Décollage d'une fusée Longue Marche 5 de la base de Wenchang, le 3 novembre 2016. © CHINA STRINGER NETWORK/REUTERS

Comment la Chine ambitionne de devenir le prochain leader de l’espace

Le Vif

L’empire du Milieu célèbre le 10e anniversaire de la première sortie spatiale d’un taïkonaute.

Alors que l’URSS lançait Spoutnik en 1957, la légende veut que Mao Zedong ait réagi ainsi :  » Et nous ne sommes même pas capables d’envoyer une patate dans l’espace.  » De son vivant, le secrétaire du Parti communiste ne s’est pas contredit puisque, outre le lancement d’un premier satellite, le 24 avril 1970, le programme spatial de la Chine est longtemps resté vide. Il aura fallu attendre les années 1990 pour voir l’empire du Milieu se lancer dans la course. Depuis, les progrès ont été fulgurants. Ainsi, le 16 octobre 2003, Yang Liwei est devenu le premier Chinois à voyager autour de la Terre. Cinq ans plus tard, le 25 septembre 2008, Zhai Zhigang devenait le premier taïkonaute à sortir dans l’espace grâce à un scaphandre. Aujourd’hui, la deuxième puissance économique mondiale rattrape son retard historique à une vitesse phénoménale.

L’Enjeu : collaborer, ou non, avec les autres grandes puissances

 » La Chine part de très loin, mais gravit rapidement les échelons et se donne les moyens financiers pour y parvenir « , confirme Francis Rocard, responsable des programmes d’exploration du Système solaire au Centre national d’études spatiales, en France (Cnes). Si aucun chiffre officiel n’existe, l’astrophysicien estime que près de 200 000 personnes travailleraient dans le secteur du spatial chinois. Un nombre comparable à celui des Etats-Unis.  » C’est très révélateur en termes de dynamique « , insiste-t-il. Rien que cette année, les Chinois ont déjà réalisé 24 lancements et en prévoient au moins 16 de plus.  » Le bilan dans tous les domaines – lanceurs, satellites, vols habités, expérience scientifique, etc. – est inouï « , renchérit Karl Bergquist, l’administrateur des relations internationales de l’Agence spatiale européenne (ESA). Parmi les exploits les plus récents, le lancement des ministations spatiales Tiangong 1 (2011) et 2 (2016), ou encore les différentes étapes du programme d’exploration lunaire dont l’apogée inédit consistera, fin 2018, à lancer un véhicule sur la face cachée de notre petit satellite (mission Chang’e 4). Les autorités chinoises ne comptent pas s’arrêter en si bon chemin : dès 2020, trois nouveaux lanceurs seront mis en service et un rover partira en direction de Mars, une réponse aux missions américaine et européenne (Mars 2020 et ExoMars). La même année, la Chine devrait mettre aussi en orbite le module central de sa nouvelle station spatiale et a dernièrement annoncé vouloir survoler un astéroide puis y poser un rover (à l’horizon 2030). Côté (gros) lanceurs, la Longue Marche 9, imitation de la mythique fusée Saturn V du programme Apollo, pourrait effectuer son premier vol en 2028, une étape incontournable avant d’espérer déposer des taïkonautes sur la Lune en 2036. Trop ambitieux pour être vrai ?  » Jusqu’ici, les Chinois suivent leur programme à la lettre et avec beaucoup de réussite, estime Francis Rocard. Ils sont très crédibles. « 

Pour habiter dans l'espace, les Chinois ont conçu trois complexes orbitaux (ici, Tiangong 1).
Pour habiter dans l’espace, les Chinois ont conçu trois complexes orbitaux (ici, Tiangong 1).© G.HUI/IMAGINE CHINA

Où, alors, s’arrêteront leurs ambitions célestes ? L’objectif du président Xi Jinping est clair : son pays doit devenir le leader du spatial d’ici à 2050. Mais il y a une ambiguïté sur ce terme :  » S’agit-il d’être le numéro un ou bien celui qui entraîne et motive les autres nations ?  » s’interroge Karl Bergquist. Difficile à dire, tant le mystère est entretenu par les autorités, et en particulier, l’armée, qui contrôle ce secteur stratégique d’une main de fer.  » Les différents « livres blancs », publiés à intervalles réguliers, n’évoquent jamais la composante militaire, qui constitue l’essentiel de l’activité « , confirme Philippe Coué, auteur. Selon ce spécialiste de la la Chine, pour comprendre les intentions cachées de l’empire du Milieu, il faut  » collecter méthodiquement, année après année, les annonces dans les journaux officiels comme Le Quotidien du peuple ou Chine nouvelle « .

