Mickey takes over Times Square, New York (1996) - Allergique aux images cartes postales à la Cartier-Bresson, l'Américain William Klein (1928) a secoué le monde de la photographie en montrant une vision plus réaliste de la ville à coups de clichés flous, électriques, mouvants. Il n'hésite pas non plus à ajouter des éléments, que ce soit de gros traits rouges ou, comme ici, un Mickey XXL, symbole de la société de consommation qui a transformé New York en grand centre commercial. © william klein

Cris et recueillements: au coeur de l’exposition Sensations du musée D. Guislain à Gand

Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

L’exposition Sensations à Gand s’appuie sur les arts et la science pour illustrer et interroger la cohabitation paradoxale entre une soif toujours plus grande de stimulations sensorielles et le besoin de s’extraire du tumulte.

Comment survivre dans un monde pris de frénésie ? Le cerveau peut-il supporter cette stimulation sensorielle permanente, qui a connu un nouveau coup d’accélérateur avec la révolution numérique ?

San Miguel de Lillet - Pobla de Lillet (2009) - Pendant sept ans, Sebastian Schutyser (1968) a photographié 575 ermitages romains et préromains disséminés en Espagne. Ces constructions étaient habitées par des ermites, seuls ou en groupe. Elles sont généralement dans un état de décrépitude avancée. Le photographe belge n'en a trouvé qu'une seule habitée par un ermite moderne. Aujourd'hui encore, elles symbolisent l'ultime alternative à l'agitation de la vie moderne.
San Miguel de Lillet – Pobla de Lillet (2009) – Pendant sept ans, Sebastian Schutyser (1968) a photographié 575 ermitages romains et préromains disséminés en Espagne. Ces constructions étaient habitées par des ermites, seuls ou en groupe. Elles sont généralement dans un état de décrépitude avancée. Le photographe belge n’en a trouvé qu’une seule habitée par un ermite moderne. Aujourd’hui encore, elles symbolisent l’ultime alternative à l’agitation de la vie moderne.© Sebastian schutyser

Ces questions sont au coeur de la nouvelle exposition du musée Dr. Guislain à Gand.  » Tout est parti de l’attitude d’un groupe d’enfants lors d’une exposition précédente, nous explique la cocommissaire Yoon Hee Lamot. Pendant la visite et les workshops, ils avaient les yeux rivés sur leurs écrans, ils filmaient aussi et, en même temps, ils assimilaient les informations qu’on leur donnait.

Various ways of avoiding visual contact with the outside world using yellow isolating tape (1998) - Les personnages du Belge Michaël Borremans (1963) semblent être à la fois à l'intérieur et hors du monde. Avec ce tableau, utilisé pour l'affiche de l'exposition, le monde extérieur est clairement mis à distance, comme une menace qu'il vaut mieux ne plus voir. Une idée exprimée dans un langage graphique qui rappelle la BD.
Various ways of avoiding visual contact with the outside world using yellow isolating tape (1998) – Les personnages du Belge Michaël Borremans (1963) semblent être à la fois à l’intérieur et hors du monde. Avec ce tableau, utilisé pour l’affiche de l’exposition, le monde extérieur est clairement mis à distance, comme une menace qu’il vaut mieux ne plus voir. Une idée exprimée dans un langage graphique qui rappelle la BD.© michaël borremans

C’était perturbant. Ils pensaient en réseau, en faisant en permanence des liens, et non horizontalement comme chez les générations précédentes.  » Pour un musée implanté sur le site d’un ancien hôpital psychiatrique, il y a comme une évidence à s’interroger sur les effets de ce tourbillon, et les parades imaginées pour y échapper, de la méditation aux camps de désintoxication pour accros aux jeux vidéo. Si au début du xixe siècle, les premiers asiles ont été construits à l’écart des villes, c’était déjà pour s’éloigner du trop-plein d’agitation, responsable à l’époque de maladies comme l’hystérie et la neurasthénie.

