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Elimination du chef de l’EI: fin d’une menace « majeure »

Le Vif

Les Etats-Unis se sont félicités jeudi d’avoir éliminé une « menace terroriste majeure » dans le monde, après la mort du chef du groupe jihadiste Etat islamique (EI), Abou Ibrahim al-Hachimi al-Qourachi, tué lors d’une opération de leurs forces spéciales en Syrie.

Les Etats-Unis « ont éliminé une menace terroriste majeure dans le monde », a dit le président américain Joe Biden dans une allocution à la Maison Blanche. « Dans un ultime geste désespéré de couardise, et sans égard pour la vie de sa propre famille ou d’autres personnes dans le bâtiment, il a choisi de se faire exploser (…) emportant plusieurs membres de sa famille avec lui, comme l’avait fait son prédécesseur », a ajouté le démocrate, qui a suivi en temps réel l’opération depuis la célèbre « Situation Room ». En octobre 2019, l’ancien chef de l’EI, Abou Bakr al-Baghdadi avait été tué dans un raid américain dans la région d’Idleb.

« Al-Mawla s’est tué ainsi que sa famille proche sans combattre, alors même que nous essayions de l’appeler à se rendre », a précisé le général Kenneth McKenzie, chef du Commandement central de l’armée américaine. Le haut gradé a indiqué que la violence de l’explosion avait projeté le corps « par terre à l’extérieur du bâtiment », et que Qourachi avait été identifié par ses empreintes digitales et son ADN.

Al-Mawla, « émir » du groupe Etat islamique pendant deux ans

Surnommé « le professeur » ou le « destructeur », le chef du groupe Etat islamique (EI) était relativement inconnu mais a su maintenir la stratégie et l’activité du groupe sous son règne de moins de deux ans.

Amir Mohammed Saïd Abdel Rahman al-Mawla, jihadiste aux multiples alias qui se faisait appeler « l’émir » Abou Ibrahim al-Hachimi al-Qourachi à la tête de l’EI. Avant son accession à la direction de la nébuleuse terroriste après l’élimination de son prédécesseur Abou Bakr al-Baghdadi fin 2019, il avait présidé au massacre de la minorité kurdophone des Yazidis. La piste qui menait à cet homme d’origine turkmène, né probablement en 1976, semblait incertaine dans une organisation dont tous les dirigeants étaient auparavant arabes. Cet ancien officier de l’armée de Saddam Hussein, diplômé de l’université des sciences islamiques de Mossoul, s’engage dans les rangs d’Al-Qaïda après l’invasion américaine en Irak et la capture de Saddam Hussein en 2003, selon l’ONG américaine Counter Extremism Project (CEP).

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Il est incarcéré en 2004 dans la prison américaine de Camp Bucca (sud de l’Irak), considérée comme la pépinière du jihadisme au Levant, où il rencontre Baghdadi. Libéré pour raisons inconnues, il s’engage aux côtés de son camarade de détention, lequel prend en 2010 le contrôle de la branche irakienne d’Al-Qaïda avant de créer successivement l’État islamique en Irak, puis l’État islamique en Irak et en Syrie (Daech en arabe). Selon le CEP, « Mawla s’est rapidement hissé au sein des rangs supérieurs de l’insurrection, et était surnommé +le professeur+ et le +destructeur+ », acquérant une réputation d’homme brutal, notamment via l’élimination des opposants de l’émir au sein d’EI. Sa ville natale de Tal Afar, à 70 kilomètres à l’ouest de Mossoul, voit proliférer les ateliers d’explosifs et les projets d’attentats. « Outre ses responsabilités dans un tel terrorisme de masse, +Abou Omar le Turkmène+ joue un rôle majeur dans la campagne jihadiste de liquidation de la minorité yazidie par les massacres, l’expulsion et l’esclavage sexuel », soulignait récemment Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences-Po Paris, spécialiste du jihadisme. Mawla a essayé de redonner vigueur et activité à un groupe qui a perdu le territoire qu’il avait occupé à cheval sur l’Irak et la Syrie lors de l’existence de son « califat » (2014-2019).

« Sous son règne, il a quand même oeuvré au retour au premier plan de l’EIK (pour EI au Khorassan, en Afghanistan, ndlr) bien avant l’arrivée des Talibans au pouvoir », explique Damien Ferré, directeur de la société Jihad Analytics spécialisée sur l’analyse du jihad mondial et cyber. Depuis, l’EIK est devenu la principale menace au régime des talibans en Afghanistan, frappant l’aéroport de Kaboul pendant le retrait américain d’aout 2021 et entretenant un danger constant avec le pouvoir islamiste de Kaboul. Plusieurs chercheurs pointent aussi l’activité de l’EI dans la région du lac Tchad, notamment en intégrant une partie des effectifs de la secte Boko Haram, ainsi qu’en Afrique centrale. « Sur le plan opérationnel sous son règne, l’EI a repris des couleurs en 2020 avant de baisser tant sur la qualité que sur la quantité d’attaques au cours de l’année dernière », ajoute Damien Ferré même si l’organisation continue d’être active dans la zone irako-syrienne comme l’a encore montré l’attaque de janvier contre une prison contrôlée par les forces kurdes pour faire évader des jihadistes.

Treize personnes

Le raid a duré environ deux heures dans la nuit de mercredi à jeudi, ont précisé des responsables américains. « Toutes les victimes », dont le nombre reste à déterminer, sont le résultat d’actions des jihadistes, qu’il s’agisse de la détonation causée par Qourachi ou de l’affrontement engagé par l’un de ses lieutenants dans le bâtiment, ont-ils assuré. Le président américain a dit avoir privilégié une opération commando, « beaucoup plus risquée » pour les soldats américains, plutôt qu’une frappe aérienne, par égard pour les civils. Aucun militaire américain n’a été blessé ou tué dans l’opération. Les Etats-Unis ont toutefois, selon des sources de la Maison Blanche, eu un problème technique sur un hélicoptère, qu’ils ont détruit sur un site à l’écart du raid lui-même. Joe Biden, qui selon un haut responsable de la Maison Blanche a donné son feu vert à l’opération mardi, a assuré que les Etats-Unis restaient engagés dans la lutte contre le terrorisme, avertissant ainsi les leaders de groupes jihadistes: « Nous sommes à vos trousses et nous vous trouverons ».

D’après l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), les militaires américains ont atterri en hélicoptère près de camps de déplacés de la localité d’Atmé, une région de la province d’Idleb. Treize personnes ont été tuées, dont quatre femmes et trois enfants, a indiqué l’ONG sans aucune précision sur les victimes. Qourachi, de nationalité irakienne, avait succédé fin octobre 2019 à la tête du groupe ultra-radical responsable de nombreuses atrocités et exactions et d’attentats au Moyen-Orient et dans plusieurs pays occidentaux, mais il n’avait été formellement identifié qu’après plusieurs mois par les services secrets irakiens et américains. Joe Biden l’a décrit comme un « horrible terroriste », « responsable » d’une récente attaque contre une prison en Syrie, et « pilote du génocide » et des viols de masse contre la minorité turcophone des Yazidis. Selon des correspondants de l’AFP à Atmé, l’opération a visé un bâtiment de deux étages dans une zone entourée d’arbres. Une partie du bâtiment a été détruite et le parterre des pièces était couvert de sang. Dans un enregistrement audio attribué aux forces américaines, une personne parlant en arabe demande aux femmes et aux enfants d’évacuer les maisons dans la zone visée.

Abou Ahmad, le propriétaire de la maison ciblée, a indiqué à l’AFP que Qourachi avait « vécu ici pendant 11 mois. Je n’ai rien vu de suspect. Il venait juste me voir pour payer le loyer. Il vivait avec ses trois enfants et sa femme. Sa soeur, une veuve, et sa fille vivaient à l’étage au-dessus ».

Les hélicoptères américains ont décollé d’une base dans la ville à majorité kurde de Kobani (nord) et des membres des Forces démocratiques syriennes (FDS), dominées par les Kurdes et formées par les Etats-Unis, ont participé à l’opération, d’après l’OSDH.

Jihadistes cachés

Les experts relèvent que l’EI prépare toujours la succession de ses chefs. Mais aucune info étayée n’a filtré ces derniers mois sur la personne qui pourrait lui succéder à la tête d’un groupe qui a, à l’image de son grand rival al-Qaida, toujours survécu à la mort de ses dirigeants. « C’est évidemment un revers majeur » pour l’EI, explique à l’AFP Hans-Jakob Schindler, ancien expert des Nations unies devenu directeur du CEP. « Bien sûr ils vont devoir trouver un nouveau leader et avancer un nom à ce stade serait pure spéculation (…). Mais l’erreur serait de croire que tout est fini, ou que ça va mieux, après cette élimination et compte tenu du faible nombre d’attaques en Europe et aux Etats-Unis » récemment.

Selon des experts, des camps de déplacés surpeuplés de la région d’Atmé, servent de base aux chefs jihadistes qui s’y cachent. Leurs groupes ont déjà été la cible de raids aériens du régime syrien, de son allié russe, mais aussi de la coalition internationale antijihadistes dirigée par les Etats-Unis et des forces spéciales américaines. Les opérations héliportées sont en revanche rares. Le raid est intervenu quelques jours après la fin d’un assaut de l’EI contre une prison tenue par les FDS, la plus importante offensive du groupe jihadiste depuis sa défaite territoriale en Syrie en 2019. Malgré la perte de ses fiefs en Syrie et en Irak voisin, le groupe Etat islamique continue de mener des attaques à travers des cellules dormantes. La guerre complexe en Syrie, pays morcelé où interviennent différents protagonistes, a fait environ 500.000 morts depuis 2011.

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