Philippe Hensmans

Et vous trouvez que le monde va mieux ? (carte blanche)

Philippe Hensmans Directeur de la section belge francophone d'Amnesty International

« Force est de constater que les violations des droits humains sont aussi nombreuses qu’il y a 60 ans », écrit Philippe Hensmans, directeur d’Amnesty International pour la Belgique francophone, à l’occasion de la Journée internationale des droits humains. Et elles ne sont pas plus nombreuses à l’autre bout du monde que près de chez nous. Que penser de ces « balles fabriquées à Liège ou à Charleroi » qui vont servir à ôter la vie d’hommes, de femmes et d’enfants dans d’autres pays plus lointains ?

« OUVREZ votre journal n’importe quel jour de la semaine et vous trouverez un rapport de quelque part dans le monde de quelqu’un emprisonné, torturé ou exécuté parce que ses opinions ou sa religion sont inacceptables pour son gouvernement. Il y a plusieurs millions de ces personnes en prison (…) et leur nombre augmente. Le lecteur du journal ressent un sentiment écoeurant d’impuissance. Pourtant, si ces sentiments de dégoût partout dans le monde pouvaient être unis dans une action commune, quelque chose d’efficace pourrait être fait. »

Ces quelques lignes, c’est l’introduction de l’article The Forgotten Prisoners, les Prisonniers oubliés, que Peter Benenson publiait il y a 60 ans et qui allait lancer Amnesty International, la plus grande organisation au monde de défense des droits humains.

Depuis toutes ces années, des millions de personnes ont lutté pour défendre les valeurs fondamentales inscrites dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Et ces femmes et ces hommes ont remporté de nombreuses victoires : milliers de prisonnier·ère·s d’opinion libéré·e·s ou sauvé·e·s de la torture, recul considérable de la peine de mort, ou encore un renforcement significatif des outils composant le droit international des droits de l’homme. Souvent en collaboration avec d’autres organisations, Amnesty International a réussi à mettre en évidence des situations horribles qui seraient autrement restées dans l’ombre. Nous avons aussi élargi notre champ d’action, en nous attaquant aux violences contre les femmes, à la maltraitance des personnes âgées, ou encore aux systèmes de sécurité sociale injustes.

Mais nombreuses sont les personnes qui nous disent : « Et vous trouvez que le monde va mieux ? »

L’étau qui se resserre

Force est de reconnaître que les violations des droits humains sont aussi nombreuses qu’il y a 60 ans, même si les régimes et les acteur·rice·s qui en sont responsables ne sont souvent plus les mêmes. Massacres, crimes contre l’humanité, voire génocide, le tableau semble s’assombrir chaque jour.

Et certain·e·s nous disent « et pire, l’étau semble se resserrer, avec la chute vertigineuse de la Pologne et la Hongrie sur les pistes du populisme, sans parler de la France… ». C’est certes vrai, mais on ne voit pas pourquoi c’est plus grave parce que c’est plus proche… Les souffrances sont les mêmes, que l’on soit torturé à Minsk, ou au Tigré.

Nous commençons à avoir peur en constatant que nous pourrions nous-mêmes, ou nos enfants, être un jour victimes de ces régimes qui commencent par se déclarer « illibéraux » et finiront peut-être par s’affiner comme dictatures. D’autant que nous refusons de voir les demandeur·euse·s d’asile qui dorment sur nos trottoirs et à qui la police vient même confisquer les quelques bâches avec lesquelles ces hommes et ces femmes essaient de se protéger au minimum de la pluie et du froid.

Nos gouvernements, dont la légitimité repose sur le suffrage universel, ont choisi d’adopter des « narratifs » totalement hypocrites. Ces pays qui se veulent défenseurs des droits humains dans les travées de Genève ou de New-York sont pilotés par des représentant·e·s de commerce, pour qui la vente d’armes ou la livraison de gaz sont plus importantes que la vie de milliers de personnes, hommes, femmes et enfants qui mourront ensuite sous les balles fabriquées à Liège ou Charleroi.

Changer le narratif?

Comment pourrais-je avoir confiance dans la Belgique, si mes frères sont morts noyés en Méditerranée – refoulés par Frontex -, si mes soeurs ont été violées par des groupes armés de matériel belge et si mes parents sont en train de mourir de la sécheresse due au réchauffement climatique ?

Comment croire encore un dirigeant politique, de quelque pays qu’il soit, lorsqu’il ou elle parle de « droits de l’homme » ?

Il nous revient, par nos actions, notre comportement, de montrer que la solidarité n’a pas de frontières, pour remplacer les gouffres qu’ont creusés en la matière nos responsables.

Les droits humains ne seront jamais l’affaire uniquement des responsables politiques. Cela peut sembler paradoxal comme affirmation, venant de quelqu’un qui s’adresse tous les jours à des gouvernements, des groupes armés ou des entreprises pour leur reprocher de ne pas respecter leurs obligations.

Mais l’histoire a montré combien les citoyen·ne·s étaient important·e·s pour obtenir le respect et la mise en oeuvre de ces droits. Peter Benenson écrivait dans son article de 1961 : « le succès de la campagne […] dépendra de l’intensité et de la puissance avec lesquelles il sera possible de rallier l’opinion publique. Cela dépend aussi du fait que la campagne soit globale dans sa composition, internationale dans son caractère et politiquement impartiale dans sa direction. Tout groupe prêt à condamner la persécution, quel que soit l’endroit où elle se produit, qui est responsable ou quelles sont les idées supprimées, est le bienvenu. […] L’expérience montre que dans des domaines comme ceux-ci, les gouvernements ne sont prêts à suivre que là où l’opinion publique mène. La pression de l’opinion il y a cent ans a entraîné l’émancipation des esclaves. C’est maintenant à l’homme d’insister sur la même liberté pour son esprit que celle qu’il a gagnée pour son corps. « 

Chaque jour, nous voyons éclore des groupes de jeunes (ou de moins jeunes) qui s’allient pour protéger le climat, leur environnement, les droits sociaux. Ces groupes arriveront, nous en sommes sûr·e·s, à éviter que nous ne basculions complètement dans l’obscurité, pour peu que nous les soutenions. Charge à nous non pas de leur montrer le chemin à suivre, mais de faire reculer les bourreaux qui veulent s’approprier le monde. Nous devons leur fournir les bougies qui éclaireront les pistes qu’il·elle·s veulent suivre pour arriver à un avenir meilleur. Un avenir que seul le respect des droits fondamentaux, tous les droits, peut garantir. Au boulot…

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