© Peter Zelei Images, Getty

Comment le coronavirus a tué le mythe américain

Antoine Denis Journaliste

Les rapports sur la pandémie de coronavirus en provenance des États-Unis mettent à mal le mythe américain. Une rupture à l’échelle de la société de ce qui était, en théorie, la nation la plus avancée et la plus influente de la planète.

Des infirmiers et infirmières ont dû coudre leurs propres masques, d’autres ont enfilé des sacs poubelles et certains ont même reçu des ponchos offerts par les équipes de baseball locales. Les États ont rivalisé entre eux et avec le gouvernement fédéral dans une guerre d’appels d’offres pour les équipements de protection individuelle. Le gouverneur républicain du Maryland, Larry Hogan, cache actuellement des milliers de tests de dépistage de coronavirus, achetés à la Corée du Sud, dans un lieu non divulgué protégé par la Garde nationale. Des exemples parmi tant d’autres qui montrent bien que les États-Unis ne sont pas un exemple pendant cette pandémie.

Le pays des libertés n’est évidemment pas le seul à mal gérer cette crise, mais il n’en reste pas moins qu’il est le plus emblématique. Pendant des décennies, les Américains ont été conditionnés à penser que l’Amérique n’est pas n’importe quel pays. Beaucoup pensent faire partie d’un modèle d’exceptionnalisme américain, se pensent uniques, voire supérieurs à toutes les autres nations de la planète. Aujourd’hui, ce modèle est fortement mis à mal.

Une division de la société

La fin de l’exceptionnalisme américain comporte de nombreux facteurs. Le plus évident, c’est la division croissante de la société depuis des années. Les États-Unis sont devenus soumis à l’identité partisane, le parti l’emportant systématiquement sur le pays. Cette division, en particulier les manoeuvres de l’administration Trump et la réponse républicaine nationale, a joué un rôle notable dans de nombreux échecs politiques actuels du pays.

Tout au long de la gestion inepte, voire dangereuse, de la crise du coronavirus par le président Trump, les dirigeants républicains nationaux l’ont soutenu comme ils l’ont toujours fait, même si les enjeux actuels sont énormes. Face à une crise qui touche à la fois l’Amérique bleue et l’Amérique rouge, les républicains continuent de penser en termes de parti et d’intérêt politique. Le leader républicain de la majorité au Sénat, Mitch McConnell, a bloqué le financement vital des États en difficulté financière et a déclaré qu’il préférait que les États fassent faillite. Le président Donald Trump s’est d’ailleurs exprimé dans le New York Post dans le même sens en déclarant que « ce n’est pas juste pour les républicains, parce que tous les États qui ont besoin d’aide sont dirigés par des démocrates dans tous les cas ».

Un autre point de division ce sont les lignes éditoriales de médias. Fox News, en particulier, a minimisé l’importance de l’épidémie dès le début et a fait la promotion de l’hydroxychloroquine malgré des preuves clairement insuffisantes. Une stratégie qui est fortement critiquée de l’autre côté, dans les médias plus modérés.

La faute aux républicains, aux démocrates ou les deux ?

La fin de l’exceptionnalisme américain n’est pas seulement l’oeuvre des élites du parti républicain, les démocrates ont eux aussi une part de responsabilité. Pourtant, les démocrates semblent se montrer plus responsables. Une part d’explication viendrait du fait que le parti démocrate est une coalition de groupes sociaux alors que le parti républicain est avant tout le véhicule d’un mouvement idéologique unique et cohérent. Ce qui pousse donc les premiers à tendre vers plus de coopération.

Dans une démocratie saine, le désaccord politique est une question de rivalité plutôt que de lutte existentielle. Ce qui permet normalement aux partis d’unir leurs forces quand il le faut. Mais l’antipathie des républicains envers les démocrates est devenue une haine dévorante, ses partisans considérant les démocrates moins comme l’opposition loyale que comme des ennemis internes.

Cette vision bien que non universellement partagée parmi les dirigeants républicains est en contradiction avec l’idée même d’exceptionnalisme américain. Il n’est plus logique de parler d’un caractère national américain dans un monde où les différences d’idéologie et d’identité prennent une telle priorité catégorique sur les choses qui lient le pays.

Donald Trump fidèle à lui-même

La crise du coronavirus aux États-Unis est une démonstration de la façon dont l’idée de nation a été supplantée par une « particratie » : un gouvernement dirigé au profit des membres d’un parti plutôt que de la citoyenneté dans son ensemble.

En théorie, cette pandémie devrait être un catalyseur de l’unité nationale. Aux États-Unis, c’est une autre histoire. Lorsque l’ancien président George W. Bush a lancé un appel à la coopération non partisane en début de semaine, Donald Trump l’a rejeté, fustigeant son prédécesseur républicain pour sa loyauté insuffisante à sa cause.

À la mi-avril, le président des États-Unis a en quelque sorte soutenu les manifestations antilockdown dans des États comme le Michigan, la Virginie et le Minnesota, en tweetant « LIBERATE ».

https://twitter.com/realDonaldTrump/status/1251169987110330372Donald J. Trumphttps://twitter.com/realDonaldTrump

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Début mai, il déclarait que « les démocrates sont, comme toujours, à la recherche d’ennuis. Ils ne font rien de constructif, même en temps de crise. Ils ne veulent pas blâmer leur vache à lait, la Chine, pour la pandémie ».

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Quelques petites lueurs d’espoir

Au fur et à mesure que la crise se développe, certains éléments tendent à se rapprocher. Certains gouverneurs républicains, comme Larry Hogan et Mike DeWine ont pleinement adopté les pratiques de distanciation sociale et de santé publique, allant contre la vision de Donald Trump.

Un sondage réalisé mi-avril a demandé aux Américains ce qu’ils pensaient des manifestations anti-lockdown promues par le président Trump et Fox News. Seulement 22 % ont déclaré soutenir ces manifestants et 60 % ont déclaré s’y opposer. Parmi eux, 47 % des républicains s’y opposent contre 36 % de soutien.

Aussi, lors de précédentes polémiques, comme la destitution de Trump, la question était abstraite : peu de vies américaines ont été directement et concrètement touchées par le refus du président de fournir une aide militaire à l’Ukraine. Mais lorsqu’on est, de près ou de loin, touché par le coronavirus ou que l’on craint de tomber malade, il est difficile de croire qu’un chef d’État quand il vous dit que le remède de la distanciation sociale est pire que la maladie.

Une autre lueur d’espoir pour l’union du pays viendra probablement des Américains choqués par les échecs de la gestion de la crise et par la vérité qu’ils voient sur le terrain.

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