Solo-Sleep Module (2003) - Convoquant aussi bien la science, la nature et l'art, le Belge Cosco (Louis De Cordier) (1978) imagine des projets qui échappent à la frénésie ambiante, comme des sortes d'utopies pour le temps présent. A l'image de cette bibliothèque souterraine enfouie dans une montagne en Espagne, manière de protéger la connaissance de la volatilité numérique, ou de ce module cocon où se nicher pour s'extraire une heure, une nuit ou plus de l'agitation du monde.
Solo-Sleep Module (2003) – Convoquant aussi bien la science, la nature et l’art, le Belge Cosco (Louis De Cordier) (1978) imagine des projets qui échappent à la frénésie ambiante, comme des sortes d’utopies pour le temps présent. A l’image de cette bibliothèque souterraine enfouie dans une montagne en Espagne, manière de protéger la connaissance de la volatilité numérique, ou de ce module cocon où se nicher pour s’extraire une heure, une nuit ou plus de l’agitation du monde.© cosco

L’établissement gantois explore le sujet sous tous les angles : historique, culturel, artistique, psychiatrique. Se déployant sur quatre salles, dont deux envahies d’igloos de caisses où s’isoler, le parcours foisonnant navigue entre témoignages scientifiques d’époque (on parlait déjà d’agitation due à l’environnement chez les enfants dans les années… 1930), projets architecturaux (du collectif Bavo notamment) et un large éventail d’oeuvres d’art du xixe siècle à aujourd’hui, où se côtoient valeurs sûres (Keith Haring, Michaël Borremans…) et découvertes (notamment l’Allemand Michael Wolf et ses photos christiques de Japonais écrasés dans le métro).

Sans titre (1997-1998) - Le Français Marc Lamy (1939) dit être inspiré par des voix pendant qu'il dessine. A l'aide de mouvements rythmés et répétés, il entre dans une espèce de transe, qu'il décrit comme une forme d'hypnose. S'ajoute une mise à l'épreuve physique et mentale puisqu'il se force à terminer tout dessin commencé ! Les motifs décoratifs, où se mêlent formes végétales et visages, remplissent toute la feuille, créant une sensation d'oppression et d'envahissement.
Sans titre (1997-1998) – Le Français Marc Lamy (1939) dit être inspiré par des voix pendant qu’il dessine. A l’aide de mouvements rythmés et répétés, il entre dans une espèce de transe, qu’il décrit comme une forme d’hypnose. S’ajoute une mise à l’épreuve physique et mentale puisqu’il se force à terminer tout dessin commencé ! Les motifs décoratifs, où se mêlent formes végétales et visages, remplissent toute la feuille, créant une sensation d’oppression et d’envahissement.© marc lamy

Ce dispositif pluridisciplinaire élargit le regard en naviguant d’un bout à l’autre du spectre de l’intranquillité. Avec, en guise d’apothéose et de conclusion, l’installation vidéo magnétique de David Claerbout. Le film s’ouvre sur une vue d’un jardin japonais idyllique. Petit à petit, l’image dézoome et laisse voir une autre réalité : il ne s’agit que d’un détail d’un poster déchiré collé au mur d’un appartement, lequel se perd dans la façade lépreuse d’un immeuble d’une grande ville. Une sorte de chute inversée qui embrasse en un seul mouvement, lent et fascinant, notre humaine condition.

Sensations. Entre douleur et passion, au Museum Dr. Guislain, à Gand, jusqu’au 26 mai 2019. www.museumdrguislain.be.

Dots (1999) - Depuis les années 1950, l'artiste plasticienne japonaise Yayoi Kusama (1929) recouvre de manière obsessionnelle de petits pois des tableaux, des sculptures ou des pièces entières. Elle souffre d'horror vacui, la peur du vide. Depuis son enfance, elle est assaillie d'hallucinations dans lesquelles elle voit des pois partout. En 1973, elle se fait volontairement interner à Tokyo et c'est de cet hôpital psychiatrique qu'elle continue une oeuvre qui est la traduction esthétique de l'agitation qui l'habite.
Dots (1999) – Depuis les années 1950, l’artiste plasticienne japonaise Yayoi Kusama (1929) recouvre de manière obsessionnelle de petits pois des tableaux, des sculptures ou des pièces entières. Elle souffre d’horror vacui, la peur du vide. Depuis son enfance, elle est assaillie d’hallucinations dans lesquelles elle voit des pois partout. En 1973, elle se fait volontairement interner à Tokyo et c’est de cet hôpital psychiatrique qu’elle continue une oeuvre qui est la traduction esthétique de l’agitation qui l’habite.© yayoi kusama

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