Karim Benzema, Kylian Mbappé et Paul Pogba, les stars de la France plurielle de 2021. © AFP

Euro 2020: « La France, l’Allemagne et la Belgique reflètent une même histoire multiculturelle »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

France-Allemagne, mardi à Munich, c’était « le sommet » du premier tour. Les rivalités historiques entre ces pays ont pris un autre tournant depuis que leurs équipes sont multiculturelles, explique l’historien Paul Dietschy. Voilà pourquoi, aussi, l’affaire Benzema est très importante pour la France.

France – Allemagne, mardi soir à Munich, c’était le premier gros sommet de l’Euro. Avec une victoire des Bleus pleine de réalisme, grâce à un but allemand contre son camp.

La France est la grande favorite de la compétition. L’Allemagne est l’éternel épouvantail de ce sport, avec ce commentaire de l’Anglais Gary Lineker devenu un mantra: « Le football est un sport qui se joue à onze et, à la fin, ce sont les Allemands qui gagnent ».

Politiquement, ce n’est pas une mince affaire non plus. La rivalité issue de la Seconde guerre mondiale a longtemps émaillé ces France- Allemagne, jusqu’au fameux match de Séville au Mondial 1982, marqué par une élimination française sur le fil et une charge violente du gardien allemand Schumacher contre Patrick Battiston. Depuis, les deux pays incarnent davantage le duo moteur de la construction européenne et le climat est bien plus pacifique.

Mais ce match suscite encore bien des intérêts liés à l’identité française, avec la réintégration de l’attaquant Karim Benzéma, ou à la nouvelle rivalité franco-belge, exacerbée par la victoire française en demi-finale du Mondial russe de 2018.

Paul Dietschy, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Franche-Comté et auteur d’un livre de référence sur l’histoire du football, préface pour Le Vif ce sommet très attendu.

La France, championne du monde en titre, est la grande favorite de cet Euro. Mais il y a toujours, chez vous, un rapport compliqué à l’équipe nationale, illustré encore par le retour en sélection de Karim Benzema. Comment percevez-vous cela?

Ces débats ne sont certainement pas nouveaux en France. Très tôt, des joueurs issus des colonies ont été alignés en équipe nationale. Il faut se rappeler que notre sélection a été la première à aligner un joueur noir, Raoul Diagne, en 1931. C’était d’ailleurs le fils de Blaise Diagne, le premier sous-secrétaire d’Etat noir en France. Il y a une habitude, une tradition.

En France comme ailleurs, la plupart des joueurs sont issus des classes populaires qui sont constituées essentiellement, aujourd’hui, des personnes issues de l’immigration. Cela reflète cette évolution sociologique. Mais cela exprime aussi, évidemment, les tiraillements identitaires. Ce n’est pas propre à la France, mais c’est exacerbé dans notre pays avec, à la fois, sa dimension universaliste, généreuse, héritée de la Révolution française, qui s’oppose àce refus de l’étranger qui s’exprime aussi, historiquement, de manière forte. La France a été le premier pays européen à accueillir massivement des travailleurs étrangers, que l’on accusait de prendre le travail des Français. C’est un jeu de balancier entre une France ouverte et diversifiée, et une France qui se replie sur elle-même, qui fait facilement preuve de racisme ou de xénophobie.

On a accusé Benzema d’être une « racaille » suite à l’affaire de la sex tape et, en même temps, c’est un des rares joueurs à payer ses impôts en France. C’est cette contradiction qui est en jeu, avec l’héritage de la décolonisation. Dans le cas de Benzema, ce qui est intéressant, c’est qu’il s’agit d’un joueur issu d’une famille d’origine algérienne. Or, un problème a longtemps subsisté entre la France et l’Algérie, après l’indépendance de 1962: il y a eu peu de joueurs d’origine algérienne dans l’équipe nationale et seul le succès de Zidane a permi de dépasser ce blocage. Mais souvenez-vous encore du match France-Algérie de 2001, quand l’hymne national avait été sifflé et que le match avait été interrompu après une invasion de terrain: cela a eu autant d’influence, à mes yeux, que le victoire de la France à la Coupe du monde 1998.

