Granit Xhaka, capitaine de la Suisse. © AFP

Euro 2020: la sensation Suisse, symbole d’une diversité issue de la guerre

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Vainqueur de la France, la Suisse a créé l’exploit. De nombreux joueurs de la Nati, venus en Suisse après l’éclatement de l’ex-Yougoslavie, apportent une dose de créativité qui fait du pays une valeur sûre. Mais, aussi, une bonne dose de turbulence.

« Cette équipe est prête à écrire l’histoire. Sa victoire contre la France, lundi soir en huitièmes de finale, au bout du suspense et des tirs au but après être revenue de nulle part, est la première grande sensation de cet Euro. Avec un capitaine, Granit Xhaka, impérial, et deux but du feu-folet Seferovic.

Grâce aux Xhaka, Shaqiri, Seferovic, Gavranovic et autres nouveaux venus comme Becir Omeragic, la Suisse est devenue une valeur sûre du football européen. A sa rigueur alémanique, elle a ajouté une touche de créativité venue d’ex-Yougoslavie. Et issue directement de la guerre qui a déchiré ce pays européen dans les années 1990.

Le singulier destin des Xhaka

L’histoire de la famille Xhaka est singulière, à cet égard. Le petit frère, Granit Xhaka, est donc le capitaine de cette sélection après avoir réussi une carrière l’ayant mené jusqu’au sein des Gunners, à Arsenal. Son aîné, Taulant, joue au FC Bâle, en Suisse, mais il a choisi pour sa part de représenter l’Albanie, son pays d’origine. Lors de l’Euro 2016, les deux frères avaient d’ailleurs joué l’un contre l’autre lors d’un duel qui avait tourné à l’avantage de la Suisse.

La famille Xhaka est originaire de Kur¨umlija, en Serbie. Le père, Ragip, étudie à l’université de Pristina, et fait partie de cette minorité albanaise contestant la mainmise serbe sur le Kosovo. En 1986, il est condamné à trois ans et demi de prison après avoir participé à des manifestations contre le régime communiste. Le réveil des nationalismes va bientôt mené à la guerer la plus sanglante sur le sol européen depuis la fin du deuxième conflit mondial: tout à tour, la Slovénie, puis la Croatie et la Bosnie s’embrasent. La famille Xhaka, elle, prend le chemin de l’exil: la France, et puis la Suisse.

« Dans ma famille, on parle albanais et l’Albanie revenait toujours vers moi« , explique Taulant, pour justifier son choix d’opter pour l’Albanie. Avant le match de 2016, il ajoutait: Notre père dit qu’il est soulagé d’avoir deux mains et qu’il peut ainsi croiser les doigts d’un côté pour la Suisse, de l’autre en faveur de l’Albanie.

Des liens historiques

Qu’ils viennent de Serbie, d’Albanie ou de Bosnie, l’itinéraire de plusieurs joueurs clés de la Nati puise son origine dans ce conflit, mais aussi dans un lien plus profond entre les deux pays. « Dès les années 60, les entreprises helvétiques vont chercher en ex-Yougoslavie les saisonniers qu’elles ne trouvent plus en Italie ou en Espagne, raconte un reportage de la télévision suisse romande . Des hommes pour la plupart, qui envoient tout leur argent à la famille restée au pays. Dans les années 80, les bouleversements politiques et l’enlisement économique de la région provoquent une seconde phase d’immigration saisonnière. Mais tout bascule vraiment en 1991. »

Avec l’éclatement de l’ex-Yougoslavie, un nouveau flux rejoint le pays. « Les Kosovars sont parmi les premiers à faire venir femmes et enfants, prolonge la RTS. Pour éviter les installations définitives, Berne décide alors de reléguer les ressortissants yougoslaves dans « le troisième cercle »: les nouveaux arrivants peuvent demander l’asile, mais n’ont plus le droit de travailler. » Avec le temps, l’enracinement, toutefois, devient réel et les talents s’expriment.

En 2016, selon l’institut suisse d’études albanaises, 270.000 Albanais d’origine vivaient en Suisse. Et plus de 110.000 Kosovars, selon le secrétariat d’Etat aux migrations. Le premier joueur d’origine albanaise à porter le maillot rouge et blanc fut Milaim Rama, entré quelques minutes contre l’équipe de France, lors de l’Euro 2004.

Turbulentes relations

Les relations entre les joueurs d’origine albanaise et le grand frère serve sont tumultueuses, forcément. Lors d’une rencontre sulfureuse entre la Suisse et la Serbie, lors du Mondial 2018 (remportée par la suisse 2-1), Granit Xhaka et Xherdan Shaqiri, né au Kosovo, ont mimé des deux mains l’aigle du drapeau albanais, un geste considéré en Serbie comme un symbole de défiance.

Aux réactions outrées des Serbes, le président du Kosovo Hashim Thaçi avait félicité sur Twitter les deux buteurs et toute l’équipe suisse pour sa « victoire bien méritée », en ajoutant: « Le Kosovo vous aime! ». Le même Hashim Thaçi a démissionné le 5 novembre pour faire face à son inculpation par le tribunal spécial de la Haye sur les crimes de guerre durant le conflit contre les forces serbes…

L’histoire européenne, toujours, génére de singulières situations.

Un autre ex-yougoslave, Vladimir Petkovic, originaire de Bosie, entraîne la Nati et espère bien jouer un mauvais coup aux Français. Après le début difficile de son équipe dans le tournoi, i lavait écrit une letre ouverte aux médias suisses: « Nous sommes comme une grande famille dans laquelle il y a des clashes, dans laquelle il y a des inconduites, ce dont nous discutons et que nous clarifions ensuite ensemble, afin de nous prendre dans les bras à nouveau ensuite et de pouvoir atteindre ensemble nos objectifs ambitieux. » Comme une métaphore.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire