
En Thaïlande, Ubolratana, princesse rebelle candidate au poste de Premier ministre
Ayant dû renoncer à son titre royal au début des années 1970 pour épouser un Américain, Ubolratana, soeur aînée du roi de Thaïlande et candidate surprise au poste de Premier ministre, confirme son image de princesse rebelle.
Sportive accomplie, chanteuse pop à ses heures, elle avait jusqu’ici montré peu de goût pour la politique, préférant défendre le cinéma thaïlandais dans les festivals du monde entier. Elle a d’ailleurs joué dans deux films, dont « Where the Miracle Happens », sorti en 2008 et présenté au festival de Cannes.
Dans son dernier post sur Instagram, jeudi, alors qu’enflait la rumeur de sa candidature, la princesse de 67 ans, friande des réseaux sociaux, a posté une photo d’elle, tout sourire, des fleurs rouges à la main.
Dans un pays adepte des signaux politiques cryptiques, elle donnait déjà un indice, posant en robe traditionnelle du nord de la Thaïlande, depuis Chiang Mai, fief des Shinawatra, dont la couleur politique est le rouge.
Proche des Shinawatra
La princesse n’a jamais caché sa proximité avec l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra, bête noire des élites conservatrices ultra-monarchistes et de l’armée.
Elle a ainsi assisté à la demi-finale de la Coupe du monde 2018 entre l’Angleterre et la Croatie aux côtés de Thaksin Shinawatra et de sa soeur Yingluck, deux ex-Premiers ministres renversés par les militaires qui vivent aujourd’hui en exil pour échapper à des poursuites qu’ils dénoncent comme politiques.
Et lorsqu’en 2017 Thaksin Shinawatra, rompant un long silence, cite Montesquieu dans un message sur les réseaux sociaux (« Il n’y a pas de tyrannie plus cruelle que celle qui se perpétue sous le bouclier de la loi et au nom de la justice »), la princesse commente sur Instagram: « Je suis d’accord !!! Su Su », ce qui signifie « Au combat! » en thaï.
Née à Lausanne, en Suisse, Ubolratana Rajakanya est l’aînée des enfants du roi Bhumibol Adulyadej, décédé en 2016, et de la reine Sirikit. Son frère cadet Maha Vajiralongkorn a succédé à son père.
Elle a toujours eu une image de princesse rebelle, depuis son départ vers les Etats-Unis pour étudier. Elle y rencontre un Américain, Peter Ladd Jensen, et abandonne en 1972 son titre royal pour l’épouser.
Fils autiste
De leur union naissent deux filles et un fils. Mais le couple divorce en 1998. Et trois ans plus tard, la princesse est de retour en Thaïlande, où elle reprend une partie de ses obligations royales.
Un drame frappe alors Ubolratana: son fils autiste, Poom, meurt à l’âge de 21 ans dans le tsunami dévastateur de 2004. Après sa mort, elle créé une fondation en son nom pour aider les enfants autistes.
Active sur les réseaux sociaux, notamment sur Instagram où elle compte près de 100.000 abonnés, elle fait volontiers part de ses vues sur des sujets de société, alors que les membres de la famille royale restent plutôt sur leur réserve, participant à des évènements officiels mais sans faire jamais le moindre commentaire sur la société.
Sur le récent pic de pollution sans précédent qui a étouffé Bangkok par exemple, la princesse a ainsi confié sur Instagram, avec une photo d’elle portant un masque anti-pollution noir: « Ce problème doit être résolu le plus rapidement possible. Les enfants ne peuvent plus aller à l’école ».
AFP
Quid de la loi de lèse-majesté?
La Thaïlande a une loi de lèse-majesté parmi les plus strictes au monde: critiquer le roi, la reine, l’héritier ou le régent conduit en prison.
La princesse Ubolratana, soeur du souverain et candidate au poste de Premier ministre, n’est pas protégée par cette loi. En principe du moins.
Que dit la loi?
Connue sous le nom de « section 112 » du code pénal, le texte punit de trois à quinze ans de prison toute personne reconnue coupable de lèse-majesté.
Techniquement, il ne concerne pas la princesse Ubolratana.
Mais l’article 112 a été très largement interprété par les autorités thaïlandaises surtout depuis le coup d’Etat de mai 2014, créant « un climat de peur » au sein de la société, où personne ne critique jamais publiquement aucun membre de la famille royale, note Sunai Phasuk de l’ONG Human Rights Watch.
L’autocensure des médias et experts politiques couvrant la campagne de la princesse sera donc forte, prédisent des experts.
Combien de personnes poursuivies?
Il n’y a pas de chiffres officiels, mais d’après l’ONG de défense des droits de l’Homme iLaw, 95 personnes ont été poursuivies pour lèse-majesté depuis mai 2014 et une trentaine sont incarcérées. Avant le coup d’État, six personnes étaient derrière les barreaux.
A partir de 2014, les poursuites se sont multipliées: un ouvrier est ainsi poursuivi pour avoir manqué de respect sur Facebook au chien du roi. Il a été libéré sous caution, mais est toujours inculpé.
De nombreux intellectuels et organisations jugent ces affaires souvent politiques, relevant qu’un grand nombre d’accusés ont des liens avec le mouvement des « Chemises rouges », partisan de l’ex-Premier ministre en exil Thaksin Shinawatra.
Toutefois, depuis l’arrivée du roi Maha Vajiralongkorn, qui a remplacé son père décédé en 2016, la situation semble s’améliorer.
Les charges pour « lèse-majesté » pesant sur six jeunes Thaïlandais, accusés d’avoir incendié des portraits de la famille royale, ont ainsi été levées. Ils risquent tout de même une lourde peine de prison car ils sont poursuivis pour d’autres infractions.
Qui est chargé du contrôle?
Depuis 2014, les personnes accusées de lèse-majesté sont poursuivies devant les tribunaux militaires, aucun appel n’est donc possible.
Une « cyberpatrouille » de fonctionnaires, renforcée après le coup d’Etat, piste les internautes.
Des groupes ultra-royalistes surveillent aussi internet de façon non-officielle, notamment « The garbage collection organisation » qui traque les détracteurs de la monarchie.
– Loi la plus stricte au monde? –
Dans les monarchies absolues, comme l’Arabie Saoudite ou le Qatar, les peines encourues sont beaucoup plus lourdes, mais il n’existe pas d’étude globale mesurant dans ces pays l’application des lois sur la diffamation royale.
D’après une étude de l’historien David Streckfuss, les peines encourues en Thaïlande sont deux fois et demie fois plus longues qu’en Europe, où le pays le plus sévère en la matière est la Suède avec six années de prison.
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