Hadja Lahbib

Et à part ça? L’espoir de septembre (chronique)

Hadja Lahbib Journaliste et réalisatrice

Hadja Lahbib, journaliste à la RTBF et réalisatrice de documentaires, rejoint l’équipe du Vif avec une nouvelle chronique, « Et à part ça? », qui fait le lien entre la Belgique et le monde. Nouvelle étape: l’Afghanistan.

C’est la rentrée et j’ai souri de tendresse en croisant dans le bus les regards gonflés de sommeil des enfants. Comme ils m’avaient manqué! A l’approche d’un arrêt, une fillette est arrivée, les nattes voltigeant joyeusement au-dessus de sa tête comme deux cerfs-volants rouges. Peut-être était-ce cette petite fille afghane sur le tarmac de l’aéroport militaire belge et dont la photo a fait le tour de la toile en suscitant smileys et commentaires du monde politique, fier et satisfait du devoir accompli.

C’est la rentrée d’une fillette à qui l’on devra expliquer pourquoi sa grand-mère, son oncle, peut-être même son grand frère ne sont pas avec elle pour l’accompagner à l’école et qu’elle ne les reverra peut-être jamais. Que passé le sourire que soulèvent ses tresses, ce que l’on craint ici, comme en France, comme en Allemagne, c’est une nouvelle crise migratoire, un basculement de l’échiquier politique aux prochaines élections.

Quand elle fera sa crise d’adolescence, qu’elle se battra pour porter le voile ou pour l’enlever, qu’elle se demandera qui elle est vraiment, il faudra espérer que, dans les cours d’histoire ou d’actualité, il sera question de cette région du monde soumise depuis des décennies aux intérêts des grandes puissances. Ceux de la Grande-Bretagne avant que la Russie et les Etats-Unis ne prennent le relais sur fond de guerre froide.

C’est la rentru0026#xE9;e d’une fillette u0026#xE0; qui l’on dira peut-u0026#xEA;tre avec condescendance que son pays est maudit.

Il faudra lui dire, à cette petite fille qui a déclaré à la télévision qu’elle détestait l’Afghanistan à cause des talibans, qu’il fut un temps où l’extrémisme musulman fut soutenu et armé par les Etats-Unis via le Pakistan et l’Arabie saoudite pour contrer l’influence de l’URSS et du communisme.

Il faudra lui raconter qu’avant l’invasion russe, l’ Afghanistan était dirigé par Zaher Shah, un roi francophile, avant-gardiste, qui fit de son pays une monarchie constitutionnelle avant de la transformer en monarchie parlementaire. Peut-être aimera-t-elle un peu son pays si elle apprend qu’il régnait alors à Kaboul un vent de liberté, que les femmes y obtinrent le droit de vote dès 1919, un an avant les Américaines et près de vingt ans avant les Françaises. Dans les années 1960 à Kaboul, des femmes portaient chemise et jupe moulante et présidaient les facultés universitaires les plus prestigieuses. Il faut espérer qu’elle apprenne tout cela.

Alors une fois adulte, qui sait si elle formera avec ses camarades de classe une génération qui réclamera un devoir de mémoire et de réparation comme il en est question pour les anciennes colonies, pour les millions de vies gâchées, pour les régions entières ruinées, déstabilisées. Il est de notre devoir à tous de nous y préparer dès aujourd’hui. Car c’est la rentrée d’une fillette à qui l’on dira peut-être avec condescendance que son pays est maudit, condamné à ne connaître que la guerre. Mais elle ne le croira pas longtemps.

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