribution au budget est aussi satisfaisant. Donc, l’Union s’en est assez bien sortie. Elle avait pour objectif de conserver un front uni et de démontrer que le retrait des traités ne permet pas d’obtenir un statut aussi privilégié en dehors qu’en dedans.

Les difficultés à conclure un accord sur le Brexit pourraient-elles constituer une sorte d’antidote à d’autres volontés du même ordre ?

La situation du Royaume-Uni n’est pas très enviable étant donné le chaos politique que l’on peut observer. Les négociations, elles, s’avèrent très longues et ne débouchent pas sur un statut privilégié. Donc, oui, ces constats peuvent constituer non pas l’antidote absolu mais, en tout cas, calmer les ardeurs de certains autres candidats à la sortie de l’Union.

Luuk van Middelaar, philosophe et ancienne plume du président du Conseil européen Herman Van Rompuy, estime que certains Européens ont voulu punir les Britanniques de leur audace. Partagez-vous ce sentiment ?

Je ne suis pas sûre qu’il y ait eu une volonté de punir les Britanniques. L’idée était plutôt d’envoyer le message très clair que l’on ne peut pas tout avoir, un statut en dehors de l’Union et, en même temps, tous les accès au marché intérieur… L’intention était de dire :  » Vous avez fait votre choix, OK. Mais vous devez aussi en subir les conséquences. Vous ne bénéficierez pas d’un traitement de faveur.  »

Theresa May sera-t-elle en mesure d’imposer le préaccord à ses troupes ?

Je n’ai pas de boule de cristal. Cela paraît assez compliqué après la démission de cinq ministres et alors que le DUP ne semble pas du tout vouloir soutenir le texte. Je doute qu’elle obtienne facilement une majorité à la Chambre des communes. Les députés vont-ils l’accepter mais avec des amendements ? Auquel cas la Première ministre britannique devrait revenir devant ses partenaires européens, ce qu’ils ne semblent pas voir d’un bon oeil. Et il n’est pas non plus exclu qu’un nombre suffisant de députés réclament un vote de défiance à son encontre… Bref, il est impossible de dire au stade actuel si le préaccord passera ou si Theresa May se fera renverser.

Michel Barnier, le chef des négociateurs européens sur le Brexit, a été salué pour sa maîtrise des dossiers et son flegme tout britannique.
Michel Barnier, le chef des négociateurs européens sur le Brexit, a été salué pour sa maîtrise des dossiers et son flegme tout britannique.© BELGAIMAGE

Comment jugez-vous l’attitude de la Première ministre britannique pendant ce processus ?

Elle n’a pas toujours fait les bons choix. Elle a ses défauts. Mais elle essaye de garder un équilibre entre le mandat qu’elle a reçu des électeurs pour opérer le Brexit, les exigences de ses partenaires européens et les divisions extrêmes de son Parti conservateur sur la question. Elle est terriblement résiliente. Elle parvient à rester en place alors que d’autres ont claqué la porte. Reste à voir si elle va réussir à tenir dans les semaines à venir. Si elle échappe à la sanction d’un vote de défiance cette fois-ci, elle aura un sursis d’un an. Elle pourra sans doute alors finaliser les dernières négociations sur le Brexit et avancer sur l’accord futur de partenariat.

Un nouveau référendum, dont l’hypothèse est parfois évoquée, ne saperait-il pas dangereusement la démocratie britannique ?

On oublie souvent qu’un référendum au Royaume-Uni n’est que consultatif, même s’il est compliqué ensuite de ne pas en tirer les enseignements. Politiquement, il serait possible d’en organiser un deuxième soit sur le texte du divorce soit sur celui qui fixera la nature des futures relations avec l’Union. Il n’y en aura pas sous un gouvernement conservateur en vertu de ce qu’ils ont toujours affirmé. Seul un autre gouvernement pourrait donc l’organiser. Il pourrait paraître légitime parce que des personnes ont pu changer d’avis. Mais il ne faut pas nécessairement s’attendre à ce qu’il aboutisse à un autre résultat.

Michel Barnier, le grand gagnant

 » C’est un modèle de flegme. On va lui proposer la citoyenneté britannique « , a plaisanté Jeremy Stubbs, représentant du Parti conservateur britannique en France. Michel Barnier a mené de main de maître, pour l’Union européenne, les discussions du Brexit. Avec calme et fermeté, le  » négociateur en chef  » a contraint la Première ministre, Theresa May, à des concessions inimaginables au lendemain du référendum de juin 2016. Le Savoyard de 67 ans a le triomphe modeste :  » Mon sentiment aujourd’hui ? Sûrement pas de l’autosatisfaction.  » Ces deux années de tractations ont renforcé son excellente réputation bruxelloise, à rebours de l’image de has been collant à la peau de ce gaulliste social en France. Si aucune majorité claire ne se dessine lors des élections européennes de mai 2019, les chefs d’Etat et de gouvernement des Vingt-Sept pourraient opter pour cette personnalité consensuelle.

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