© iStock

Comment une guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine peut atteindre le monde entier

Frank Vandecaveye
Frank Vandecaveye Journaliste free-lance

Ce mois-ci, Ivanka Trump et son époux Jared Kushner devaient se rendre à Pékin sur invitation de l’État chinois. Mais en raison des tensions entre la Chine et les États-Unis, la visite a été annulée en dernière minute.

En avril, Trump a rencontré le président chinois Xi Jinping en Floride, et les leaders avaient convenu d’une série de négociations en vue de diminuer le déficit commercial des États-Unis vis-à-vis de la Chine et de stimuler les exportations américaines vers la Chine. Conformément à sa campagne America First, Trump est en effet persuadé de pouvoir ramener des jobs aux États-Unis en renégociant les traités de libre-échange avec des pays vis-à-vis desquels les États-Unis présentent un déficit commercial marqué. Ceux-ci incluent le traité Alena avec le Mexique et le Canada et l’US-Korea Free Trade Agreement (Korus) avec la Corée du Sud.

Dans le cadre de cette nouvelle Trade Doctrine, Trump s’est également retiré du Partenariat Trans-Pacifique. Celui-ci groupait une série de pays autour du Pacifique tels que l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Singapour et la Malaisie, qui avaient déjà conclu des traités de libre-échange entre eux. La Chine n’en fait pas partie. Pour Bruno Merlevede, professeur en économie internationale à l’Université de Gand et une série d’autres experts il s’agit d’une gaffe stratégique, car Trump a manqué l’opportunité de former un bloc économique autour de l’Océan Pacifique sans la Chine et de lui imposer de strictes conditions si elle souhaite les rejoindre. À présent, la Chine est libre de conclure des traités économiques dans toute cette région orientale du Pacifique.

Protectionnisme américain en pratique

Entre-temps, les cent jours de négociations bilatérales du « Comprehensive Economic Dialogue » sino-américain sont passés et n’ont pratiquement rien apporté. Les États-Unis et la Chine ne sont même pas d’accord sur l’ampleur du déficit commercial. Trump prétend qu’il s’élève à 347 milliards de dollars par an, mais la Chine affirme que 40% concernent des exportations vers les États-Unis d’entreprises américaines installées en Chine. D’après Bruno Merlevede, la politique médiatisée de Trump l’incite à proposer rapidement des résultats trop concrets. Il faut dire qu’il se fait conseiller par une paire de vautours : le milliardaire et ministre du Commerce Wilbur Ross et le chef de l’International Trade Council de la Maison-Blanche, Peter Navarro, un critique acharné de la Chine et inventeur des recettes très contestées de la Trump Trade Doctrine. C’est à lui qu’on doit les idées de la campagne de Trump d’imposer des taxes de respectivement 35% et 45% sur les importations mexicaines et chinoises afin de protéger l’industrie américaine et les emplois.

Donald Trump et Xi Jinping

D’après Bruno Merlevede, les recettes agitées par Trump datent de l’époque où l’on imposait des tarifs pour le transport de biens : « Aujourd’hui, la production de tous ces biens est répartie dans le monde entier, parce que les coûts de coordination ont baissé grâce à internet. Pour l’état, il est très complexe de tirer au clair pour quels composants ou pièces du produit il faut réclamer un tarif. Du coup, les prélèvements ne sont pas réalistes. » Pour donner une idée : l’iPhone américain d’Apple emploie 748 sous-traitants dont 600 se trouvent en Asie et 41 en Europe et l’assemblage a lieu à Shenzhen en Chine. « Pour diminuer un peu le déficit commercial, il faudrait idéalement que se développe une classe moyenne chinoise qui consomme plus de produits américains. Mais les Chinois épargnent beaucoup, alors que les Américains consomment beaucoup et épargnent peu. »

Transgressions règles du commerce mondial

Depuis que les négociations avec Pékin sont dans une impasse, Trump s’impatiente et adopte un ton plus agressif, notamment au niveau des pratiques commerciales de la Chine qui sont contraires aux règles de l’Organisation mondiale du commerce, dont la Chine est membre depuis 2001. Le négociateur chevronné et représentant de commerce Robert Lighthizer a accusé la Chine de lâcher sa surproduction d’acier et d’aluminium sur le marché mondial après l’avoir subventionné pour le marché interne. Par ailleurs, Lightizer doit également enquêter sur le vol chinois de propriété intellectuelle.

Cependant, les procédures à l’OMC sont compliquées et traînent parfois pendant des années. C’est pourquoi Trump a ressorti le Trade Act de 1974, section 301 qui lui permet d’intervenir unilatéralement et beaucoup plus visiblement contre « les pratiques commerciales illégales étrangères qui font du tort au commerce américain ».

Les États-Unis surveillent également si la Chine respecte les dernières sanctions économiques du Conseil de Sécurité des Nations-Unies contre la Corée du Nord. Depuis l’essai nucléaire début septembre, les roulements de mécaniques entre les États-Unis et la Corée du Nord n’ont fait qu’augmenter et les négociations semblent plus éloignées que jamais. Entre-temps, les États-Unis poussent la Chine dans le rôle du seul pays encore capable de mettre la pression sur Kim Jong Un. Cependant, les relations entre Xi Jinping et Kim Jong Un sont loin d’être au beau fixe et la dernière chose que veut Xi, c’est probablement un effondrement du régime nord-coréen.

Trump est tellement obsédé par le déficit commercial américain qu’il a remis la renégociation du US-Korea Free Trade Agreement (Korus) sur l’agenda à un moment particulièrement mal choisi. L’idée, qui émanait de son ex-conseiller Steve Bannon, a été démontée par son gendre Jared Kushner, son conseiller en sécurité Herbert McMaster et le président du Conseil économique national Gary Cohn. Pour eux, la formation d’un front militaire avec la Corée du Sud contre la Corée du Nord avait la priorité la plus élevée dans le conflit actuel. Steve Bannon, redevenu président exécutif de Breitbart News, a déclaré lors de son départ de la Maison-Blanche que les États-Unis devaient redresser les déséquilibres dans le commerce avec la Chine et ne pas craindre une guerre commerciale avec la Chine s’il souhaite éviter que son pays soit économiquement éclipsé par la Chine. Finalement, il a dû définitivement s’écraser pour le trio plus modéré formé par Kushner, Cohn et Mc Master.

Xi Jinping rétablit l’autorité du parti

Il y a une tout autre raison qui explique pourquoi une percée dans les négociations sino-américaines n’est pas pour demain. Xi Jinping, l’incontestable numéro un, souhaite être réélu secrétaire général du parti communiste au congrès du parti qui commence le 18 octobre. Aussi ne faut-il pas attendre beaucoup de concessions aux États-Unis de sa part. Elles pourraient effectivement être interprétées comme un signe de faiblesse.

En mars 2018, le parlement doit formellement le renommer président. En Chine, Xi a renforcé sa position et l’autorité de son parti par une campagne anti-corruption inédite au sein du parti, de l’armée et des entreprises d’État. L’enquête sur la corruption a été menée d’une main de fer par son bras droit et étoile montante Wang Qishan, qui a envoyé 150 personnages hauts placés derrière les barreaux.

Fin de l’année passée, Xi Jinping a également démarré une campagne contre la furie de reprises étrangères de magnats qui rachetaient des hôtels, des parcs d’attractions, des équipes de football, des sociétés de paris et de cinéma et même des participations dans des banques avec des milliards empruntés aux banques d’État chinoises. Le milliardaire Guo Gangchang du groupe technologique et chimique Fosun et le directeur Wu Xiaohui de l’assureur Anbang ont été arrêtés et emprisonnés. Wang Jianlin du groupe immobilier Dalian Wanda a remis ses plans pour des parcs d’attractions dans le monde entier au placard.

Bruno Merlevede y voit une tentative de faire cesser les flux de capitaux vers l’étranger, qui ont atteint un record en 2016 après la dévaluation du Yuan en 2015. Mais pour Merlevede, Xi se préoccupe de l’image de fiabilité du modèle capitaliste d’état. Il s’en prend ainsi au groupe croissant de nouveaux riches qui partent à la chasse de bonnes affaires à l’étranger. Les riches qui ont l’intention de financer les rivaux politiques du parti communiste sont également mis en garde.

Xi, le défenseur du libre-échange et du globalisme

Xi indique clairement où les investissements étrangers ont du sens, c’est-à-dire dans le projet d’infrastructure ‘One Belt, One Road’ qui doit permettre Pékin de relier l’Est à l’Ouest. Les grandes banques chinoises sont en train d’acquérir des fonds pour ce fleuron qui doit construire des chemins de fer en Europe et des ports le long des côtes de l’Océan indien et de la Méditerranée. Non seulement la Chine prête de l’argent à ces pays situés le long de la « Nouvelle Route de la Soie » en Asie centrale et en Europe de l’Est pour financer les projets, mais elle les réalise aussi en grande partie elle-même.

Elle booste également son économie en développant de nouveaux marchés censés absorber la surcapacité de ses propres entreprises de construction et les excédents de sa production d’aluminium et d’acier. Cette année, elle a investi 33 milliards de dollars. En même temps, c’est une main tendue vers l’Union européenne pour coopérer davantage à l’aide d’accords de libre-échange, à présent qu’avec sa politique America First, Trump pense surtout à sa base électorale.

