La Floride pouvait basculer dans le camp démocrate grâce au vote des retraités, déçus par la gestion de la crise du coronavirus. Cela n'a pas été le cas. © Reuters

Elections USA: la Trumpania n’est pas morte en Floride (reportage)

Maxence Dozin
Maxence Dozin Journaliste. Correspondant du Vif aux Etats-Unis.

L’adhésion d’une partie des Hispaniques, en particulier d’origine cubaine, au discours manichéen du président sortant, n’a pas permis à Joe Biden de renverser la tendance observée il y a quatre ans.

De notre envoyé spécial en Floride

Pour qui en doutait encore ou sous-estimait la force du mouvement populaire entourant Donald Trump en cette fin 2020, un petit tour au rallye organisé le 31 octobre à l’aéroport Opa Locka de Miami aura permis un retour sur terre, et un constat : le président républicain fait l’objet aux Etats-Unis d’un véritable culte au sein d’une frange non négligeable de la population. Ils étaient ainsi des milliers, chauffés à blanc, casquettes rouges siglées du slogan Make America Great Again vissées sur la tête à s’entasser pour écouter, une heure durant, les diatribes proférées par le milliardaire à l’encontre de son opposant démocrate, plus largement de la classe politique non affiliée à ses vues, mais aussi de la presse « fake news » – le caméraman de la chaîne CNN, houspillé par ses soins, a dû sentir son coeur battre la chamade lorsque, en plein milieu de discours, l’ensemble de l’assistance l’a hué, certains proférant même des menaces à son encontre.

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Semer le doute

Plus frappant encore, dans cet Etat floridien où le poids de la population hispanique est prépondérant, la communauté latino-américaine semble avoir totalement mordu à l’hameçon de la menace socialiste, thème inlassablement soulevé par Trump. Alors que le Parti démocrate est financé par nombre d’institutions financières et de milliardaires qui n’ont pas fait fortune en lisant Marx, et c’est peu dire, le candidat républicain est parvenu à semer un doute profond dans la tête de nombre de ses concitoyens : et si l’Amérique devenait, après-demain, un nouveau Venezuela ? Bien relayé par le réseau de télévision Fox News, totalement acquis à sa cause (les autres grandes chaînes nationales penchant, il est vrai, du côté démocrate), Donald Trump a labouré durant quatre ans la terre de la crainte et de la menace existentielle dans ce pays fondé sur des idées (au premier rang desquelles, la liberté et le capitalisme) plutôt que sur des dynamiques reposant sur la langue ou la couleur de peau. Cette tactique a fonctionné à plein en Floride remportée, plus largement encore qu’en 2016, par le président sortant.

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Gérant de stock dans une entreprise de produits de désinfection, Victor, sorte d’Obélix Afro-Américain d’une rare intelligence, rêve d’être un jour un homme politique au niveau municipal, lorsqu’il aura assuré l’avenir de ses trois enfants. « Aujourd’hui, aux Etats-Unis, tout nous presse à choisir un camp ; c’est comme si nous étions en guerre, indique-t-il. Malgré les avancées symboliques enregistrées par l’élection d’un premier président noir, nous sommes à nouveau dans le creux de la vague. Mais c’était dans l’air. Donald Trump n’a fait que rendre socialement acceptables des sentiments ténébreux qui ne demandaient qu’à s’exprimer », concluait-il amèrement.

https://twitter.com/DozinMaxence/status/1323648367952564225Maxence Dozinhttps://twitter.com/DozinMaxence

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Entreprendre sans être entravé

Mis à part une capacité à fédérer derrière ses idées des franges extrêmement diverses de la population, que cela soit en matière d’origine ethnique et de patrimoine financier, Donald Trump a brillé par une autre faculté : sa facilité à vendre son produit sans l’ombre d’une contestation, nonobstant le côté vicié d’un discours constitué de faits erronés, manipulés, et quasi exclusivement destinés à diviser. La surprise a été grande au cours des jours qui ont précédé le scrutin d’entendre banquiers, pasteurs et même musiciens vanter les mérites de la marque Trump.

Une autre illusion saute ainsi inévitablement : Trump n’a pas que des supporters marginaux ou mi-fous. « Trump est un businessman, et c’est pour cela qu’on l’aime, rappelait Bobby, retraité sympathique ayant longtemps travaillé à Wall Street. Certes, il est un peu exubérant, mais il connaît ses dossiers et, au contraire des politiciens de carrière, tient ses promesses de campagne. »

L’Amérique semble profondément fatiguée des discours politiciens soyeux, c’est là un fait indéniable. Aucun homme ou femme politique ne parvient cependant jusqu’à présent à se distinguer auprès des électeurs par une approche pragmatique dénuée de toute manipulation factuelle. La vérité se fait denrée rare. « Trump a certes profité d’un électorat américain fatigué des palabres politiques, estime Rosana, ressortissante américaine d’origine cubaine, mais ce qui intéresse les gens, c’est avant tout le portefeuille, et la capacité à entreprendre sans être entravé par des règles ou des taxes excessives », estime celle pour qui « l’Obamacare a tué [sa] petite affaire ». Juriste, elle était à la tête d’un tout petit cabinet d’avocats et exerce aujourd’hui le métier d’enseignante après que sa société ait périclité « sous le poids des taxes« .

Renouer avec l’américanité

Un autre élément frappant dans le discours des partisans de gauche et de droite réside dans une approche diamétralement opposée d’une même quête : un retour aux valeurs nationales. « Que notre pays nous soit rendu » sort aussi bien de la bouche des partisans de Joe Biden que de ceux de Donald Trump. Les premiers craignent pour la réputation des Etats-Unis au niveau international, et pour ses valeurs d’ouverture et de pays refuge pour ceux rêvant d’un avenir meilleur.

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Les seconds voient, bien aidés en cela par leur président, la menace socialiste et le tarissement des libertés individuelles comme une sorte de complot en permanence alimenté par une classe politique athée, bien-pensante, voire corrompue – cette dernière accusation n’ayant jamais été étayée par des faits. « L’Amérique reste le pays des rêves ou tout est possible, croit savoir Umberto, ressortissant d’origine cubaine pro-Trump croisé près du quartier de Little Havana à Miami. « Si vous demandez à cent personne à La Havane, la vraie, qui veut venir aux Etats-Unis, vous n’en trouveriez pas un qui refuserait. Il est donc normal que nous votions pour quelqu’un qui défend nos libertés. »

Cassie, supporter de Joe Biden croisé dans un village de retraités au nord d’Orlando, a de son côté et pour la première fois soutenu financièrement une organisation … de droite, le Lincoln Project, viscéralement opposé à Donald Trump. « Nous sommes entrés avec Donald Trump dans une ère de culte de la personnalité, ni plus ni moins. La confiance entre Américains s’en est trouvée profondément érodée, et nombre de liens amicaux ont été détruits. Les démocrates sont à l’heure actuelle les seuls capables de ramener le pays à la raison », concluait-il. Tel est donc le constat : de la même revendication visant à renouer avec l’esprit américain a émergé, le mardi 3 novembre, un vainqueur qui devra ramener la partie la plus importante possible de ses concitoyens à une même vision de l’américanité. Mission impossible ?

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