L’époque de la fameuse France « black-blanc-beur », qui a fait long feu…

Oui, à l’époque, même des politiciens de droite étaient prêts à régulariser les sans-papiers. Ce match de 2001 a eu un effet délétère. On voyait que les choses étaient plus compliquées que cela.

L’affaire Benzema, c’est un débat très important en France. C’est à la fois l’expression du malaise des banlieues, de la difficulté pour un certain nombre de jeunes issus de l’immigration de trouver du travail mais, aussi, celle du rapport qui reste complexe à la colonisation.

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En reprenant Karim Benzema, Didier Deschamps s’est-il mis la pression? La France doit-elle à tout prix gagner ce tournoi?

Il ne faut pas oublier qu’en France, la Fédération de football a un statut particulier: depuis le régime de Vichy, puis la Libération, les fédérations sportives reçoivent délégation de l’Etat pour leur activité Le lien est très politique, structurellement.. En 2010, quand il y a eu la fameuse grève des joueurs français lors du Mondial en Afrique du sud, la ministre de tutelle, Roselyne Bachelot, avait dû intervenir. Quand l’équipe est rentrée au pays, Thierry Henry avait dû filer à l’Elysée pour s’expliquer devant Sarkozy. Ce lien politique est propre à la France et Emmanuel Macron continue cette tradition.

Cela dit, Didier Deschamps est quelqu’un de très intelligent: même s’il joue au naïf, il sent les rapports de force. Et c’est un compétiteur, qui a tout gagné.I l ramène Benzema, parce qu’il considère que c’est une valeur ajoutée et, en même temps, il apaise la polémique. Mais c’est très malin parce Benzema est obligé de lui dire merci, de sourire, ce qu’il avait rarement fait, et il sera très motivé. Si l’équipe de France perd, ce sera de sa faute, si elle gagne, ce sera grâce au choix de Deschamps!

La France se trouve dans le « Groupe de la mort » avec l’Allemagne et le Portugal, en plus de la Hongrie. Avec ce couple franco-allemand qui a aussi une relation d’amour-haine?

La relation France-Allemagne a beaucoup changé depuis Séville en 1982. Pour ma génération, c’était un grand moment émotionnel: la France mène 3-1 face aux Allemands, se fait rattraper et battre aux pénaltys avec l’agression de Schumacher. A l’époque, on n’était pas très loin de la guerre, encore, avec une vraie résurgence du sentiment anti allemand.

Aujourd’hui, c’est très différent parce que les deux équipes reflètent le caractère multiculurel de ces sociétés. L’enjeu n’est plus historique, il est essentiellement sportif. Un France – Italie est marqué de plus de passions parce que ce sont des cousins, avec des relations plus intenses.

Et un France- Belgique?

Peut-être que du côté belge, le ressenti est plus important depuis la demi-finale de la Coupe du monde, en 2018. Mais cette rivalité s’est estompée au fil du temps. La France, c’est sans doute l’équipe contre laquelle la Belgique a joué le plus de matchs, et vice-versa, souvent pour des raisosn de facilité entre pays voisins.

En 2018, on a retrouvé, en réalité, les mythologies de ce derby France-Belgique. Initialement, c’était le petit pays contre le gros, les joueurs français dont les Belges se moquent parce qu’ils sont suffisants et ne s’entraînent pas assez. Dans les années 1980, cela a basculé avec une victoire française 5-1 contre une très belle équipe belge.

Depuis, ces relations se sont espacées. Mais là encore, même depuis 2018, cette relation se situe davantage sur le terrain sportif. Là aussi, les deux équipes se ressemblent: multi-ethniques, marquées par l’histoire de l’immigration

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