Brexit: « Les Anglais ne se soucient pas de leur voisin irlandais »

Le Vif

Après trois ans de négociations, le Royaume-Uni et l’Union européenne divorcent officiellement vendredi 31 janvier. L’historien, Donnacha O’Beacháin, décrit l’impact du Brexit sur le couple irlando-britannique.

Depuis juin 2016, l’entente cordiale entre Dublin et Londres est mise à rude épreuve. Aujourd’hui, comment peut-on définir la relation entre ces deux voisins?

Donnacha O’Beacháin: « Les deux pays ont toujours entretenu des rapports compliqués. Ex-colonie britannique, l’île d’Émeraude obtient son indépendance en 1922. Mais presqu’un siècle plus tard, le duo irlando-britannique se distingue par son asymétrie, que ce soit sur le plan économique, politique ou encore démographique. Avec le Brexit, ce déséquilibre devient flagrant. En effet, on réalise que les Anglais ne se soucient pas de leur voisin irlandais. Par exemple, Londres se fichent des élections anticipées en Irlande – prévues le 8 février- alors qu’à Dublin on suit de près la politique britannique. Cependant, au-delà de ce désintérêt, les relations entre les deux pays se sont apaisées ces derniers temps. A une époque, c’était plus tendu. Je me souviens que les médias britanniques accusaient l’Irlande de vouloir bloquer les négociations sur le Brexit.

L’Irlande et le Royaume-Uni adhèrent à la Communauté économique européenne (CEE) en 1973. Peut-on dire que l’Union européenne a transformé ces deux nations en véritables alliés à Bruxelles?

Oui tout à fait! Avant le Brexit, Dublin et Londres entretenaient une relation presque idéale. Au sein de l’Union européenne, les deux voisins considéraient qu’ils avaient des intérêts communs. Ils se disaient: « ce qui est bon pour l’un est bénéfique pour l’autre ». Par exemple, l’Irlande a refusé d’adhérer à l’espace Schengen pour la simple et bonne raison que le Royaume-Uni n’y figure pas. L’Union européenne a rééquilibré le rapport de force entre le Royaume-Uni et son ex-colonie. En effet, l’Irlande perçoit l’adhésion à l’Union comme un moyen de s’émanciper du voisin britannique. Pour Dublin, rejoindre le club européen constituait l’opportunité d’être pris au sérieux.

Le divorce entre Londres et Bruxelles laisse la porte ouverte à un changement dans le paysage européen. Comment l’Irlande va-t-elle se positionner?

Depuis les négociations sur le Brexit, les Européens regardent davantage l’Irlande. L’Union européenne permet à Dublin de faire entendre sa voix à la table des négociations. A Dublin, on a été impressionné par la solidarité déployée par Bruxelles à l’égard des 4,8 millions d’Irlandais. Vous voyez, on peut comparer le Royaume-Uni et l’Irlande à un vieux couple marié. Le mari britannique entretient des relations abusives et déséquilibrées avec sa femme irlandaise. Alors cette dernière se trouve un mari plus puissant incarné par l’Union européenne.

Le statut de l’Irlande du Nord – province britannique – se situe au coeur des négociations sur le Brexit. Le divorce entre Bruxelles et Londres encourage-t-il la perspective d’une Irlande unifiée?

L’Irlande du Nord se distingue par ses divisions communautaires. D’un côté, les unionistes – qui se revendiquent britanniques – et les républicains – en faveur d’une Irlande unifiée. Selon l’accord du Vendredi saint (1998) – qui met fin à trente ans de guerre civile en Irlande du Nord (1968-1998) – un changement constitutionnel est possible si la population le réclame. Si les unionistes ont longtemps été majoritaires en Irlande du Nord, l’écart se resserre. Au niveau démographique, les deux communautés se situent presqu’à 50-50.

A cela s’ajoute les 10 ou 15% des Nord-Irlandais qui attachent peu d’importance à l’une ou l’autre de ces communautés. Cependant, avec le Brexit, ces derniers pourraient être tentés de militer pour une Irlande unifiée afin de rejoindre l’Union européenne. De son côté, Bruxelles a déclaré qu’elle soutiendrait le projet. En 1990, l’ex-RDA avait rejoint la CEE suite à la réunification de l’Allemagne.

Et le Royaume-Uni serait-il prêt à se séparer de l’Irlande du Nord?

Je pense que Westminster serait heureux de se débarrasser de l’Irlande du Nord. Si Belfast réclame son indépendance, Londres ne s’y opposerait pas. En Angleterre, peu de gens connaissent l’histoire de l’Irlande – très peu enseignée dans les écoles. C’est drôle, les unionistes se considèrent comme des Britanniques mais lorsqu’ils se rendent en Angleterre, ils sont perçus comme des Irlandais. D’ailleurs, quand l’ex-Première ministre britannique, Theresa May, a fait alliance avec le DUP – parti unioniste nord-irlandais – personne ne les connaissait à Londres. »

Par Audrey PARMENTIER

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire