Un an à peine après avoir créé son mouvement En marche !, Emmanuel Macron est aux portes de l'Elysée. © P. Wojazer/Reuters

Comment Macron a gagné (son pari)

Le Vif

En quelques mois, l’inconnu de la politique française a créé un mouvement et fracassé les règles de l’élection reine pour s’afficher au second tour où il affrontera Marine Le Pen. Un duel entre front républicain et Front national.

Le 6 avril 2017, En marche !, le mouvement lancé par Emmanuel Macron, fête son premier anniversaire. A 11 h 11, Christophe Castaner, soutien de la première heure, reçoit un texto et sourit de plaisir.  » Vous allez gagner, je vais voter pour ton patron.  » L’auteur de ces lignes est un homme de droite, Renaud Muselier, vice-président (Les Républicains) du conseil régional de Provence -Alpes-Côte d’Azur. Castaner est député PS des Alpes-de-Haute-Provence, en congé de son parti pour faire la campagne d’Emmanuel Macron. D’ici au 7 mai et la finale Macron – Le Pen, ils seront nombreux à envoyer ce genre de message. Même si l’attentat des Champs-Elysées, le 20 avril, a rappelé le poids écrasant de la responsabilité présidentielle face à l’horreur, le jeune novice, 39 ans, jamais élu, part favori du second tour.

Une campagne, ça commence parfois par une rupture. Longtemps, ses adversaires comme ses partisans le soupçonnent de rouler en secret pour François Hollande. L’ambitieux est pourtant persuadé que le chef de l’Etat ne pourra pas se présenter. Et s’active à l’en empêcher. En marche ! est d’abord une machine anti-Hollande. Confidence d’un proche durant ce printemps 2016 :  » Si nous avons 200 000 membres d’ici à la fin de l’année (240 000 aujourd’hui), alors la prophétie de Gérard Collomb se réalisera.  » Le 18 mai, le très macroniste maire de Lyon déclarait que si Hollande stagnait à 14 ou 15 % dans les sondages en décembre, Macron serait le candidat de la gauche. Certains n’ont pas attendu pour alerter le président. Michel Sapin en fait partie. Le ministre français des Finances n’apprécie guère le ministre de l’Economie, son voisin de Bercy, envahissant et bruyant. Dès l’été 2015, il prévient son ami François :  » Avec Macron, tu penses que tu vas ajouter une dent à ton râteau, mais tu vas te prendre le râteau dans le nez.  »

L’idée de créer un mouvement naît un peu plus tard, une après-midi de la fin octobre 2015, dans le bureau d’Emmanuel Macron, au ministère de l’Economie. Autour de lui, ils sont quatre : deux membres de son cabinet, Ismaël Emelien et Julien Denormandie ; et deux recrues extérieures, Adrien Taquet (agence Jésus et Gabriel) et Benjamin Griveaux (alors chez Unibail Rodamco, groupe européen d’immobilier commercial). Macron dit :  » J’ai envie de faire quelque chose.  » Les conjurés signent un pacte de mutisme. Et le respectent.

Une campagne, ça ressemble parfois à un vaudeville. A quelques semaines du lancement officiel d’En marche !, une réunion a lieu dans l’appartement de Macron au ministère de l’Economie : Ismaël Emelien présente le futur logo du mouvement. Un secret stratégique, bien sûr. Brigitte Macron range soigneusement la maquette dans un placard… Quelques jours plus tard, François Hollande, accompagné de Julie Gayet, rend visite à l’improviste à Emmanuel Macron. Celui-ci a bien prévenu le chef de l’Etat qu’il prépare une initiative, sans lui donner plus de détails. Ce jour-là, à Bercy, François Hollande, curieux, ouvre le placard fatal… Heureusement, le logo est à l’envers, face contre le mur, et l’invité sans gêne ne remarque rien. Ah si, il repère l’impeccable classement des cravates du jeune ministre, par dégradés de couleur.  » On devrait faire pareil « , dit-il à Julie Gayet.