Sur la scène mondiale, le capitaliste d’état Xi s’érige en défenseur du libre-échange et des marchés ouverts. Au sommet du G20 qui s’est tenu début juillet à Hambourg il s’est livré aux côtés d’Angela Merkel à un plaidoyer chaleureux en faveur de la prospérité et du progrès dans le monde. Le contraste avec le premier discours de Trump sur le sol européen la veille était grand. Trump défendait la protection des valeurs occidentales et la protection des frontières « par respect pour ses citoyens ». Il l’a fait à Varsovie, où il a trouvé un partisan dans le nationalisme et la politique anti-immigration du gouvernement polonais PIS.

Après ses entretiens avec Trump et son entourage, Merkel a rapidement conclu que l’Europe devait prendre son sort entre ses mains. L’Europe doit-elle s’attendre à une même offensive américaine contre les traités commerciaux existants que la Chine, la Corée et le Mexique ? Le ministre du Commerce Wilbur Ross a donné un avant-goût dans le Wall Street Journal. Ce ne sont pas les États-Unis qui sont protectionnistes, dit-il, mais l’Europe, car elle subventionne ses champions d’exportation et elle protège son marché contre les importations.

Pourquoi la stabilité est si importante pour la Chine et le monde ?

En Chine, Xi Jinping est bien parti pour atteindre l’objectif de croissance à long terme qu’il avait fixé : un redoublement du PIB en 2020 par rapport à 2010, écrit le Fonds monétaire international dans son dernier rapport sur la Chine. Mais selon le FMI, cela se fait aux dépens d’un risque énorme, à savoir une croissance de crédit beaucoup trop impétueuse. Les entreprises et les particuliers empruntent beaucoup trop. La croissance est importante pour booster la prospérité et garder la population satisfaite, mais une grande partie de cette croissance est réalisée avec de l’argent emprunté.

Tous ces emprunts ont entraîné un taux d’endettement de pas moins de 235% du PIB chinois. En 2017, Xi a décrété que la baisse de la montagne de dettes était une priorité absolue. Selon Bruno Merlevede, beaucoup de dettes ont été faites par les gouvernements locaux qui concourraient pour développer leur région un maximum, avec des villes-fantômes et d’autres symptômes du début d’une crise immobilière en conséquence.

Une grande partie de ces dettes sont couvertes par la quantité gigantesque d’épargne placée par les Chinois, mais si ce capital quitte le pays, il y aura vraiment un problème, affirme Merlevede. Aussi l’organe de contrôle du Foreign Exchange chinois demande-t-il plus d’informations aux Chinois qui veulent échanger leur yuan contre d’autres monnaies afin de lutter contre les transferts à l’étranger. Les Chinois qui transgressent ces nouvelles règles se retrouvent sur une liste noire. Et les mesures n’ont pas raté leur effet, car la fuite de capitaux a baissé. Selon les estimations de Goldman Sachs, plus de 1000 milliards de dollars ont quitté le pays en 2016.

Jusqu’à présent, le nouveau taux commercial de Trump n’a pas rapporté grand-chose, et il s’en est tenu à quelques menaces à l’égard du fan-club des spectateurs de Fox News. Le Congrès, le Sénat et les groupes de lobby américains ont réussi à neutraliser à temps ses initiatives. Pour l’instant, le bon sens des modérés de son entourage ne semble pas l’emporter, mais beaucoup voient un signal négatif dans l’annulation de la visite du duo modéré Ivanka Trump et Kushner.

La Chine est bien partie pour devenir un acteur économique et monétaire acceptable. Récemment, elle a engagé presque un quart de ses réserves gigantesques étrangères pour freiner la dépréciation du yuan. Elle a réussi, car cette année le yuan a augmenté de 6,9%, même si l’affaiblissement du dollar joue également un rôle. C’est la meilleure preuve contre l’allégation de Trump que la Chine manipule le cours de sa monnaie pour exporter plus, déclare Bruno Merlevede. La Chine réalise aussi qu’en cas de guerre commerciale, son économie est vulnérable. Pas moins de 3,1% du PIB chinois gigantesque de 11 200 milliards de dollars est exposé au commerce avec les États-Unis, a calculé le think tank The Conference Board. Cependant, elle ne manquera pas de prendre des mesures de représailles si Trump choisit la ligne dure.

Et comme le révèle l’analyse du réputé Peterson Institute for international Economics, une guerre commerciale entraînerait un ralentissement de croissance mondial et une perte de jobs massive. Des chocs dans la deuxième économie mondiale entraîneront inévitablement des effets secondaires pour l’économie mondiale. Trump ferait bien de réfléchir à deux fois avant d’envisager de faire mal à la Chine. Indirectement il atteint le monde entier.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire