Parce que davantage complotiste que d'autres, l'électeur d'extrême droite allemand aurait plus de risques de contracter le virus. © BELGAIMAGE

Covid en Allemagne: l’électeur d’extrême droite plus exposé au virus?

Nathalie Versieux Journaliste, correspondante en Allemagne

Le sud de l’ex-Allemagne de l’Est, particulièrement endeuillé par la pandémie, est aussi l’une des régions d’Allemagne où on a le plus voté pour l’extrême droite aux élections européennes de 2019. La corrélation est troublante et pourrait s’expliquer.

Les images ont choqué l’Allemagne: des cercueils empilés dans un camion, la moitié d’entre eux estampillés « Covid – risque de contagion », des crématoriums débordés, obligés de délocaliser une partie de leur travail vers le reste de la région, des entreprises de pompes funèbres contraintes de travailler en pauses 3 x 8… A Meissen, petite ville de Saxe connue pour sa porcelaine, on a compté 1 376 incinérations en décembre et plus de 1 600 en janvier derniers, soit deux fois plus que la normale. Les défunts sont âgés de 35 à plus de 80 ans. La Saxe et le Land voisin de Thuringe, dans le sud de l’ex-Allemagne de l’Est, se remettent lentement d’un second pic de pandémie particulièrement violent, avec des incidences allant jusqu’à plus de 500 nouveaux cas déclarés pour 100 000 habitants sur une semaine fin 2020-début 2021.

L’Alternative pour l’Allemagne nie largement l’existence du corona. C’est un cadeau pour le virus.

La carte sanitaire de l’Allemagne, allant du rose pâle au rouge foncé, prend des teintes bordeaux dans le sud-est de l’ex-RDA. Le taux d’incidence est particulièrement élevé dans ces districts que sociologues et politologues connaissent pour d’autres raisons: ils font partie de ceux qui ont le plus voté pour le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) aux dernières législatives de 2016 et aux élections européennes de 2019. Partout ailleurs dans le pays, à l’exception de Brême et de la Basse-Saxe, on retrouve la même corrélation: du bleu pâle sur la carte politique (le bleu est la couleur de l’AfD) coïncide avec du rose pâle sur la carte sanitaire. Au 24 janvier, les 20 circonscriptions les plus atteintes par la Covid comptaient plus de deux fois plus de cas pour 100 000 habitants que la moyenne nationale. Dans 17 de ces 20 circonscriptions, l’AfD a obtenu aux élections européennes de 2019 des scores nettement supérieurs aux 11% obtenus par le parti au niveau national. La ville de Bautzen (32,1% de votes AfD aux européennes) est le principal hot-spot corona de Saxe. La circonscription de Burgendland (25,6% de vote AfD en 2019) est aujourd’hui la plus touchée du pays par la Covid, suivie de près par Hildburghausen (24,2% pour l’AfD en 2019).

En Saxe et en Thuringe, on rejette catégoriquement le parallèle entre crise sanitaire et comportement électoral. On évoque la proximité de la République tchèque, très touchée par le virus, les nombreux transfrontaliers se déplaçant entre les deux pays, la démographie vieillissante de ces régions désertées par une partie de leur jeunesse à la chute du Mur.

A gauche, la carte de la propagation de la Covid en Allemagne (plus le rouge est prononcé, plus le taux de contamination est élevé). A droite, le vote pour l'AfD aux élections législatives de 2017 (plus le bleu est prononcé, plus le résultat est important).
A gauche, la carte de la propagation de la Covid en Allemagne (plus le rouge est prononcé, plus le taux de contamination est élevé). A droite, le vote pour l’AfD aux élections législatives de 2017 (plus le bleu est prononcé, plus le résultat est important).© DER SPIEGEL / TAGESSPIEGEL INNOVATION LAB

Rejet des mesures sanitaires

Alexander Yendell, sociologue à l’université de Leipzig, n’est pourtant pas surpris par la corrélation. « Je tiens d’abord à rappeler qu’une corrélation n’est pas une causalité, insiste le chercheur. Mais on sait d’après les sondages que les électeurs de l’AfD rejettent les mesures sanitaires, on sait que les Querdenker – « ceux qui pensent autrement », en fait des sympathisants des théories du complot – sont souvent des électeurs de l’AfD, et que ce groupe d’électeurs, avec un penchant pour l’autoritarisme, est en général hostile à la science et aux scientifiques. On sait également que les sympathisants de l’AfD sont moins éduqués que ceux des autres partis, qu’ils sont plus souvent narcissiques, moins ouverts à d’autres opinions et à d’autres perspectives… Même si ce n’est pas la seule raison qui explique le développement de la pandémie, le comportement des individus et le respect des règles sanitaires jouent un rôle très important dans la propagation de l’épidémie. » Or, tant les élus du parti dans les parlements régionaux que les sympathisants dans les manifestations organisées contre les mesures sanitaires s’illustrent depuis des mois par leur rejet du port du masque ou du respect des règles de distanciation sociale.

Selon une étude de l’université de Leipzig, 68% des électeurs de l’AfD sont d’accord avec l’affirmation que « la crise de la Covid est exagérée pour permettre à une poignée de gens d’en profiter. » 65% des abstentionnistes sont du même avis, contre 37% seulement des sympathisants de la CDU, 32% des adeptes du SPD et 21,4% des électeurs des Verts. « Le corona c’est fini, et il ne reviendra pas! » assurait en août dernier Björn Höcke, l’une des figures les plus contestées du parti d’extrême droite. « L’AfD nie largement l’existence du corona. Et lorsque ses sympathisants se comportent en conséquence, c’est un cadeau pour le virus », résume l’attaché du gouvernement pour l’Allemagne de l’Est, Marco Wanderwitz (CDU).

Pas de progression dans les sondages

L’AfD, paradoxalement, ne semble guère profiter de la crise sanitaire, à la différence de ce qui s’était passé en 2015 avec la crise migratoire et l’arrivée de près d’un million de réfugiés syriens, irakiens et afghans par la route des Balkans. La pandémie ne sert pas d’accélérateur à l’extrême droite dans les sondages. Le parti stagne à 10% des intentions de vote depuis des mois, soit nettement moins que les 25 à 30% atteints au plus fort de la crise migratoire. « Nous constatons qu’avec la crise sanitaire, le nombre global de ceux qui croient aux théories du complot est en recul, même s’il augmente chez les sympathisants de l’extrême droite, précise Johan Roose, auteur d’une étude sur les théories du complot au sein de la fondation Konrad Adenauer, proche de la CDU. Il est possible qu’avec la crise, les gens cherchent des acteurs politiques en qui ils peuvent avoir confiance. Il semblerait que ceux qui expriment leur contestation en votant pour l’extrême droite se détournent du parti dans la crise sanitaire. »

« Beaucoup de sympathisants de l’Alternative pour l’Allemagne sont aussi des personnes à risque, rappelle Alexander Yendell. Sur le dossier sanitaire, l’AfD ne peut marquer des points, car elle n’a aucune compétence reconnue dans ce domaine. »

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