Le soir du premier tour, Emmanuel Macron se voit déjà président : une erreur dans sa communication.
Le soir du premier tour, Emmanuel Macron se voit déjà président : une erreur dans sa communication.© D. Meyer / H. Lucas / AFP

Début avril 2016, François Hollande est prévenu que le lancement du mouvement aura lieu quelques jours plus tard. Il trouve bien qu' » Emmanuel  » fasse de la politique. Il ne pense pas une seconde que le novice puisse être candidat contre lui. Ses soutiens, eux, l’espèrent. Un député PS le rencontre au ministère de l’Economie :  » Emmanuel me parle d’une « offre politique nouvelle », pas de présidentielle, mais c’est bien de cela dont il s’agit. Je lui demande s’il fait un one shot (une offre unique). Il me répond : « Durable ».  »

Une campagne, ça sent parfois mauvais. Le 31 mai 2016, Le Canard enchaîné divulgue que Macron va devoir payer l’impôt sur la fortune (ISF), notamment parce que la maison de sa femme a été sous-évaluée. Emmanuel Macron est persuadé que c’est Michel Sapin qui a informé l’hebdomadaire.

Toi tu as signé un CDI avec la providence », lui dit Alain Minc

Cet épisode nuit-il au quasi-candidat ? Des sondages secrets réalisés pour En marche ! affirment le contraire. Idem pour la confrontation entre Macron et un gréviste anti-loi de réforme du Code du travail, le 27 mai, à Lunel :  » Le meilleur moyen de se payer un costard, c’est de travailler « , ose celui qui est encore ministre. Les mêmes études montrent que, en revanche, l’image du banquier d’affaires colle à la peau du président d’En marche !

Le 12 juillet 2016, premier meeting, à la Mutualité, à Paris. Emmanuel Macron éparpille le bilan du quinquennat façon puzzle. Christophe Castaner, persuadé que le chef de l’Etat va le congédier, lui envoie un texto :  » On vient aider Brigitte à faire les cartons.  » Hollande ne bouge pas.  » Il ne veut pas virer Macron, il veut qu’il démissionne « , affirme un proche du président. Pas si facile. Le lundi 29 août, Macron rencontre le président. Il ne lui parle pas de sa démission. Le lendemain, il lui envoie un texto de rupture :  » Je vais venir te voir pour te présenter ma démission.  » Comme dans une histoire d’amour qui finit mal…

Le 1er septembre, Emmanuel Macron et François Fillon visitent la foire de Châlons-en-Champagne, dans le nord-est de la France. Quelque 70 journalistes suivent le premier ; ils sont deux à s’intéresser au candidat à la primaire de la droite. Macron déroule son calendrier. Octobre, c’est la saison des meetings. Strasbourg (le 4), Le Mans (le 11), Montpellier (le 18). A Strasbourg, le candidat veut parler éthique et morale publique.  » Nous, on l’incitait à centrer sur le pouvoir d’achat. Il tient bon et il a eu raison vu la manière dont le sujet s’est invité dans la campagne « , dit un membre de l’équipe. Mais le discours est jugé un peu tiède, sans arêtes. A 14 heures, l’obligation d’un casier judiciaire vierge pour toute fonction ministérielle ou élective est rajoutée. En deux heures, les conseillers techniques bouclent la mesure.

Foule sentimentale et européenne

Après la défaite d’Alain Juppé à la primaire de la droite (27 novembre), un ami lui fait remarquer :  » Si Juppé avait gagné la primaire, t’étais mort.  » Lui :  » J’aurais battu Juppé.  » A ceux qui hiérarchisent la dangerosité de ses adversaires, à ceux qui lui conseillent d’attendre 2022, Macron oppose l’invariable réponse :  » Tu me décris le monde d’hier, le système est mort, l’espace, c’est maintenant.  »

L’espace s’ouvre une fois encore le 1er décembre, quand François Hollande renonce à se présenter.  » Toi, tu as signé un CDI avec la providence « , lui dit Alain Minc. L’homme d’affaires et essayiste sert parfois de  » tonton grincheux  » au jeune homme.  » Emmanuel aurait assumé de se présenter contre le président, mais c’eût été douloureux « , dit l’un de ses soutiens.

Le 10 décembre, grand meeting à Paris ; 15 000 personnes y assistent (chiffre des organisateurs). Pour que les provinciaux soient assurés d’avoir une place, on leur a indiqué une heure d’arrivée précoce : 13 h 30 versus 14 h 30 pour les Parisiens. Des gamins de moins de 18 ans présentent une autorisation écrite de leurs parents à l’entrée. La foule est sentimentale et européenne, l’idole se brise la voix à force de déclarations d’amour. Il termine les bras en croix, empathique, christique, mystique.

La saison des étrennes se termine et le candidat reçoit un nouveau cadeau : Benoît Hamon remporte la primaire socialiste le 29 janvier, un adversaire a priori plus facile que Manuel Valls. Il devient malaisé de prédire que la bulle Macron va exploser : désormais, les sondages le donnent présent au second tour. Avec la cruauté de ceux qui s’y voient déjà, les partisans de Macron se régalent des malheurs du PS :  » Les partis ont le droit de mourir dans la dignité « , disent-ils.

