Le 10 décembre, Emmanuel Macron recule sur tous les fronts et décrète l'urgence sociale. Mais les gilets jaunes restent sceptiques. © Jean-Paul Pelissier/reuters

2018, l’année où Macron a été assiégé par les « gilets jaunes »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Au-delà des revendications économico-sociales, la révolte des laissés-pour-compte de la France périphérique a remis fondamentalement en cause le mode de gouvernance du président français.

Comment Emmanuel Macron a-t-il pu glisser en douze mois du coup de génie d’une élection éclair au coup de bambou d’une détestation express ? Au-delà des mesures particulières qui l’ont suscitée, la révolte des gilets jaunes, surgie à l’automne, illustre spectaculairement la  » déconnexion  » d’Emmanuel Macron dont on lui avait déjà fait le reproche à l’heure du bilan 2017 des premiers mois de sa présidence. On pouvait difficilement imaginer qu’elle atteindrait cette ampleur.

Emmanuel Macron se comporte en manager technocrate.

Le président français a moins d’excuses de n’avoir rien vu venir ou d’avoir manqué de réactivité. Fin octobre, soit près de trois semaines avant la première manifestation des gilets jaunes à Paris, la plupart des macronistes élus sur des territoires ruraux, rapportait Le Monde, tentaient d’alerter l’Elysée de l’inquiétude des Français à propos de la hausse annoncée des prix du carburant au 1er janvier 2019 (+ 6,5 centimes d’euro pour le litre de diesel, + 2,9 centimes pour le litre d’essence en vertu d’une taxe sur la transition écologique). Il faudra attendre deux mois pour que l’exécutif français fasse machine arrière… Avec des conséquences moins dommageables, l’affaire Benalla, au début de l’été, avait déjà montré la difficulté pour Emmanuel Macron de mesurer la dangerosité d’un problème et d’opter prestement pour la réaction la plus adéquate.

Pour Emmanuel Macron, les violences
Pour Emmanuel Macron, les violences  » inadmissibles  » ne feront l’objet d’aucune indulgence.© Thibault Camus/reuters

Macron en manager technocrate

 » Depuis qu’il est élu, Emmanuel Macron s’affiche comme un président jupitérien, avance Vincent Laborderie, politologue à l’UCLouvain, pour expliquer cet aveuglement. Il se comporte en manager technocrate : il a dit ce qu’il allait faire, il sait ce qu’il veut faire et il est persuadé qu’il faut le faire, ce en quoi il n’a pas forcément tort. Mais il n’a pas pris en compte la dimension purement politique : les gens doivent être d’accord. La méthode a fonctionné au début face aux grèves à la SNCF et aux contestations des syndicats. Avec le mouvement des gilets jaunes, il est confronté à tout autre chose.  »

Au départ de leur exaspération contre une nouvelle taxe annoncée dans un pays qui en est le champion européen, les gilets jaunes vont exprimer le sentiment d’abandon de ce que le géographe Christophe Guilluy a appelé la France périphérique, celle des zones rurales ou des petites villes, laissée-pour-compte de la mondialisation heureuse, non éligible aux aides sociales parce que pas assez défavorisée, première victime des coupes opérées dans les services publics, et qui nourrit d’autant plus une aversion pour les impôts que l’Etat, estime-t-elle, ne lui en restitue pas les dividendes.  » Dans cette France-là, la maternité de la clinique du coin a fermé et le siège de la perception des impôts a été relégué à quarante kilomètres. Ce sont des réalités concrètes. Et face à cela, Emmanuel Macron leur sert un discours qui transpire le mépris parce qu’il n’arrive pas à leur parler « , observe Vincent Laborderie. La perception de ce dédain peut parfois prendre des contours étonnants.  » L’arrogance de M. Macron m’a fait sortir de mes gonds, témoigne, à l’hebdomadaire Marianne, Ghislain Coutard, technicien routier de 36 ans. Il garde constamment son sourire, je n’ai jamais vu ça. […] Notre objectif, c’est de lui effacer son sourire. Et qu’on gagne quelque chose, qu’il arrête ces taxes pas justifiées, qu’il arrête de laisser crever les petits vieux…  »

Mouvement pas identitaire mais violent

Ainsi est née la confrontation entre la France des champs et la France des villes. Alimentée par les maladresses d’un président pas peu friand de cinglantes saillies, des  » gens qui ne sont rien  » aux  » Gaulois réfractaires  » en passant par la rue qu’il suffit de traverser pour trouver du boulot. A Paris, à la limite, peut-être, mais en province ?  » Ces expressions  » cash  » sont toutes une expression d’un inconscient de classe, d’un rapport à l’argent et au travail qui est déconnecté de la vie concrète des gens qui rament « , commentait dans Le Monde Cécile Alduy, auteure de Ce qu’ils disent vraiment. Les politiques pris aux mots (Seuil, 2017). Emmanuel Macron finira par s’en excuser à demi-mot lors d’une allocution solennelle, le 11 décembre :  » Il m’est arrivé de blesser.  »

Vincent Laborderie émet deux distinctions entre ces Français qui rament et les électeurs de Donald Trump ou de Matteo Salvini auxquels on les assimile volontiers.  » Le mouvement des gilets jaunes ne prône pas le rejet de l’étranger. Davantage de Blancs en font partie tout simplement parce que dans cette France périphérique, les populations d’origine immigrée sont moins nombreuses. Si la question identitaire affleure, c’est plutôt à travers la défense d’une identité locale.  » Deuxième différence, c’est un mouvement marqué par la violence. Pas seulement celle des casseurs opportunistes d’extrême droite ou d’extrême gauche mais cette violence intrinsèque, pas toujours physique, qui se traduit par l’immobilisation des automobilistes ou la contestation des institutions. Les gilets jaunes reflètent l’image d’une France, bien réelle, où la violence est un mode de fonctionnement qui n’est pas forcément proscrit, souligne le maître de conférences de l’UCLouvain.

De l’horizontalité à la verticalité

Les gilets jaunes forment un mouvement non pas politique mais social parce qu’ils sont lassés des partis. C’est là qu’apparaît l’énorme paradoxe d’un Emmanuel Macron qui avait bien perçu cette tendance chez les Français lors de la campagne présidentielle.  » C’était son intuition, rappelle Vincent Laborderie. Avec En marche ! , il avait lancé un mouvement tout à fait nouveau parce que les gens ne se reconnaissaient plus dans la politique classique et voulaient autre chose. Mais une fois arrivé au pouvoir, il s’en est complètement désintéressé. Il n’a pas cherché à bâtir une dynamique sur ce pilier fondateur, censé compter quelque 400 000 membres. Il aurait pu en faire un relais. Il ne l’a pas utilisé.  » Dans le même ordre d’idées,  » En marche ! avait un mode de fonctionnement horizontal, pas du tout hiérarchique, et le programme du candidat Macron était le fruit d’un travail participatif. Une fois au pouvoir, il a adopté un schéma tout à fait inverse et somme toute très classique, privilégiant la verticalité. Il est piquant de constater que les gilets jaunes reproduisent le même mode de fonctionnement, la présence d’un leader en moins.  »

Le leader en moins, les gilets jaunes reproduisent le même mode de fonctionnement qu’En marche ! » Vincent Laborderie, politologue à l’UCLouvain.

Le politologue compare la situation du président actuel à celle de Jacques Chirac confronté à de grandes grèves, le premier hiver après son élection en 1995, contre le plan de son Premier ministre Alain Juppé sur les retraites et la sécurité sociale. Mais alors qu’à l’époque, le clivage gauche/droite structurait la vie politique, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Emmanuel Macron est davantage mis en cause sur sa façon de faire de la politique.

C’est la raison pour laquelle le renoncement finalement concédé de la taxe sur les carburants et le  » tournant social  » (hausse du salaire minimum, retrait de la hausse de la contribution sociale généralisée pour les retraités les plus pauvres, défiscalisation des heures supplémentaires) imprimé par le président français, le 10 décembre, après un quatrième samedi de manifestations parisiennes émaillées de violences, n’offraient pas automatiquement la garantie d’une sortie de crise.

Paris, siège du pouvoir
Paris, siège du pouvoir  » monarchique « , a été la cible privilégiée des gilets jaunes.© Christian Hartmann/reuters

Débat politique appauvri

Pour Vincent Laborderie, la révolte des gilets jaunes témoigne de l’appauvrissement du débat politique. Les partis français sont traversés par des dissensions ou des remises en question existentielles. En outre, la forme inédite du mouvement complique le dialogue et la satisfaction de revendications. Cela oblige presque le pouvoir à répondre directement aux causes du mécontentement sans concertation préalable si ce n’est avec des corps intermédiaires dans lesquels les manifestants ne se reconnaissent pas et que le début de la présidence d’Emmanuel Macron a contribué à marginaliser, après nombre de ses prédécesseurs. Nous assistons, comme l’énonce l’historien Jacques de Saint Victor, à  » la confrontation de deux solitudes : un pouvoir sans relais et un mouvement sans leader « . Pauvre France.

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