De cette manière, il avait prédit, dès 2006, leurs premières velléités lunaires et estime désormais que leur programme s’inscrit comme une priorité absolue du plus grand Etat communiste de la planète.  » Tout est en préparation : de la capsule en passant par les modules de vie, sans oublier les véhicules de transport, dit-il. Mais, à la différence des Américains pendant les années 1960, les Chinois resteront sur l’astre sélène pour y développer une économie globalisée.  » Ils auraient même arrêté le site d’alunissage : le cratère de Shackleton, dont les crêtes sont quasi perpétuellement exposées à la lumière du Soleil et dont le fond contiendrait de la glace d’eau, nécessaire à la survie des taïkonautes mais aussi à la production d’oxygène et d’hydrogène, donc de carburant.

Les taïkonautes (ici, Jing Haipeng et Chen Dong) espèrent se poser sur la Lune dès 2036.
Les taïkonautes (ici, Jing Haipeng et Chen Dong) espèrent se poser sur la Lune dès 2036.© CHINA STRINGER NETWORK/REUTERS

Des armes dans l’espace en 2040 ?

Reste que la Chine ne se contentera pas durablement de singer ce que les autres grandes puissances spatiales ont réalisé, mais elle cherchera à assouvir ses propres desseins, pas forcément pacifistes. Ainsi, de l’aveu même de Philippe Coué, le projet le plus impressionnant consiste à construire une ou plusieurs centrales solaires en orbite géostationnaire (à 36 000 kilomètres d’altitude) dont l’électricité serait convertie en micro-ondes ou en lasers avant d’être renvoyée sur Terre.

 » Ce n’est pas de la science-fiction « , insiste le spécialiste, estimant qu’une telle installation ne serait pas mise en service avant les années 2040. Si elle laisse entrevoir l’idée d’un approvisionnement constant d’électricité  » propre « , elle inspire également une crainte : en maîtrisant ce type de transfert d’énergie, il serait aisé de transformer cette centrale en arme spatiale pouvant frapper n’importe où.

 » Les Chinois sont encore très en retard, pondère Francis Rocard. Ils commencent tout juste à concevoir leur lanceur lourd (Longue Marche 9), sans lequel ils ne peuvent atteindre la Lune ou Mars.  » Les Etats-Unis, eux, conservent une avance considérable. Surtout, ils ne laisseront jamais leur  » ennemi  » envahir l’orbite géostationnaire, ni s’installer seul sur notre satellite naturel.  » Toute l’industrie spatiale américaine vise la Lune, confirme Philippe Coué. De la Nasa à SpaceX ou même Blue Origin, les innovations comme les lanceurs à faible coût vont permettre aux Américains de continuer à dominer le secteur spatial.  » La Chine, elle, tentera de suivre. Surtout, sa capacité à aller au bout de son programme lunaire ne convainc pas tout le monde.

 » Elle cherche avant tout à démontrer qu’elle peut réussir des missions complexes comme l’Europe, la Russie ou les Etats-Unis, tout en se démarquant, notamment en atteignant la face cachée de la Lune « , croit Isabelle Sourbès-Verger, chercheuse CNRS au Centre Alexandre-Koyré. Mais refaire tout le programme Apollo cinquante ans plus tard aura un coût qui pourrait se révéler rédhibitoire. Entre 1960 et 1966, le budget de la Nasa est passé de 400 millions à… 6 milliards.  » Les Chinois ont d’autres grandes causes nationales, comme les nanotechnologies, l’ingénierie génétique ou encore l’intelligence artificielle, autant de secteurs de pointe qui peuvent rapporter plus que l’exploration spatiale humaine « , souligne Isabelle Sourbès-Verger.

La Chine veut lancer un atterrisseur et un rover vers Mars à l'horizon 2020.
La Chine veut lancer un atterrisseur et un rover vers Mars à l’horizon 2020.© CHINA DAILY CDIC/REUTERS

Et si l’ambition de l’empire du Milieu était simplement d’être considéré comme un acteur parmi les autres ?  » Le domaine spatial chinois demeure largement contrôlé par la Défense « , pointe Michel Blanc, astronome à l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie de Toulouse. Mais la dimension scientifique, encore secondaire, prend une place grandissante. Dans ce cas, la collaboration avec les autres grandes puissances spatiales devient possible – à l’exception des Etats-Unis, qui l’interdisent à la Nasa depuis 2011.  » La science spatiale est un moteur de l’évolution technologique, mais peut aussi servir à la communauté internationale, et donc à rassembler « , estime Karl Bergquist, avant de rappeler que l’ESA collabore déjà avec la Chine, dans l’optique d’un premier vol conjoint en 2020.  » Aujourd’hui, tout le monde veut travailler avec la Chine, qui s’impose comme le deuxième producteur de contenus scientifiques au monde et profite d’une économie très solide « , conclut Michel Blanc. L’avenir de la collaboration internationale passera bien par Pékin. Devenir incontournable serait déjà une victoire pour la Chine.

Par Victor Garcia.

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