Ils en oublient  » l’accident de ski du troisième jour « . Une théorie de Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre de Jacques Chirac, pour mettre en garde contre cette insoutenable confiance qui vous monte à la tête quand tout va bien. Pour Macron, l’événement survient en Algérie. Sur la chaîne de télé algérienne Echorouk News, le candidat qualifie la colonisation de  » crime contre l’humanité « . Sa première grave erreur. Les réactions sont violentes, chez les associations de rapatriés, à droite, dans l’opinion.

A son retour d’Algérie, Emmanuel Macron a un rendez-vous crucial. Avec François Bayrou, celui qui, s’il se présente à l’élection, peut empêcher sa qualification au second tour. Les deux hommes se rencontrent le jeudi 16 février. Bayrou traverse la rue Clerc, dans le viie arrondissement parisien, où il réside, et se rend, juste en face, au domicile des Macron, pour un petit déjeuner. En trois quarts d’heure, tous les sujets sont abordés – Hollande, Fillon, Hamon -, sauf l’essentiel : la décision de Bayrou. Il est convenu que ce dernier doit rappeler. Le 22 février, Macron rentre en train de Londres à Paris. La veille, il a été reçu par Theresa May, la Première ministre britannique. A 11 heures, coup de fil de François Bayrou.  » Je vous soutiens « , annonce-t-il. La seule exigence est sémantique : il veut l’usage du mot  » alliance « , preuve que le Modem ne se dissout pas dans En marche ! Les députés iront à la bataille des législatives avec les deux étiquettes. Pourtant, Macron avait refusé tout accord d’appareil. Mais la France vaut bien cette messe…

Le 17 avril, le meeting parisien offre au candidat l'occasion de galvaniser une derniere fois ses troupes avant le premier tour.
Le 17 avril, le meeting parisien offre au candidat l’occasion de galvaniser une derniere fois ses troupes avant le premier tour.© G. VAN DER HASSELT / AFP

Faut-il cogner ?

L’après-midi du même jour, François Bayrou fait sa déclaration publique. Ils sont une demi-douzaine, au sixième étage du siège d’En marche !, à l’écouter, autour d’Emmanuel Macron. Assis à son bureau, celui-ci prend des notes. Pas un mot dans la pièce. A la fin du discours, il se lève, se plante près de l’écran de télévision et commente les propos de son futur allié. Puis se rassoit et rédige le communiqué qu’il dictera à l’AFP. Un journaliste fait état de cris de joie au QG. Ils viennent du troisième étage, celui des petites mains, heureuses de la disparition d’un concurrent. Macron n’apprécie pas ces démonstrations.

Désormais, la terre est plate devant lui… Le candidat a deux mois pour convaincre que lui, 39 ans, jamais élu, peut diriger la France. Le débat du 20 mars (TF 1) l’oppose aux autres principaux candidats. Avant le début de l’émission, il croise Jean-Luc Mélenchon dans l’escalier du studio. L' » insoumis  » va pour l’ignorer, mais Macron s’arrête pour le saluer. Mélenchon est sensible à la politesse. Le courant passe, cela se sentira à l’écran. Après l’exercice, le candidat d’En marche ! demande l’avis d’un proche :  » Bof… Repose-toi, on verra demain.  » Si Macron n’aime pas les critiques, il ne les ignore pas forcément. Le lendemain, son épouse, Brigitte, demande à l’auteur du  » bof  » :  » Tu pensais à quoi, hier, en disant ça ?  »

Le 29 mars, Manuel Valls annonce qu’il vote Macron. Prévenu par texto, le candidat ne répond pas. Son équipe est convaincue que l’ancien Premier ministre veut lui nuire, en le reliant à l’histoire d’un quinquennat maudit. François Bayrou estime que le ralliement de Valls a coûté 1 point dans les sondages à son allié.

Le mois d’avril est rude. Faut-il cogner ? Inventer une mesure choc de dernière minute ? C’est oui à la première question, non à la seconde. Rendre publiques les investitures ? Quatorze seulement sont annoncées alors que plus de 200 sont prêtes. Répondre aux attaques sur l’absence de majorité ?  » Le monde politique a son mur de Berlin. Si nous parvenons au second tour, c’est qu’il est tombé. Alors tout est possible « , dit un responsable d’En marche !. C’était le 18 avril, à cinq jours du scrutin.

Par Corinne Lhaïk.

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