Irmgard F. avait fugué de façon rocambolesque de sa maison de retraite en septembre dernier, obligeant la justice à reporter le début du procès de l'ancienne secrétaire du camp de Stutthof. © GETTY IMAGES

Allemagne: l’etau se resserre sur les seconds couteaux nazis qui passent devant la justice

Nathalie Versieux Journaliste, correspondante en Allemagne

Après des décennies d’impunité, l’étau se resserre autour des « petites mains » du nazisme. Le procès de l’ancien gardien du camp de Sobibor, John Demjanjuk, condamné à cinq ans de prison en 2011, a fait jurisprudence. Désormais, il ne faut plus prouver une participation directe à un crime particulier.

Les nazis étaient réputés pour la bonne organisation de leur bureaucratie. Au camp de concentration de Stutthof, situé près de Gda?sk, dans l’actuelle Pologne, le décompte des nouveaux prisonniers et des décès était envoyé chaque jour à Berlin. Le commandant du camp, Paul Werner Hoppe, dictait chaque matin les lettres qu’il adressait à l’administration chargée de l’organisation de l’Holocauste, située à Lichterfelde, au sud-ouest de la capitale du Reich. A la machine à écrire se tenait Irmgard F. L’une des tâches de la secrétaire était de noter les noms des prisonniers déportés vers Auschwitz. Appelée après la guerre à témoigner dans le cadre d’un des procès du nazisme, la jeune femme n’avait pas nié les faits. Mais elle n’avait jamais été inquiétée. Agée de 96 ans, elle comparaît depuis le 19 octobre devant la cour pour mineurs (du fait de son âge au moment des faits) du tribunal d’Itzehoe, près de Hambourg. Irmgard F. est accusée de complicité de meurtre de 11 412 prisonniers – le nombre des détenus morts dans le camp entre juin 1943 et avril 1945, la période où l’ancienne secrétaire a travaillé à Stutthof. Son avocat soutient qu’elle ne savait rien de l’existence des chambres à gaz. Quelque 65 000 personnes sont décédées dans le camp de concentration de Stutthof selon l’administration spéciale de Ludwigsbourg, chargée, depuis 1958, de la traque des nazis.

Personne ne proteste quand un meurtrier est poursuivi pour des faits remontant u0026#xE0; trente ans, mais on juge problu0026#xE9;matique de poursuivre des vieillards lorsqu’il s’agit de mille ou cinq mille meurtres.

Une administration spéciale

Les procès comme celui de Irmgard F. se sont multipliés au cours des dernières années en Allemagne. Quatre condamnations de nonagénaires, qui n’avaient jamais été inquiétés depuis la guerre, ont été prononcées. « Tout a changé avec le procès de John Demjanjuk, rappelle l’historien Klaus-Peter Sick, chercheur associé au Centre Marc Bloch, à Berlin. Depuis, la justice ne considère plus qu’il faut prouver la participation d’un prévenu au meurtre d’une victime en particulier pour obtenir sa condamnation. C’était, bien sûr, presque impossible et débouchait presque toujours sur un non-lieu. » C’est en 1969 que la cour fédérale de justice de Karlsruhe avait rendu cet arrêt aux conséquences dramatiques pour les chasseurs de nazis. « La volonté politique de poursuivre les seconds couteaux a aussi manqué », regrette Helmut König, professeur en sciences politiques à l’université d’Aix-la-Chapelle.

La condamnation à cinq ans de prison, en mai 2011, de l’ancien gardien des camps de Treblinka, Sobibor et Majdanek a conduit le Service central d’enquêtes sur les crimes nationaux socialistes de Ludwigsbourg, dans le sud-ouest de l’Allemagne, à éplucher les dossiers, camp après camp. Depuis 1958, cette administration spéciale traque les nazis responsables de crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis hors des frontières actuelles de l’ Allemagne. Là sont consignés les noms de 692 000 personnes soupçonnées d’y avoir participé ou d’en avoir été les témoins. Les feuilles et fiches cartonnées de Ludwigsbourg jouent, aujourd’hui, un rôle central dans les procès d’anciens soutiens du nazisme, comme celui de Josef S, qui s’est ouvert début octobre à Neuruppin, à l’ouest de Berlin.

« Des faits encore proches »

L’ancien caporal-chef de la division « Totenkopf » (« Tête de mort ») des Waffen-SS, né en Lituanie dans une famille appartenant à la minorité allemande et aujourd’hui âgé de 100 ans, est poursuivi pour complicité dans les meurtres de 3 518 prisonniers alors qu’il opérait dans le camp de concentration de Sachsenhausen, au nord de Berlin, entre octobre 1941 et février 1945. Il est notamment soupçonné d’avoir fusillé des prisonniers soviétiques et d’avoir aidé au fonctionnement des chambres à gaz. Entre son ouverture en 1936 et sa libération par les Soviétiques en avril 1945, le camp de Sachsenhausen a vu passer quelque 200 000 prisonniers, principalement des opposants politiques, des juifs et des homosexuels. Plusieurs dizaines de milliers d’entre eux sont morts d’épuisement lié au travail forcé, aux mauvais traitements et à la faim.

Les descendants des victimes de Sachsenhausen n’attendent guère de révélations de ce procès. Aucun des seconds couteaux jugés à ce jour n’a collaboré avec la justice. « Le plus important, c’est qu’on parle de ce camp, et des méthodes horribles inventées pour tuer des gens », demande Antoine Grumbach, 79 ans, fils du résistant français Jean Grumbach, assassiné en mars 1944 à Sachsenhausen. « Ces procès sont particulièrement importants pour les survivants et leurs descendants« , souligne Stephanie Bohra, chercheuse au musée berlinois Topographie de la terreur, consacré aux crimes nazis à travers l’Europe. « Ce qui est important, c’est que ces acteurs toujours en vie nous font sentir à quel point ces faits sont encore proches de nous. Sentir cette proximité, c’est salutaire. C’est un signal pour l’avenir », ajoute Klaus-Peter Sick.

Les controverses sur la pertinence d’une justice aussi tardive agacent Thomas Walther, juriste devenu traqueur de nazis depuis sa retraite. Inlassablement, il collecte les témoignages qui ont permis de lancer nombre de procédures en cours. C’est notamment lui qui a monté le dossier d’accusation qui a conduit à la condamnation de Demjanjuk. « Personne ne proteste quand un meurtrier est poursuivi pour des faits remontant à trente ans, mais on juge problématique de poursuivre des vieillards lorsqu’il s’agit de mille ou cinq mille meurtres pour lesquels une assistance active a été fournie sur une période de trois ans », s’insurge l’avocat de nombreuses parties civiles. Après tant d’années, seuls les seconds couteaux sont encore en vie. « Les officiers de rang élevé, plus âgés pendant la guerre, sont décédés depuis longtemps. Seuls les rangs inférieurs peuvent, en théorie, être encore en vie aujourd’hui », regrette Thomas Walther.

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