Nagorny Karabakh en 1992 © Getty

Conflit ravivé dans le Caucase du Sud

L’offensive de l’Azerbaïdjan pour récupérer le Haut-Karabakh, territoire occupé par l’Arménie, est envenimée par l’implication de la Turquie. Mais la Russie est prête à défendre ses intérêts.

La Covid-19 a peut-être sauvé la vie d’Artyom. Inscrit en internat au lycée Anatole France d’Erevan, l’adolescent de 16 ans a pris l’habitude de revenir chaque week-end chez lui, à Stepanakert, au Haut-Karabakh. Mais à la fin du mois de septembre, alors qu’il attendait les résultats de son test Covid pour partir, les combats entre belligérants azerbaïdjanais et arméniens ont repris. « Mon père s’est rendu à Stepanakert pour aider l’armée comme il peut », précise Artyom, au téléphone et en français. « Il est en sécurité parce qu’il y a beaucoup d’abris dans les maisons: dès qu’un bombardement approche, les sirènes retentissent et les gens descendent s’y réfugier. Ils ne sortent que pour les urgences: on ne sait pas à quoi s’attendre avec les Azéris. » Mais le jeune homme se veut toutefois confiant: « On a gagné chacune des guerres contre l’Azerbaïdjan. Aujourd’hui, on est encore mieux préparés et les chiffres parlent déjà d’eux-mêmes. »

La résolution du conflit passe par Moscou, pas par Ankara.

Indépendances et première guerre

Ces chiffres, les autorités impliquées semblent les gonfler. Quelques jours après la reprise des affrontements, l’Arménie annonçait la mort de 1.280 soldats ennemis, quand l’Azerbaïdjan assurait avoir tué au moins 1.900 militaires adverses. La réalité se situe probablement plus près des 240 soldats et civils décédés depuis le 27 septembre, même si Bakou ne communique pas sur ses pertes militaires. Les deux camps ont instauré la loi martiale autorisant le recours à la force et les attaques se répètent pour la deuxième semaine consécutive. Le matin du dimanche 4 octobre, Stepanakert a été la cible de tirs d’artillerie lourde qui ont privé la ville d’électricité. L’armée arménienne aurait détruit un aéroport militaire, à Gandja, la deuxième ville d’Azerbaïdjan.

Le conflit pour le Haut-Karabakh prend sa source au début du XXe siècle, lorsque Staline décide de rattacher cette province majoritairement peuplée d’Arméniens à la république socialiste soviétique d’Azerbaïdjan. Après le démantèlement de l’URSS, Arménie et Azerbaïdjan deviennent indépendants en 1991, mais le Haut-Karabakh reste à quai face à la communauté internationale qui ne reconnaît pas sa déclaration d’autonomie. Débute alors un conflit armé de trois ans qui fera 30.000 victimes. En 1994, un cessez-le-feu est conclu sous la médiation de trois pays, les Etats-Unis, la France et la Russie, qui forment le Groupe de Minsk. Depuis, l’armée arménienne occupe ce territoire de 150.000 habitants ainsi que l’ensemble des terres situées entre celui-ci et l’Azerbaïdjan.

Conflit ravivé dans le Caucase du Sud

Des heurts éclatent régulièrement à proximité de la frontière et ressemblent par endroits à une vraie bataille de tranchées. En temps « normal », sur la ligne de front, on déplore la mort d’un militaire par mois en moyenne. Mais il arrive que la situation s’aggrave, comme en 2016 lors de la « guerre des quatre jours », qui coûta la vie à 350 personnes dans les deux camps.

L’omniprésente Russie

Au début de cet automne, après plusieurs escarmouches pendant l’été, les affrontements se sont intensifiés. Certains experts évoquent la situation difficile de l’Azerbaïdjan, où la Covid et la baisse des prix pétroliers pèsent sur l’économie, pour justifier cette reprise de la violence. « Ce qui change par rapport à 2016, c’est le soutien à l’Azerbaïdjan marqué publiquement par la Turquie« , analyse Tanguy de Wilde, professeur en géopolitique à l’UCLouvain. « Son animosité envers l’Arménie était connue, mais le fait de prendre parti dans un conflit plus local est relativement neuf. » La politique étrangère « zéro problème » d’Ankara semble bel et bien appartenir au passé, au profit d’une influence grandissante dans une vaste zone d’Eurasie. « Cette affirmation turque ressemble à celle qu’un sultan aurait pu adopter à l’époque ottomane », compare Tanguy de Wilde. « Pourtant, au-delà du prestige, on ne voit pas très bien ce que la Turquie peut y gagner. » Surtout qu’Ankara marche sur les plates-bandes de Moscou.

Depuis plus de trente ans, la Russie cultive une politique du statu quo pour être en permanence le faiseur de rois. Elle apporte certes un soutien plus marqué à l’Arménie où elle a installé une base et avec laquelle elle a signé un accord militaire, mais elle fournit également des armes à Bakou. Maintenir ces deux Etats en dépendance permet à Moscou de conserver son influence dans le Caucase du Sud. Comment la Russie va-t-elle réagir à cette ingérence turque?« Depuis quelques années, Russes et Turcs sont les ‘meilleurs ennemis' », commente Tanguy de Wilde. « Ils sont capables de se parler sans faire monter l’animosité au point extrême. Ça a commencé en Syrie où la Turquie a abattu un avion russe avant, directement, que les négociations démarrent. Poutine et Erdogan sont deux réalistes, ils peuvent donc relativement facilement négocier entre eux en fixant en quelque sorte les limites: « Jusqu’ici mais pas plus loin ». »

Pour l’heure, les discussions sont au point mort. Le Groupe de Minsk invite à un cessez-le-feu. Le président français Emmanuel Macron accuse les Turcs d’avoir embauché, au bénéfice des Azéris, des mercenaires syriens proturcs au pedigree inconnu. Soutien historique de l’Arménie, la France ne peut toutefois pas se permettre de reconnaître des territoires conquis par la force, sans négociations. Les implications ne s’arrêtent pas là puisque deux autres puissances ont une influence potentielle dans le conflit. Israël, qui a signé un contrat de 5 milliards de dollars avec Bakou il y a quelques années et qui est le premier fournisseur d’armes de l’Azerbaïdjan, selon le Stockholm International Peace Research Institute (Sipri), et l’Iran, avec qui Erevan entretient d’assez bonnes relations et qui pourrait chercher à se réinvestir dans le Caucase du Sud. « Les petites conquêtes de terrain et les trophées de morts ne feront pas avancer un dénouement », estime Tanguy de Wilde. « Les dirigeants azéris sont assez intelligents pour savoir que seule une solution de compromis est possible et je reste persuadé qu’elle ne passe pas par Ankara, mais par Moscou. » En attendant, le conflit continue. Comme tous les jeunes artzakhiens (1) de son âge, Artyom a déjà reçu une formation militaire. Il est capable de fabriquer et de manier une arme et, une fois qu’il sera majeur, il devra effectuer un service militaire de deux ans. Il se dit prêt à défendre son « pays ».

(1) De Artsakh, le nom arménien du Haut-Karabakh.

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